Mise en scène et recherche Ébana Garín Coronel, Luis Guenel Soto, Colectivo Cuerpo Sur (Chili) – en espagnol surtitré en français – au Théâtre Paris Villette – dans le cadre du Paris Globe Festival.*
L’histoire est inspirée d’une tradition de l’île chilienne de Chiloé dans la région des lacs aux portes de la Patagonie, où beaucoup de maisons aux couleurs vives sont sur pilotis. La mythologie de l’île entourée de l’Océan Pacifique, conduit au syncrétisme entre les traditions chamaniques, le polythéisme des indiens Mapuche et le catholicisme espagnol : on s’amourache au premier regard de la pincoya, le cheval marin mi-hippocampe mi-cheval fait fantasmer, et les vaisseaux fantômes protègent les personnes disparues en mer.
Dans ce registre, la Minga est une tradition précolombienne qui vise à un rassemblement communautaire pour aider l’un de ses membres au transfert de sa maison. Le jour J, tout le monde se rassemble, déconstruit la maison de bois et la fait glisser de ses fondations, sur des rondins, après l’avoir descellée, jusqu’à son nouveau lieu d’appartenance. Le transfert se fait parfois aussi par la mer. L’événement, au demeurant peu courant, se transforme en grande fête collective.
Partant de ce geste, le Colectivo Cuerpo Sur auquel appartiennent Ébana Garín Coronel et Luis Guenel Soto, concepteurs du spectacle, imagine un scénario où la maison déconstruite, planche après planche, est portée et traînée par l’actrice (Ébana Garín Coronel). Seule en scène elle devient le passeur des émotions du propriétaire qui l’avait construite de ses mains et qui accepte, pourvu qu’on « ne lui vole pas son âme » ; celles de sa mère contrainte à l’exil quand elle a quatre ans – il lui revient des expressions comme prendre la lune avec ses dents qui signifie quand reviendrons-nous ? et celles d’un couple face au symbole de leur foyer en miettes.
On entre dans l’histoire par une image montrant une maison submergée tandis que l’actrice attaque à la hache la destruction de la sienne. Elle se souvient de sa mère abattant leur maison pour partir en Équateur et tenter de se réinventer une vie. Là-bas, « le pays n’a pas la même lumière… » se souvient la petite fille, alors âgée de six ans.
Peu bavard, le spectacle laisse place au silence et à une sorte de contemplation de la déconstruction, une méditation sur l’art d’habiter, sur soi. L’actrice, étape par étape, recense les pièces de bois qu’elle aligne, les suspend tel un mobile entre lequel le vent s’engouffre, porte sur la tête son fardeau encombrant. La scénographie, simple et vivante par ce matériau, le bois, et la fluidité qu’elle donne pour la mobilité de l’actrice-ouvrière, dessine le spectacle : on la voit pousser les planches, les entasser, les sécher, les déplacer sur des palettes, les porter, une chorégraphie en soi. La puissance et la beauté des gestes donnent un grand charme et un trouble certain malgré les tragédies personnelles qui se cachent derrière et la colère qui sourd parfois.
Le son habite le spectacle, avec le vent, les grincements, les vitres qui tremblent et se fracassent, les errements du bois qui parle, les éléments qui se déchaînent (composition, conception sonore Damián Noguera Llanes). Les lumières tamisent les espaces entre terre, ciel et mer, les ombres planent apportant de l’inquiétude. Il y a toute une dramaturgie de l’environnement. « La terre m’engloutit… » Quand le retour au pays s’annonce après la renaissance de la démocratie au Chili, les valises ne peuvent contenir cette part de vie reconstruite ailleurs et les tableaux de la mère qui lui ont permis la survie. Elles en font un feu de joie. « Peut-être devons-nous laisser mourir quelque chose pour laisser place à d’autres choses… » L’actrice fait face à la reconstruction de la maison, qu’elle filme, mais « comment reconstruire une maison qui s’est effondrée ? »
Minga de una casa en ruinas est un objet délicat, raffiné, et porteur de sens, une enluminure. Il n’y a pas de montée dramatique spectaculaire, les images bien dosées, sans abus, participent du langage scénique et nous placent au cœur de la forêt et du sujet : le déclassement, l’exil, la vie et la survie, l’environnement et la nature.
Comme un son répétitif au sens musical du terme et une sorte de minimalisme dans le style, le spectacle parle de la maison et de ses représentations, symbole de soi, de l’identité et de la vie. Le thème est fort et ardent, il touche à l’intégrité de la personne. Et l’on pense à d’autres peuples, dans d’autres régions du monde, la Palestine pour ne pas la citer, qui se font confisquer la leur.
Brigitte Rémer, le 10 juin 2024
Dramaturgie, interprétation Ébana Garín Coronel – conception intégrale Ricardo Romero Pérez -composition, conception sonore Damián Noguera Llanes – assistant Nicolas Zapata – agent, représentant international Loreto Araya.
Vu au Théâtre Paris-Villette. 211 avenue Jean-Jaurès. 75019. Paris – dans le cadre du Festival international Globe/Paris Villette programmé du 21 au 31 mai 2024 – Site : www.parisglobe.fr
*Se sont associés au Théâtre Paris-Villette le Théâtre 13 et le Théâtre 14, le Théâtre Silvia Monfort, les Plateaux Sauvages, le Théâtre de la Bastille, le Théâtre de la Concorde ex. Espace Cardin pour accueillir des spectacles venant d’Angleterre, Cameroun, Chili, Espagne, Hongrie, Italie, Liban, Mali, Québec, Royaume-Uni, Ukraine – Voir aussi nos articles sur Jogging, de Hanane Hajj Ali (Liban) et Tafé fanga ? Le pouvoir du pagne ? de la compagnie Anw Jigi Art (Mali).