Création musicale de Nicolas Frize / 2e volet – pour soprano, mezzo-soprano, ténor, flûte, hautbois, basson, trompette, clarinette basse, piano, orgue, groupe de rock, violon, violoncelle, basse de viole, contrebasse, archiluth, guitare électrique, percussions, récitante, claviers numériques et écritures, choeur, sons enregistrés, vidéos et rencontres graphiques – à la Direction de l’information légale et administrative (DILA).
Cette création s’inscrit dans le cadre de la résidence Impressions… d’être qui a débuté en 2018 en son premier volet, dans différentes imprimeries comme le groupe Riccobono, le groupe Stipa et à la Direction de l’information légale et administrative. Pour ce second volet, le public est réparti en quatre groupes à son arrivée et invité à circuler dans le bâtiment de la Direction de l’information légale et administrative du XVème arrondissement, chacun en un parcours guidé, spécifique.
La nouvelle composition musicale de Nicolas Frize est construite en cinq mouvements : quatre pièces courtes d’une durée de neuf minutes chacune, une cinquième de trente minutes. Cinq étapes donc pour le public dans ce lieu où s’impriment les journaux officiels, d’où ce titre à double lecture : Impressions… d’être.
Première halte dans la salle Crémieux-Brilhac, une grande bibliothèque du rez-de-chaussée, pour la pièce intitulée Geste où des podiums ont été montés dans les différents coins de la pièce. En diagonale, deux chanteuses, de styles différents, l’une mezzo-soprano, l’autre chanteuse rock accompagnée de guitaristes et d’un batteur, se répondent et se confrontent à l’usage d’Internet ; au centre une guitariste. Sur plusieurs écrans s’affichent de manière intermittente des informations juridiques, sociales et fiscales qui se perdent dans la marée montante du son qui voyage. Les morceaux sont alternés, chaque spectateur se déplace et fabrique son propre environnement dolby stéréo.
Dans l’atelier d’impression où les rotatives sont à l’arrêt, rendez-vous est donné pour la seconde escale musicale intitulée Figure. De gros rouleaux de papier posés au sol tiennent lieu de scénographie. Un choeur psalmodie et chante comme un début d’oratorio, avant de lancer au vent ses feuilles partitions. Un pianiste guide l’ensemble, suivi d’un violoniste. Des triangles, une table à percussions luminescente déclenchent le vent et la tempête. Une bille roule sur la toile tirée d’un cylindre de papier et des graines y glissent en un léger effleurement. Des portées sont dessinées sur ces imposants rouleaux immaculés, une lumière crue s’inscrit sur l’écran musical.
Instant, sur le plateau dit Vie Publique, accueille les spectateurs dans son grand open space du 4ème étage, après un parcours labyrinthe. Ils sont invités à s’asseoir devant des bureaux, l’ambiance est intime. En temps ordinaire, des rédacteurs s’y concentrent pour faire la synthèse de textes officiels. Ici, les musiciens se fondent dans le public : quelqu’un tape sur l’ordinateur, le bruit amplifié des touches se mêle au grattement métallique de la Sergent-Major sur le papier, le vocal est chuchoté, un joueur d’archiluth se trouve au centre de l’espace, dans un bureau de verre la basse de viole occupe la place du contremaître, un homme au clavier numérique régule volumes et harmonies.
Après le secteur Vie Publique, les spectateurs se dirigent vers le Plateau dit Service Public pour entendre une pièce nommée Segment. Quelques portraits photographiques sont affichés dans les couloirs et une très longue Chut (e) de papier-partition graphique réalisée par le compositeur tombe dans la cage d’escalier, du 7ème étage au rez-de-chaussée. Dans cet open space du 3ème étage aux lumières rose fluo se trouvent sept interprètes qui se détachent par leurs chemises blanches, dispersés aux quatre coins de l’espace, avec leurs instruments : violon, violoncelle, contrebasse, hautbois, clarinette, flûte à bec. Ils se répondent et entrent en dialogue avec les sonorités électroacoustiques. Un ruissellement de graviers et bâtons de pluie retournés évoquent l’aquatique. Des guirlandes de post-it courent sur certains murs.
