Conception, texte et mise en scène Lola Arias, au Théâtre de la Ville – en espagnol, surtitré en français et en anglais – coproduction et coréalisation Théâtre de la Ville-Paris et Festival d’Automne à Paris – au Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt à Paris.
Installées dans une voiture côté jardin, six anciennes détenues se racontent devant la caméra, au son de la cumbia. Elles ont purgé leurs peines et sortent juste de prison où, à côté des travaux imposés, elles ont trouvé du réconfort dans les ateliers proposés, pour faire que le temps passe avec intelligence et un peu de douceur. « On ne choisit pas son destin… » Ensemble, ces six jeunes actrices, performeuses, chanteuses et danseuses – Yoseli Arias, Paulita Asturayme, Carla Canteros, Natal Delfino, Estefania Hardcastle, Noelia Perez – font récit de leur passé autant que de leur présent.
Sortir, hors contrôle, désorientées, parfois sans avoir où aller. Elles décrivent leur retour à la vie libre et les retrouvailles avec la famille, une mère, un fils, un petit ami. Elles racontent leurs enfants, le temps qui vient de s’écouler sous matricule, leurs avocats, l’injustice parfois, leurs croyances, leurs inquiétudes. Certains tatouages signent ce passage entre quatre murs. No te rindas nunca, Ne t’avoue jamais vaincue, est gravé dans le dos de l’une d’elle, Yoseli, à côté de la Tour Eiffel, son rêve de liberté.
La voiture présente sur scène, symbole de cette liberté, construit le lien du spectacle, leur force de vie en est le moteur. Elles se filment avec ivresse et se regardent. Une structure d’échafaudages nous transporte dans les différents lieux de leur mémoire – structure multifonctionnelle qui se recouvre parfois d’un grillage et d’images qui surgissent çà et là, images d’archives ou images in-situ témoignant de leur re-naissance et de leur émotion (scénographie de Mariana Tirantte). De plain-pied c’est aussi l’espace de la musique (conçue et interprétée par Inés Copertino à la guitare, accompagnée d’une batterie), la musique et la danse pour lutter contre le temps qui s’est écoulé et mordre dans le présent, une forme de résistance et d’émancipation, une identité retrouvée. Pour tous/toutes, en détention, la musique et la danse furent comme une planche de salut, c’est ce côté de lumière qu’a exploré Lola Arias dans le spectacle, avec notamment rock et voguing que certaines pratiquent magnifiquement, et qui les transcendent.
Los días afuera est à la fois documentaire et musical, en même temps qu’aux frontières de la réalité et de la fiction. Ces femmes, malgré les difficultés, avant, pendant et après leur séjour carcéral, chantent la vie. Lola Arias a monté un atelier de pratique théâtrale dans la prison des femmes d’Ezeiza, près de Buenos Aires. Elle en a rapporté des images et monté un film sorti en février 2024, Reas/Prisonnières – présenté en avant-première à Berlin, au festival de la Berlinale – dans lequel une douzaine de détenus, cisgenres, hommes et femmes transgenres, parlent de leurs conditions de vie et de la violence en prison. Après le film, la réalisatrice a poursuivi le dialogue avec six d’entre eux/elles et a partagé leurs émotions et sensations dans leur retour à la vie et le décalage éprouvé, dans leur fragilité. Elle a écrit et mis à l’épreuve auprès d’eux/d’elles dans un processus collaboratif, ce qui est précaire et volatile, la parole, et les a guidées sur scène, comme une metteure en scène, face à toute actrice ou performeuse. Los días afuera est un spectacle à fleur de peau qui communique cette fragilité d’être, en même temps qu’une réelle force de vie. Si l’émotion est palpable sur scène, elle passe aussi et se diffuse dans le public.
Argentine installée à Berlin, Lola Arias écrit, met en scène et réalise des projets de théâtre, cinéma, littérature, musique et art visuel, et il faut une bonne dose de conviction pour mener à bien ce type de projets qui engage, dans une synergie entre la vie, le combat pour la vie, et l’art. Depuis 2007, elle développe un théâtre documentaire, sur des thèmes personnels ou de société. En 2024, elle se voit décerner le Ibsen Price pour l’ensemble de son parcours, et la grande tournée qu’effectue la troupe à travers l’Europe avec Los días afuera, est à la hauteur de ses responsabilités et exigences. Elle s’inscrit à la manière du don et du contredon dont parlait l’anthropologue Marcel Mauss et qui fait ici intervenir le récit, le chant, la musique et la danse dans un sens où le sacré rejoint les histoires, orales et ordinaires. « S’apaiser ? Partir, rester ? Il y a quoi de l’autre côté ? » questionnent-elles avec lucidité. « J’ai payé mes dettes. La nuit est faite pour danser… » concluent-elles, avant de poursuivre leurs routes.
Brigitte Rémer, le 16 octobre 2024
Avec : Yoseli Arias, Paulita Asturayme, Carla Canteros, Natal Delfino (en remplacement de Ignacio Rodriguez), Estefania Hardcastle, Noelia Perez, et la musicienne Inés Copertino. Damaturgie Bibiana Mendes – collaboration artistique Alan Pauls – scénographie Mariana Tirantte – chorégraphie Andrea Servera – musique Ulises Conti, Inés Copertino – costumes Andy Piffer – lumières David Seldes – vidéo Martin Borini – son Ernesto Fara – construction du décor, Théâtre National Wallonie Bruxelles – Production déléguée Lola Arias Company, Gema Films.
En tournée : du 4 au 10 juillet 2024, Opéra Grand Avignon, Festival d’Avignon – les 13 et 14 juillet 2024, Festival GREC, Barcelone (ESpagne) – du 8 au 10 août 2024, International Sommerfestival-Kampnagel, Hambourg (Allemagne) – du 15 au 17 août 2024, Zürcher Theater Spektakel, Zurich (Suisse) – les 20 et 21 août 2024, Kaserne Basel,Bâle (Suisse) – les 14 et 15 septembre 2024, Théâtre Maxim Gorki, Berlin (Allemagne) – les 19 et 20 septembre 2024, Festspielhaus, St. Pölten (Autriche) – le 12 octobre 2024, National theatret, Oslo (Norvège) – du 17 au 19 octobre 2024, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon – les 14 et 15 novembre 2024, La Rose des vents/Scène nationale Lille Métropole, Villeneuve d’Ascq – les 27 et 28 novembre 2024, Le Quai/CDN Angers Pays de la Loire – les 4 et 5 décembre 2024, Scène nationale de Bayonne – les 9 et 10 décembre 2024, Le Parvis/Scène nationale Tarbes-Pyrénées – les 28 et 29 janvier 2025, Tandem, scène nationale Douai-Arras – du 3 au 7 février 2025, Théâtre national de Strasbourg – du 12 au 15 février 2025, Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Bruxelles (Belgique) – les 21 et 22 février 2025 De Singel, Anvers (Belgique) – du 27 février au 1er mars 2025 Comédie de Genève (Suisse) – du 19 au 21 mars 2025, TnBA/héâtre national de Bordeaux en Aquitaine, Bordeaux – les 26 et 27 mars 2025, Centre dramatique national d’Orléans/Centre-Val de Loire, Orléans – les 3 et 4 avril 2025 Künstlerhaus Mousonturm, Francfort (Allemagne) – mai 2025, Festival International de Brighton (Royaume-Uni).