Texte et mise en scène Ahmed El Attar – Spectacle en langue arabe, surtitré en français – Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.
Mama raconte, par les quatorze acteurs présents sur scène, l’histoire d’une famille de la bourgeoisie égyptienne. Un grand canapé central type copie du XVIIIème résume l’affrontement de trois générations où les petits drames ont valeur de grands scénarios. Dans une scénographie de Hussein Baydoun, l’espace est cerné de barres métalliques, symbole de piège ou bien d’enfermement.
En scène, côté cour, la grand-mère, (Mehna El Batrawy) calée dans son fauteuil et qui n’en bouge guère, rivalisant d’hostilité avec sa belle-fille, (Nanda Mohamad, présente dans les précédents spectacles d’Ahmed El Attar). Côté jardin, le grand-père (Boutros Boutros-Ghali dit Piso) calé dans le sien, son fils et ses deux enfants en mouvement de yoyo entre les deux pôles, masculin et féminin. Les tensions familiales s’expriment sur la scène entre grand-mère et belle- fille, entre hommes et femmes, entre les deux enfants, entre la famille et les serviteurs.
Du canapé où s’expriment les conflits d’une société en crise, la famille s’embourbe dans les clichés d’un monde machiste et de conflits de génération. La question posée par Ahmed El Attar sur un ton de comédie sociale touche à l’obsession misogyne qui envahit, sournoisement ou non, les rapports masculin/féminin de la société égyptienne. Il cherche à en démonter le mécanisme en montrant que les femmes, premières victimes de cette oppression masculine, en seraient aussi la source : chargées de l’éducation des enfants, elles adulent leurs fils et les aident à acquérir très tôt ce sentiment de toute-puissance, de telle manière qu’elles sont elles-mêmes signataires de la reproduction du système. Le discours d’Ahmed El Attar pourtant n’est jamais frontal il suit les méandres de la vie familiale quotidienne, comme si de rien n’était. Les séquences se succèdent de manière enlevée par des acteurs bien dirigés, petits morceaux de vie teintés d’humour et de sarcasmes, au gré de la courbe des guerres intestines et comme un Jeu des sept familles. Je demande… la grand-mère… !
Auteur, metteur en scène et opérateur culturel parfaitement francophone, Ahmed El Attar travaille au Caire et dirige le Studio Emad Eddine où il s’investit aussi dans la formation des comédiens et des acteurs culturels. A travers le Théâtre El-Falaki qu’il dirige et le Festival de théâtre indépendant, Downtown Contemporary Arts Festival D’Caf qu’il programme chaque année dans la ville, il crée, par son franc-parler, une dynamique théâtrale et des synergies auprès des jeunes artistes, et partage avec eux l’espace artistique. Dans son pays, l’Égypte, où plus de 60% de la population a moins de vingt-cinq ans et où les rapports de classe et de pouvoir se sont figés, ces bouteilles jetées à la mer, chargées de dérision, sont salutaires.
Après avoir travaillé en 2014 dans The Last Supper sur la figure du père – celui qui, dans le Monde Arabe, a le pouvoir – El Attar poursuit sa saga familiale avec la figure de la mère, première actrice d’une normalité confisquée entre les hommes et les femmes. Il pose la question de la responsabilité.
Brigitte Rémer, le 10 novembre 2018
Avec Belal Mostafa, Boutros Boutros-Ghali, Dalia Ramzi, Hadeer Moustafa, Heba Rifaat, Menha El Batrawy, Menna El Touny, Mohamed Hatem, Mona Soliman, Nanda Mohammad, Noha El Kholy, Ramsi Lehner, Seif Safwat, Teymour El Attar – Musique et vidéo Hassan Khan – Décor et costumes Hussein Baydoun – Lumière Charlie Astrom – Production Henri Jules Julien et Production Orient productions, Temple independant Theater Company
Après sa création au Festival d’Avignon 2018, la pièce a poursuivi sa route au Théâtre de Choisy-le-Roi le 9 octobre, à la MC 93 du 11 au 14 octobre, au TNB de Rennes. Site : www.festival-automne.com