Portrait de famille. Une histoire des Atrides

Texte et mise en scène Jean-François Sivadier d’après Euripide, Eschyle, Racine, Sophocle et Sénèque – collaboration artistique Rachid Zanouda – au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, Centre dramatique national.

© Christophe Raynaud de Lage

Quatorze jeunes acteurs et actrices du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris portent cette gargantuesque saga familiale des Atrides revue et corrigée par Jean-François Sivadier avec simplification de la langue et costumes de ville mêlés aux vêtements et accessoires d’époque. Un acteur, de loin en loin, apostrophe le public, sorte de fil rouge pour quelques commentaires off.

 Dans l’arbre généalogique des Atrides où s’affrontent les hommes et les dieux, on traverse les cieux et les siècles en même temps que la Guerre de Troie, avant retour à Argos. On s’aime et on se hait, on se déchire et on se tue, on se dévore dans tous les sens du terme. Jean-François Sivadier décline dans ce Portrait de famille une ample gamme allant du comique au grotesque et excelle dans les interférences et courts-circuits entre complots de famille et raison d’État, honneur du pays ou honneur des siens.

© Christophe Raynaud de Lage

La mythologie grecque déchire ses entrailles et fait apparaître Ménélas et Hélène, leur fille Hermione, femme d’Oreste, dont la mère, Clytemnestre, puissante séductrice, tuera le père, Agamennon, frère de Ménélas. Iphigénie leur autre fille, sera sacrifiée par son père à la demande d’Artémis, fille de Zeus et jumelle d’Apollon, pour que les vents soient favorables et poussent la flotte grecque d’Aulis vers Troie. Malgré tous les subterfuges dont il essaiera d’user, il se pliera à la volonté de la déesse. Soudain le plateau se dresse et apparaît un guerrier casqué auréolé de fumées, prêt pour le sacrifice. On verra Iphigénie s’allonger sur la table, prête, la suite sera racontée par un messager.

 Dans la galerie des portraits glanés à travers Euripide, Eschyle, Racine, Sophocle et Sénèque, il y aura de nombreux personnages dont Achille, assez pittoresque, « Salut ! Fraternité ! » un temps pressenti pour épouser Iphigénie – le rôle est tenu par une actrice – il y aura aussi Égisthe, fils de Thyeste, qu’il aurait eu après inceste avec sa fille, Pélopia et la vengeance de Thyeste dans son cannibalisme partagé. Bref il y a de l’action, tout au long du spectacle et les acteurs dévalent de la salle et se jettent dans l’arène. E la nave va, entre illusion, réalité et immortalité, dans la transversalité des familles, « familles de tarés, autant que les dieux sont tarés » dit le texte, familles qui attirent la malédiction et le désastre qu’elles se transmettent de génération en génération.

© Christophe Raynaud de Lage

L’évocation de la guerre de Troie amène Jean-François Sivadier à évoquer les guerres d’aujourd’hui, Ukraine/Russie, Palestine/Israël ; après le suicide d’Égisthe et de Ménélas il resserre la narration et le jeu autour de la Toison d’or rapportée par Jason. A son retour ce dernier règle son compte avec l’oncle Pélias qui avait usurpé le trône qui devait lui revenir l’accusant de mépriser le peuple, dans une soif absurde de pouvoir.

La malédiction se poursuit, les meurtres se multiplient « L’astre incandescent va s’abattre sur nous… » Les secrets de famille s’étalent au grand jour. Électre règle ses comptes avec son frère Oreste ; Oreste règle les siens avec sa mère, meurtrière du père à coups de hache ; Égisthe est poignardé et écartelé. On est chez Shakespeare au pire de la tragédie sanguinaire, ici entre délire et bouffonnerie et les acteurs s’en donnent à cœur joie. Le théâtre reprend ses droits puisque la seconde partie interroge la compagnie théâtrale qui précisément est en train de monter le spectacle : tour de table, impressions de l’auteur, « Ma pièce est politique… » Il y a du solennel, de la récrimination, des essais, de la rigolade… Ismène fait des pompes, les acteurs improvisent et répètent, s’énervent et digressent, et la famille des Atrides plane sur le théâtre.

© Christophe Raynaud de Lage

Formé à l’école du Théâtre National de Strasbourg, Jean-François Sivadier est comédien, metteur en scène et auteur. Il travaille comme comédien, avec de nombreux metteurs en scène. Sa rencontre avec Didier-Georges Gabily, metteur en scène et pédagogue épris de liberté – tôt disparu, en 1996 – le marque, et il reprend la mise en scène de Dom Juan-Chimère et autres bestioles, laissée inachevée par Gabily. Il a sans doute gardé de lui une même liberté de ton qui lui permet la transgression et l’énonciation des pires horreurs, avec le sourire. Il a mis en scène les grands auteurs de théâtre comme Brecht, Büchner, Ibsen, Shakespeare et bien d’autres, fédère des équipes et dirige les acteurs avec générosité et précision.

Avec Portrait de famille. Une histoire des Atrides créé au Printemps des Comédiens de Montpellier, Sivadier mixe les destins ravagés et ravageurs des Atrides en s’appropriant la mythologie à qui il donne vie dans un grand éclat de rire, accompagnant les premiers pas de jeunes acteurs et actrices à qui il taille, par le montage des textes, des rôles sur mesure.

  Brigitte Rémer, le 4 octobre 2024

Avec : Cindy Almeida de Brito, Walid Caïd, Elena El Ghaoui, Rodolphe Fichera, Marine Gramond, Mohamed Guerbi, Olek Guillaume, Olivia Jubin, Sébastien Lefebvre, Manon Leguay, Arthur Louis-Calixte, Aristote Luyindula, Alexandre Patlajean, Marcel Yildiz. LumièresJean-Jacques Beaudouin – scénographieétudiants en 4ème année à l’École des Arts Décoratifs/Paris : Xavi Ambroise, Martin Huot, Violette Rivière – costumes Valérie Montagu – régie générale et régie son Jean-Louis Imbert – régie lumière Jean-Jacques Beaudouin – régie plateau Marion Leroy – habilleur Yann Pagès – production Compagnie Italienne avec Orchestre, en partenariat avec le CNSAD-PSL, avec la participation artistique du Jeune théâtre national.

Du 18 au 29 septembre 2024, du mercredi au vendredi, à 19h, samedi à 18h, dimanche à 16h, relâche lundi et mardi – Théâtre de la Commune Durée : 3h50 avec entracte (1ère partie : 2h30 – entracte : 20’ – 2nde partie : 1h)

En tournée : 4 et 5 octobre 2024 : Le Carré Sainte Maxime • 13 et 14 novembre 2024 : La Coursive, Scène Nationale de La Rochelle • 7 et 8 février 2025 : Le TAP, Scène Nationale de Poitiers • 12 et 13 février 2025 : L’Azimut – Antony/Châtenay-Malabry • du 19 au 21 mars 2025 : La Comédie de Béthune, CDN Hauts de France • du 19 au 29 juin 2025 : Le Théâtre du Rond-Point à Paris.