Spectacle mis en scène et interprété par Ahmed El Attar (Egypte), dans le cadre du programme D(r)ôles de Printemps.
C’est un spectacle construit en séquences à partir des conversations échangées par Ahmed El Attar, concepteur du spectacle, avec son père, des membres de sa famille, des amies, et à partir de documents officiels. Il nous plonge au cœur de son intimité et de sa réflexion à travers cet exercice qui ressemble à un work in progress. Au fil des reprises et de ses présentations, il y met des variations. « Le spectacle est une synthèse à la fois visuelle, sonore et dramaturgique, de la vie d’un Egyptien dans l’Egypte d’aujourd’hui, et cet Egyptien, c’est moi » dit-il.
L’acteur est juché sur un cube de béton – métaphore de la génération béton à laquelle il dit appartenir, vu du Caire – assis, spectateur de sa propre vie qu’il fait défiler, par bribes, par le fil d’une oreillette dont il garde secrètement le contenu et qu’il rejoue pour les spectateurs. Le jeu des langues passe par l’arabe sous-titré en français, affiché à l’avant du podium ou projeté sur un écran situé derrière lui. Il se drape parfois d’une lumière verte, donnant plus de distance encore et de théâtralité. On se croirait dans un studio de télévision. L’homme est grave et tendu, il lance son texte avec violence.
Plusieurs conversations avec le père laissent filtrer le désaccord, expression d’un conflit des générations, faisant défiler les thèmes de la vie : « Tout ce que tu m’a appris était faux ! » lance le fils. « Que tu es injuste ! » répond le père. Argent, pouvoir et politique, avant, pendant et après la Révolution ; vote de cinq millions de personnes pour Morsi, il y a trois ans ; un cœur de ville qui a changé autour de la Place Talaat Harb ; émigrer, partir où ? L’Histoire du pays est au seuil de sa porte et croise son récit de vie.
L’homme regarde le public de façon neutre et détachée et le prend à témoin, enfouissant ses affects. Il marque parfois des pauses. Quand il se lève, on le dirait au bord du vide, prêt à tomber de ce haut plateau. Un fond sonore, aussi violent que le texte lui-même, mais après tout, proche des décibels de la capitale égyptienne, remplit le petit Tarmac.
Ahmed El Attar est directeur d’un théâtre indépendant égyptien et dramaturge, le combat est permanent. Il est également le fondateur et directeur artistique du Temple Independent Theatre Company et d’Orient Productions, qui travaillent à développer la création artistique indépendante au Caire. « Je ne suis pas chroniqueur, mais j’aimerais que les gens amorcent une réflexion sur l’Autre, sur l’Arabe que je suis, sur les préjugés », justifie-t-il. Son spectacle est singulier, dans sa démarche comme dans sa forme, sa parole est libre et courageuse et Je n’est pas un autre.
brigitte rémer
Mise en scène et jeu : Ahmed El Attar/Compagnie théâtrale indépendante du Temple – musique et vidéo : Hassan Khan – décor : Hussein Baydoun – lumière : Charlie Astrom – assistante à la mise en scène : Nevine El Ibiary – ingénieur son : Hussein Sami – montage vidéo : Louli Seif – technicien lumière : Saber El Sayed – régisseur général : Ahmed Omar
(D)rôles de Printemps, au Tarmac, 159 avenue Gambetta. 75020, du 11 au 28 mars 2015. Tél. : 01 43 64 80 80 – Site : www.letarmac.fr