La dernière séquence, Situation, a lieu dans le grand atelier expédition finition où se retrouvent sans se croiser les quatre groupes, invités à changer de place à mi-parcours. Pupitres et instruments sont disséminés dans divers points. Face à la tombée de chaîne et aux palettes du grand atelier de façonnage se trouvent des liasses de papier restées en suspens. Deux solistes promènent sur de grandes feuilles leur partition, tout en chantant. L’orgue est intégré au contexte industriel. Avec leurs trompette, clarinette basse et basson, percussions, les chanteurs, et les musiciens vont d’un pupitre à l’autre. Une narratrice parle de l’écrit, en accord avec le lieu, des livres posés au sol évoque le paysage des mots et invite à partager les réflexions du compositeur : « Qu’est-ce qu’un livre ? Un assemblage de pages, des tas de piles à mettre ensemble… un objet façonné pour être feuilleté… des métiers différents… » Est-ce bien nouveau ?
Compositeur de musique contemporaine, Nicolas Frize poursuit depuis des années son chemin singulier à travers l’environnement sonore urbain, le monde du travail, l’univers carcéral, l’enfance. Il travaille sur la mémoire des sons et la recherche vocale, depuis 1975, date de création des Musiques de la Boulangère, une structure culturelle de production, création et formation implantée à Saint-Denis. « Tout est son tout est forme. Écrire c’est lutter contre le présent » dit-il. Ses œuvres sont le résultat de résidences artistiques longues qui nourrissent ses créations. Ainsi en 1984 il débute une collecte de plusieurs années sur la mémoire sonore, dans les usines Renault de Boulogne-Billancourt. Plus tard, il passe trois ans en résidence à la Manufacture Nationale de Sèvres, puis deux ans à l’usine PSA Peugeot Citroën de Saint-Ouen et deux ans aux Archives nationales. Il travaille sur l’acoustique, l’architecture, la spatialisation, en sortant des lieux habituels de concert, cherche la place de l’auditeur et réinvente les rapports publics-interprètes.
A partir de ses années d’expérience et d’investigation, Nicola Frize systématise les concerts déambulatoires, mêle musiques instrumentale et électroacoustique, interprètes professionnels et non-professionnels (ici certains issus des personnels de la Direction de l’information légale et administrative) et témoigne de son engagement citoyen. Pourtant, pour qui connaît son travail, une impression de déjà-vu commence à l’emporter, et si le processus d’élaboration reste séduisant et la démarche excitante pour ceux qui en sont partie prenante, il manque au spectateur la notion de renouveau en même temps que le décryptage d’un univers finalement assez personnel. Pour Impressions… d’être, « j’ai juste décidé de comprendre ce qui se passe avec l’impression. Courir après ces grandes feuilles de papier qui se maculent à si grande vitesse, sans les lire, juste les voir filer sous mes yeux et mes micros, chercher à saisir le sens de de quelque chose de mon époque, de toutes les époques, capter sans rien capter parce que ça va très vite et se répète sans fin… » telle est la déclaration d’intention émise par le compositeur, mais il manque la compréhension des textes qui permettraient peut-être au spectateur de mieux percevoir le sens de la proposition dans laquelle l’architecture devient le principal héros.
Incontestablement, Nicolas Frize sait transmettre et composer avec différents types et groupes de personnes. La valeur ajoutée vient aussi du lien qu’il crée avec le milieu scolaire et étudiant, pourtant les travaux graphiques sont ici peu mis en valeur dans le dédale des couloirs qu’emprunte le public. Ces travaux sont signés des étudiants de 2nde année préparant le Diplôme national des métiers d’art et du design du lycée Claude-Garamont de Colombes qui livrent leurs Impressions de soi sur papiers de soie, leurs fractions d’impression, leurs feuilles de chaîne et leurs corps d’impression, leurs livres numériques et impressions d’êtres, leurs impressions de rue. Et si l’idée théorique de la déclinaison des impressions est intéressante dans le contexte de la DILA, on reste un tant soit peu sur sa faim.
Brigitte Rémer, le 3 octobre 2020
Une production Les Musiques de la Boulangère et la Direction de l’information légale et administrative (DILA), avec le soutien de la direction régionale des Affaires culturelles d’Île de France – ministère de la Culture, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis, la ville de Saint-Denis, la Spédidam, la Sacem, et le concours de la SACIJO, société anonyme de composition et d’impression des Journaux officiels.
Samedi 26 sept 2020, 14h – 17h – 20h – dimanche 27 sept 2020, 14h – 17h. DILA – Direction de l’information légale et administrative – 26 rue Desaix – 75015 Paris – www.museboule.free.fr