Le récital de oud, ce « sultan des instruments », proposé par Mustafa Saïd, se tient dans un petit studio privé où la poignée d’heureux élus venus l’écouter se sent comme à la maison. Assis en tailleur sur un tapis blanc, le musicien égyptien est entouré de ce public attentif qui fait cercle autour de lui. Il débute le concert lentement, pinçant ses cordes à l’aide d’un plectre. La soirée fait alterner ses compositions et des improvisations. Les morceaux s’enchaînent et se mêlent, donnant à ce moment partagé l’esprit et l’espace d’un long souffle musical.
Né au Caire, compositeur de musique classique contemporaine arabe et chercheur en musicologie, Mustafa Saïd fonde en 2003 l’Ensemble for Arab Classical Contemporary Music – ASIL – Il est aussi, depuis 2010, directeur artistique de la Foundation for Arab Music Archiving and Research – AMAR – fondation libanaise spécialisée dans la conservation et la diffusion de la musique arabe traditionnelle. Il enseigne à l’Institut Supérieur de Musique de l’Université Antonine, au Liban, après avoir enseigné à la Maison du Oud, au Caire. Il s’intéresse particulièrement à la période de la Nahda qui couvre les années 1903 à 1930 et se traduit par une philosophie dite de la Renaissance.
Passionné par la musique orientale savante dont il est un des grands connaisseurs, Frédéric Lagrange donne sa définition de l’École de la Nahda : « École doit être compris ici dans le sens de communauté esthétique et stylistique dans la composition et l’interprétation. Le terme désigne l’ensemble de musiciens qui participèrent à l’élaboration d’une musique de cour à partir du règne de khédive Ismail, musique qui faisait la synthèse des différentes traditions orientales compatibles avec le goût égyptien. » Cette période permet de mêler les répertoires sacrés et profanes et de faire sortir les chants – composés de nombreux poèmes d’amour mystique – des salons, de les jouer dans des espaces tels que les cafés. Le chant alors se désynchronise du contexte dans lequel traditionnellement il apparaissait comme les fêtes, religieuses ou familiales.
Après une trentaine de minutes purement instrumentales, Mustafa Saïd introduit la voix et chante en s’accompagnant du oud qui traduit et accompagne sa ligne mélodique, pleine de nuances. Le vocal est à la même hauteur que les cordes de l’instrument et passe du grave à l’aigu et de la mélopée au poème, avec virtuosité. Les mélodies qu’il décline, ses modulations et changements de tonalité dans lesquels il excelle, font partie du vocabulaire du oud. Ni psalmodie ni incantation, son chant dessine des arabesques complexes. Avec l’instrument il scande, psalmodie, se suspend, rythme, explore et ornemente. Dans la solitude du oud, Mustafa Saïd invite à pénétrer dans un espace méditatif superbement maîtrisé.
Seul ou en formation, le compositeur donne des concerts dans de nombreux pays du monde, jouant notamment avec les musiciens de son Ensemble, ASIL. Dans ce récital en solo on ne discerne guère la composition de l’improvisation. Si la musique se note depuis le début du XXème siècle, la tradition musicale arabe classique reconnaît l’importance de l’improvisation. D’après Frédéric Lagrange « elle est une stratégie de production mélodique, une attitude de création instantanée et un mode d’organisation du temps. L’ornementation, elle, est un vocabulaire, un ensemble de techniques d’émissions du son, vocal ou instrumental, de jeux de timbre, de rythme, de remplissage du phrasé, de parasitages sonores formant des motifs utilisables à loisir. »
Ce moment musical avec Mustafa Saïd dont le travail sensible et savant introduit à la complexité des musiques orientales, fait preuve de liberté d’interprétation et de recherche de variations, en même temps qu’elle ravit l’auditeur.
Brigitte Rémer, le 5 janvier 2019
Dimanche 30 décembre à 17h – Studio 3, 19 rue de Charenton, 75012, Paris. Métro Bastille – Site : www.mustafasaid.co