Photos – Art – Récits. Une exposition sur le thème des Frontières, les limites et leurs limites, au Musée de l’Histoire de l’Immigration.
C’est une exposition forte et modeste qui est présentée au Palais de la Porte Dorée, conçue par la politologue Catherine Wihtol de Wenden et l’historien Yvan Gastaut, pour le Musée de l’Histoire de l’Immigration : forte par la complexité du sujet alors qu’on assiste aujourd’hui, dans un monde en désordre, à un brouillage des codes diplomatiques et un flou des réalités ouvrant sur le conflit et l’exclusion ; modeste par sa méthode, didactique et documentée, qui fait voyager à travers les temps et les pays, présentant des cartes, témoignages, vidéos, articles, œuvres d’art, extraits de textes littéraires et récits de vie.
Conçue en trois mouvements, l’exposition évoque tout d’abord les pays extra-européens, sous le titre Les murs-frontières dans le monde. Il s’agit ici, par delà les frontières naturelles freinant la mobilité, du marquage et de la fermeture des territoires dans le but de se protéger de l’autre. La Grande Muraille de Chine en est un stigmate, de même que la zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique, les murs de séparation entre l’Inde et le Bangladesh, ceux qui furent érigés entre les deux Corées, ou entre Israël et la Cisjordanie. L’artiste Anne-Marie Filaire montre ainsi un film photographique intitulé Enfermement, réalisé à partir de relevés de terrain pris sur les zones frontalières des deux côtés de la barrière israélo-palestinienne, qui révèle avec force la déchirure de la séparation : « Ces images parlent de l’enfermement, de la façon dont l’espace est investi, transformé, de la façon dont la vision est bouleversée. »
L’exposition met ensuite la focale sur l’Europe des XXème et XXIème siècles, dans un second mouvement intitulé Vers une Europe des frontières. Elle évoque entre autre les deux guerres mondiales et les déplacements de populations, le Mur de Berlin et le rideau de fer, et aujourd’hui, tout près de nous, Lampedusa, Melilla et les étapes obligées d’un exil monnayé. Cette partie présente l’espace de libre circulation depuis les accords de Schengen, les tentatives d’harmonisation et les dispositifs de sécurité et de contrôle renforcés, le grand exode de migrants, la problématique des capacités d’accueil et des quotas de réfugiés, par pays. La question de la réglementation est traitée à partir de la Première Guerre Mondiale qui impose aux étrangers le port d’un document d’identité, alors que le passeport intérieur était abandonné en France depuis 1860, et qu’il était alors possible de voyager en Europe sans document. La Méditerranée comme espace de contacts autant que de ruptures, devenu un lieu de racket et de violence sur lequel plane l’ombre de milliers de morts emportés dans leurs frêles esquifs. La série des Voitures-cathédrales de Thomas Mailaender illustre, sans commentaire, l’exode, par ces véhicules transportant d’une rive à l’autre de la Méditerranée des amoncellements de bagages, sacs, vélos et objets divers : « Ces containers sur quatre roues sont une matérialisation évidente du concept de la frontière et des frottements culturels qui en résultent » dit l’artiste.
