Situé au 17 de la rue Malte-Brun, le Théâtre de l’Est Parisien était depuis 1911 date de sa construction, un cinéma et un music-hall d’environ mille places, qui répondait au nom de Zénith. Le ministère des Affaires Culturelles que dirigeait André Malraux en fit l’acquisition en 1963 et en confia la direction à Guy Rétoré, alors directeur d’une compagnie théâtrale amateur, La Guilde, qu’il avait créée en 1951. Né à Ménilmontant et enfant du quartier, Rétoré avait découvert le théâtre avec la troupe de la SNCF, entreprise où l’avait fait entrer son père pendant la guerre, pour échapper au Service du travail obligatoire, puis il avait suivi des cours avant de créer sa compagnie, La Guilde.
A la tête du Théâtre de l’Est Parisien, sa mission fut de développer l’art théâtral et la culture dans l’est de Paris, excentré et sorte de désert culturel. En 1983 Jack Lang fit reconstruire la salle, devenue Théâtre national de la Colline, et en confia la direction à Jorge Lavelli. Guy Rétoré se vit alors déplacé au 159 avenue Gambetta, sa troupe redevint structure de production et de diffusion subventionnée par l’État sous l’égide de La Colline. Huit ans plus tard il sera sommé de quitter les lieux par Catherine Trautmann, Ministre de la Culture qui nomme à la direction du TEP, en 2001, Catherine Anne. Contraint et forcé de libérer la place, par la Ministre suivante, Catherine Tasca, en juin 2002, il finit par lâcher. “Un fauteuil pour deux” titrait L’Humanité le 9 avril 2001 au moment de la polémique.
A croire que ce lieu est prédestiné aux difficultés, car au départ de Catherine Anne en 2011, le Théâtre international de Langue Française créé par Gabriel Garran, quitte La Villette et prend place avenue Gambetta pour changer de nom et devenir Le Tarmac, avec tous les séismes du printemps dernier que l’on a suivi, qui visaient à déloger Valérie Baran et son équipe pour y installer Théâtre Ouvert. Le jeu des chaises musicales décidément est actif.
Pendant plus de quarante ans au pilote de la vie théâtrale du XXème arrondissement Guy Rétoré fit un véritable travail de démocratisation culturelle et développa un théâtre populaire et national dans le droit fil des grands de la décentralisation et du service public comme Romain Rolland, Maurice Pottecher, Firmin Gémier, Jean Dasté et Jean Vilar. La Guilde devient troupe permanente en 1960, et le lieu fut inauguré par Malraux comme Maison de la Culture ayant statut de Centre Dramatique National. Rétoré mit en place une politique de création des textes, contemporains et classiques, et lança de nombreuses actions de développement culturel notamment dans un dialogue avec les écoles. Jacques Duhamel, lui donne le label de Théâtre National, en 1972 et statut d’établissement public. Outre les créations maison, Guy Rétoré y invitait les grands de la création dans un esprit d’ouverture, ainsi Dario Fo en 1980 y présenta son Histoire du tigre et autres histoires.
Rétoré fidélisa des acteurs engagés, comme lui, dans la mission de service public qui leur était assignée et mit en scène les grands auteurs d’une manière très ouverte, de Shakespeare à Brecht, de Musset à O’Casey en passant par Pagnol, de Roger Vaillant à Armand Gatti, de Claudel à Beckett. « Notre répertoire, c’est Molière, Shakespeare, Aristophane, Sophocle et le théâtre contemporain qui parle aux contemporains » disait-il lors d’une interview.
Ces dernières années il vivait en Sologne où il s’est éteint à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.
Brigitte Rémer, le 26 décembre 2018