Opera from Palestine – Première européenne du spectacle musical Amal – Franchir le mur, d’après Le Secret de l’huile de Waleed Daqqa – Insula Orchestra, sous la direction de Mathilde Vittu – composition Camille van Lunen – livret Cornelia Köhler – mise en scène Marina Meinero – à La Seine Musicale, île Seguin.
Amwaj signifie ondes et ce sont bien des ondes poétiques et magnétiques que porte ce chœur d’enfants venus de loin. Il est rejoint par l’Orchestre des élèves du Conservatoire Issy-Vanves de Grand Paris Seine Ouest préparés par Gabriel Drossard ; par les élèves de l’École élémentaire pilote du numérique de Boulogne-Billancourt et par ceux de la classe à horaires aménagés Musique du Collège Alain Fournier de Clamart avec leurs professeurs du Conservatoire, chœurs préparés par Lucie Tronche et Sylviane Davené.
Une trentaine de jeunes de Palestine, de noir vêtu, évoluent sur la scène, tandis que plus d’une centaine de choristes de France portant des tee-shirt vert s’installent dans les gradins, face au public. Trois niveaux de lecture sont en action du côté du public dans ce majestueux espace de la Grande Seine, aux courbes élégantes : au premier plan l’orchestre, puis le plateau où s’écrit l’histoire, plus loin les gradins de choristes habillés de vert. C’est impressionnant !
Face à Mathilde Vittu la cheffe d’orchestre, Youssef Hbeisch, originaire de Galilée, imprime le rythme de ses percussions et Saif Hammash les vibrations du kanoun. Elle est entourée d’un premier violon virtuose complété d’autres violons, de flûtes, de tous les instruments à cordes et à vents de l’orchestre. La violoncelliste-conteuse, Armance Quéro, voyage entre le centre de la scène et la fosse d’orchestre et fait magnifiquement le lien entre l’histoire et la musique, à partir d’un livret tiré du livre de Waleed Daqqa, The Oil’s Secret Tale, publié en 2018.
L’argument est une métaphore qui met en mouvement un mur séparant la terre en deux. Amal et ses frères et sœurs, Sabri, Rami et Faizah n’auront de cesse d’inventer des stratagèmes pour le traverser et rendre visite à leur père, en prison de l’autre côté. Amal lui écrit une lettre qui ne lui parviendra pas. Elle raconte : « Tous les jours Sabri te dessine sur le mur, Faizah est très triste, Rami t’a amené des fleurs. » Sur leur route ils rencontreront des animaux pleins de ruses, qui tenteront de les aider et le vieil Olivier de plus de deux mille ans d’Histoire se mettra à parler du déracinement imposé, : « Deux mille ans, une très longue vie, mais jamais auparavant n’avais-je vu un mur… Deux mille ans, ils nous déracinent. » C’est finalement grâce à son huile magique que les enfants retrouveront leur père.
L’affrontement des deux clans – ceux qui sont pour le mur, ceux qui sont contre – est chorégraphié, des slogans s’échangent. Les jeunes palestiniens, du plus petit (sept ans) au plus grand (vingt et un ans) miment et dansent les séquences du conte : une danse des foulards et châles de couleurs, le frappé des mains sur le corps qui rythment certaines mélodies, les fils de couleurs qui serpentent, il y a ceux qui bêchent, ceux qui complotent, il y a la peur quand s’avancent deux militaires en tenue de camouflage, il y a « les chiens épelant l’alphabet phonétique de l’OTAN : 1-2-3-4 ; A-B-C-D autour du Rêve et de l’Espoir. » Il y a le chant choral qui s’amplifie dans une belle intensité, auquel se joignent les bourdonnements et crépitements de la pluie et des orages.
Sur le chemin des vents les oiseaux, plumes dans les cheveux, tentent de survoler le mur avec les enfants, les lapins tentent pour eux de creuser un tunnel, Khanfour le chat et sa bande, cherche des trous dans le mur permettant de les faire passer. Sifflements des flûtes, déchaînement des cordes, tremblements du tambourin aux cymbalettes et voix se répondent. Les chœurs dialoguent entre les verts dans les gradins et les noirs sur scène, de petits groupes pépient. Le chant traditionnel des filles-feuilles revient de manière récurrente : « Mes mains… comme elles sont belles tes montagnes, ô mon pays… » La solidarité des animaux permet à Amal et ses frères et sœurs de lutter contre l’injustice en retrouvant leur père. Son retour à la maison est fêté par des danses et farandoles, des chants en canon, des voix qui se décalent. Amal, Sabri, Rami et Faizah entourent la violoncelliste dans un délicat échange musical et les chœurs se déploient.
Le chœur Amwaj de Palestine est un programme éducatif établi en 2015 à Hébron et Bethléem par Mathilde Vittu et Michele Cantoni. Il permet à une soixantaine de filles et garçons de sept à vingt et un ans de recevoir des cours de chant choral, technique vocale, langues étrangères, culture et formation musicale, initiation au piano et aux percussions, théâtre etc. Invité en 2018 par plusieurs institutions musicales à se produire dans différentes villes, dont à Paris à l’initiative de l’UNESCO, le chœur Amwaj est revenu en 2020, à l’invitation de la Philharmonie de Paris et poursuit ses échanges avec les chœurs d’enfants, en France. Des répétitions, ateliers et médiations en Palestine et en Europe permettent de se rencontrer et l’équipe Transmission et Innovation de Insula Orchestra met en place des partenariats et des échanges interculturels. C’est cette conjugaison d’énergies et de talents musicaux, à commencer par celui de Mathilde Vittu dans sa direction d’orchestre, qui permet de faire évoluer le regard que chacun porte sur l’Autre.
Brigitte Rémer, le 15 juin 2022
Concert donné le 10 juin à La Seine Musicale, Île Seguin, 92100 Boulogne-Billancourt – tél. : 01 74 34 54 00 – site : www.laseinemusicale.com
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