Un troisième temps dans le parcours de l’exposition évoque les frontières françaises intérieures sous le titre Traverser les frontières de la France, pays à la fois de transit par sa position géographique, et d’immigration par l’image qu’elle véhicule de terre des Droits de l’Homme. Sont notamment présentés les postes frontières d’Hendaye et de Vintimille, la douane où l’on décline son identité, Marseille comme porte du Sud, le fleuve Maroni en Guyane française, ressource fondamentale pour l’économie fluviale. Les tampons géants, sculptures de l’artiste Barthélémy Toguo intitulés Carte de séjour, Mamadou, France, Clandestin, symbolisent cette partie et font allusion au coup de tampon qui résume le statut d’une personne : « Nous sommes tous en transit permanent. Qu’un homme soit blanc, noir, jaune, peu importe, il est de toute façon un être potentiellement exilé » précise-t-il. Les témoignages de ceux qui ont vécu l’exil – déracinés puis réfugiés – disent, comme Shahab Rassouli, que « Les frontières sont des lignes imaginaires. »
Une cinquantaine d’artistes traduisent, dans l’exposition, ce sentiment de solitude absolue et de perte de soi. Ainsi les Paysages du départ de Bruno Boudjelal, images prises du pays que l’on quitte, dernier regard sur son pays et Harragas, installation vidéo composée de films des téléphones portables provenant de migrants clandestins ; Les Cahiers afghans, installation de Mathieu Pernot, qui confie à deux réfugiés rencontrés en France des cahiers d’écolier : le premier, Jawad, transcrit le récit de son voyage de Kaboul à Paris : « A chacune de nos rencontres, il me donnait quelques pages de son histoire qu’il me traduisait. J’y voyais le récit d’une épopée moderne, l’histoire en négatif de notre mondialisation. » Le second, Mansour, apporte ses cours de français : « Un langage de la survie, une littérature de l’urgence était traduite du farsi. Je n’ai rien changé à ces écrits, à la brutalité du texte et au récit sur l’exil qu’ils constituaient » dit le photographe qui présente plusieurs blocs de textes écrits sur quarante et une doubles pages de cahiers. Photographe engagé, Gérald Bloncourt fait un travail sur l’immigration portugaise, familles fuyant la dictature de Salazar, et montre le passage à pied de la frontière, dans les Pyrénées. Il présente ici Immigrés portugais train Hendaye-Paris 1965. Bruno Serralongue lui, choisit de capter du hors champ plutôt que de se rallier au collectif de sans-papiers et privilégie les refuges précaires, la nature environnante et l’invisibilité des clandestins aux cabanes improvisées.
Né à Gaza, Taysir Batniji travaille sur le thème de l’errance et réalise la vidéo Départ, en 2003. «Je cherche un langage artistique qui corresponde à ma manière de vivre, au fait que je circule tout le temps » dit-il lors des Rencontres internationales de la photographie d’Arles en 2002. Il montre un ferry chargé de voyageurs qui traverse de part en part le champ fixe de la caméra et détermine ainsi la durée du plan-séquence : « L’utilisation d’un ralenti saccadé brouille le réel et restitue, tremblantes, les silhouettes des passagers. Aucun repère géographique n’est présenté. Dans ce non-lieu, seul l’écho de la mer rappelle le voyage ». Jacqueline Salmon réalise en 2001 Le Hangar, une série de photographies du camp de réfugiés de la Croix-Rouge à Sangatte, près de Calais où l’on ne voit âme qui vive, l’immensité déserte appelle la solitude. Liquid Traces de Charles Heller et Lorenzo Pezzani est une installation forte qui montre le point clignotant où une embarcation partie de Libye dérive dans la zone de surveillance de l’OTAN et n’est pas secourue à temps, malgré ses nombreux appels, laissant disparaître dans les flots plus d’une soixantaine de personnes dont seule une petite poignée seront sauvés. La chilienne Emma Malig – qui a travaillé sur l’art du papier au Japon – clôt le parcours avec Atlas in fine II, sorte de lanterne magique avec ses trois sphères emboitées recouvertes de morceaux de gaze et de tissus brodés où sont projetés l’ombre de bateaux et d’oiseaux, obsessions ou paradis perdu ?
Cette remarquable exposition, pleine de signes et d’objets, de morceaux de vie repris ou réanimés, est en prise avec la problématique des réfugiés qui ne trouve pas de réponse et fait face à la fermeture de certaines frontières. Conçue sur plusieurs années de travail, elle parle des enjeux migratoires dont la clé s’appelle la misère et les guerres. Frontières est une leçon de vie et de mort qui nous parle au plus près de l’actualité, il y est question d’humanité et d’inhumanité, de droits de l’homme et de liberté.
Brigitte Rémer
Commissaires scientifiques Catherine Wihtol de Wenden, politologue et Yvan Gastaut, historien.
Jusqu’au 29 mai 2016. Palais de la Porte Dorée. 293 avenue Daumesnil. 75012. Métro, Tramway : Porte Dorée. Mardi au vendredi 10h-17h30 – Samedi et dimanche : 10h-19h. Site : www.histoire-immigration.fr