Mise en scène Jean-Christophe Meurisse – Collectif Les Chiens de Navarre – à la MC93 maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny.
Nés en 2005 Les Chiens de Navarre table sur la création collective. Leurs spectacles naissent d’improvisations avant de s’écrire, et Jean-Christophe Meurisse tient la baguette du chef d’orchestre. Cela crée une écriture singulière et un style basé sur le gros trait et le hors cadre, l’humour potache et le ludique, la dérision en version brut de décoffrage. Dans leurs dernières apparitions le collectif a présenté Les danseurs ont apprécié la qualité du parquet en 2012, Quand je pense qu’on va vieillir ensemble en 2013, Les armoires normandes en 2014.
Jusque dans vos bras dessine une succession de tableaux décalés autant que déjantés, qui renvoient aux clichés de notre belle société française et travaille sur l’identité. Son titre fait référence à la Marseillaise : « Entendez-vous dans les campagnes mugir ces féroces soldats ? Ils viennent jusque dans vos bras égorger vos fils et vos compagnes… » En avant-première, l’entrée des spectateurs se fait dans le brouillard et sous d’épaisses fumées, avant de libérer l’horizon du plateau soudain devenu prairie. Un personnage – Jean-Christophe Meurisse – harangue les spectateurs, micro en mains et lance le jeu du : levez-vous, donnez-vous les mains, fermez les yeux… Puis débutent les tableaux.
Celui de la veuve éplorée devant le cercueil de son homme, mort pour la patrie, devant les autorités abritées sous de noirs parapluies, séquence qui se termine en grand pugilat. Celui du pique-nique entre couples amis avec petits potins, clichés éculés, grandes découvertes et coups de gueule politiques où se croisent les thèmes du racisme, de la mixité sociale, de l’homosexualité avant de finir en bataille rangée. Celui du bureau de l’OFPRA – Office Français pour les Réfugiés et Apatrides, avec l’insupportable voix de fausset de l’employée qui répète en boucle des phrases formatées et déshumanisées. Celui du salon bourgeois-bobo où une famille pétrie de bonnes intentions accueille trois réfugiés, en cumulant les beaufferies et les gaffes, où madame, crânement, entre dans la danse, dans le plus pur style pathétique. Et dans la gamme, l’insupportable embarcation de migrants sauvés de la noyade par la bravoure du public appelé à la rescousse, version jeu télé pour heure de grande écoute.
Une éminence noire traverse le spectacle – Athaya Monkozi – tenant tantôt le rôle du bluesman américain jouant de l’harmonica, tantôt celui de grand Pape portant soutane blanche. Des personnages français emblématiques comme le grand Charles (de Gaulle), rôle tenu par Brahim Takioullah, haut de plus de deux mètres trente, face à une Marie-Antoinette ensanglantée ; un Obélix, une Jeanne d’Arc à la cotte de maille fumante, échappée du Puy du Fou ; deux astronautes essayant de planter leur drapeau français sur le sol lunaire. Des requins en peluche et des éléphants roses dignes des parcs d’attractions traversent le plateau et déambulent. Ainsi va l’histoire de France revue et corrigée par les Chiens de Navarre.
Jean-Christophe Meurisse, metteur en scène, compare le travail du collectif à celui d’un jazz-band. « Ce sont des solistes qui improvisent mais ils ont une somme de repères, un canevas. Ils savent où ils vont. Ils savent à quel moment ils ont rendez-vous. Mon travail de metteur en scène, c’est la construction, l’organisation de ces rendez-vous. » Les acteurs partent de la page blanche comme d’un terrain vague dit-il.
Grand guignol, absurde, subversif, dadaïste, burlesque, bouffon, iconoclaste, le ton du spectacle ? Tout ça sûrement, et l’identité française ? « Beau, beau, beau… beau et con à la fois… » comme le dit Brel, dans sa Chanson de Jacky. Et quand le sociologue Jean Duvignaud s’interroge lui aussi sur « Le Propre de l’Homme » il confirme que rien n’est simple, surtout pas le comique et le rire : « Et puis, quelle quantité de dérision une société accepte-t-elle, pour elle-même et pour les autres ? Car on rit de tout : des dieux, des hommes, des femmes, du riche, du pauvre, et de la mort. Qui donc voyait dans les tristes convulsions de l’Histoire un effet de la colère de Dieu contre l’humanité ? La dérision, à l’opposé, est la rébellion de tout un chacun contre le poids du passé, les institutions, l’ordre même. Une illusion éphémère sans doute comme le sont aussi la fête et les plaisirs, mais qui arrache leur masque au sérieux, à la pédanterie, à l’hypocrisie et fait parfois de la vie cette farce commune dont parlait Rimbaud. » Ainsi font les Chiens de Navarre.
Brigitte Rémer, le 1er mai 2018
Avec : Caroline Binder – Céline Fuhrer – Matthias Jacquin – Charlotte Laemmel – Athaya Mokonzi – Cédric Moreau – Pascal Sangla – Alexandre Steiger – Maxence Tual – Adèle Zouane. Collaboration artistique Amélie Philippe – régie générale et création lumière Stéphane Lebaleur – assistante à la régie générale Murielle Sachs – création et régie son Isabelle Fuchs – régie son Jean-François Thomelin – régie plateau Flavien Renaudon – décors François Gauthier-Lafaye – création costumes Elisabeth Cerqueirac – direction de production Antoine Blesson – administration de production Emilie Leloup – chargée de production Léa Couqueberg – attaché d’administration et de production Allan Périé.
Du 24 au 29 avril 2018, à la MC93, maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny – 9 Boulevard Lénine, 93000 Bobigny – Tél. : 01 41 60 72 72 – site : www.MC93.com