Archives mensuelles : septembre 2024

Maître Obscur

Texte et mise en scène Kurō Tanino – traduction Miyako Slocombe – compagnie Niwa Gekidan Penino – coproduction, coréalisation T2G Théâtre de Gennevilliers/CDN et Festival d’Automne à Paris – au T2G Théâtre de Gennevilliers.

© Jean-Louis Fernandez

Des informations sont données dans le casque qui nous est remis, avant que le spectacle commence. Test, paramétrage, vérification, puis glissement vers un petit jeu d’écoute et de devinettes : quel est ce bruit que vous entendez ? Réponse : le grignotage d‘une biscotte – qu’on entendra et verra ensuite quand un comédien mangera réellement sa biscotte – ou encore : et maintenant, qu’entendez-vous ? De l’eau couler… Est-elle froide ou chaude ? La réponse suivra plus tard, comme en écho, sur scène… Rions… L’intelligence artificielle continue l’apostrophe : J’attendais votre arrivée… Nous allons commencer… (son Vanessa Court).

On entend des bruits de pas. Une femme entre (Stéphanie Béghain) dans ce qui ressemble à un appartement quelconque, vaguement ringard – campagnard, dira l’IA – cuisine, salle à manger, lustre et canapé, la chambre côté cour, le tout très réaliste (scénographie Michiko Inada, lumière de Diane Guérin). Elle s’installe à la table, allume sa cigarette, visage plutôt fermé. Leçon de gym à la télé, commentée par l’IA qui donne le ton et dialogue avec l’actrice. « J’ai mal au crâne », avoue celle-ci.

© Jean-Louis Fernandez

Le spectateur est sollicité simultanément, à différents niveaux, le jeu se tisse sur plusieurs plans, entre autres dans le casque où on entend des commentaires. Soudain des bruits de pas se font entendre. Un homme entre, gauche, et tournant en rond (Gaëtan Vourc’h). Il finit par s’adresser à la femme : « Engageons une conversation » lui propose-t-il. Elle, toujours aussi fermée, renfrognée même, hors du monde… On est visiblement dans un appartement thérapeutique, sorte de lieu d’accueil ou lieu de vie, avec des personnes cherchant à se réadapter à la vie quotidienne. A chacun sa pathologie… où quelques bribes de conversation tentent de s’engager, mais en vain. L’IA se fait l’écho des pauvres phrases échangées, ma pauvre chambre de l’imagination dirait Kantor.

L’homme garde l’initiative : « Allons nous changer » dit-il, dans le vide. Dialogue de sourds : c’est le matin ? Non, le soir ? Il va préparer le café, en propose à la dame. « J’m’en fiche… » lui balance-t-elle. Il fait griller des toasts. Sortez les assiettes ! ordonne l’IA dans le casque…  « Je crois qu’on va danser ensemble… » s’illusionne-t-il. L’homme se met à danser, seul, réfléchit sur lui-même, pour conclure : « Je suis… insignifiant… On est pareil ! » Et il sort une histoire de centaines de préservatifs repérés dans un tiroir. Bruits de chasse d’eau, ou pire, le WC jouxte la pièce. Dialogues incertains… intestins, évacuations… Ces petits riens qui font la vie. « J’entends la voix du diable » dit-elle.

© Jean-Louis Fernandez

Une jeune femme arrive, bien déjantée, sautant d’un fauteuil à l’autre (Mathilde Invernon) puis une autre qui se cale dans le canapé (Lorry Hardel). Troisième, puis quatrième pathologie et le silence en prime. Rien ne se passe, sauf les ordres dans le casque. L’homme a de la suite dans les idées, trouve la boîte de préservatifs et la fait exploser, taille XXL, les acteurs en passent un, comme une cagoule et se couvrent la tête. Chacun à tour de rôle va prendre sa douche, chacun se change. L’homme met une perruque trouvée par là et allume le vieux poste de télé. On le filme en train de manger sa soupe. Le temps s’étire, linéaire, jusqu’à l’arrivée d’un cinquième pensionnaire, l’étrangeté même, recouvert de tatouage, (Jean-Luc Verna).

La jeune femme taciturne finit par lâcher deux mots, informe qu’elle a une fille et en pleine phase de régression s’identifie à elle, en donnant à manger à l’ours-peluche posé au sol, face à elle, comme le font les enfants dialoguant avec leurs doudous. Puis elle sort par l’arrière, comme elle était entrée. On l’entend descendre. Les pas s’éloignent. Noir.

© Jean-Louis Fernandez

Dans Maître Obscur, l’IA est reine et guide le jeu. Elle est le lien entre la salle et la scène, celle-ci s’en faisant la chambre d’écho à travers l’esquisse de personnages, mal en point, décalés et effacés. Rien de très intelligible si ce n’est l’étrangeté – peut-être l’inconscient – l’obscurité.

Kurō Tanino a créé la compagnie de théâtre Niwa Gekidan Penino en 2000 avec ses camarades du club de théâtre de l’Université de Médecine de Showa. Issu d’une famille de psychiatres il met alors un terme à sa propre carrière pour se consacrer à la dramaturgie et à la mise en scène. Maître Obscur est né d’un manga – Dark Master de Caribu Marley et Haruki Izumi qui a connu différentes versions et re-créations entre 2003 et 2020. L’une a été présentée à Gennevilliers en 2018, c’est une sorte de Work in progress, réalisé ici avec des interprètes français. Invité à cinq reprises du Festival d’Automne, Tanino avait présenté entre autres, en 2018, Avidya – L’Auberge de l’obscurité ici même, ainsi qu’à la Maison de la Culture du Japon à Paris, nous en avions rendu compte (cf. Ubiquité-Cultures du 20 septembre 2016). Il est aujourd’hui artiste associé du Théâtre de Gennevilliers.

Dans Maître Obscur il explore le thème de la domination et de l’emprise dans la relation à l’intelligence artificielle, voie ouverte par Georges Orwel dans son roman dystopique 1984, publié en 1949. La manipulation par la surveillance et le contrôle est ici diluée dans une certaine bienveillance. La routine des gestes quotidiens, souvent inconsciente, se robotise, sous la pression des directives, et le dispositif sonore fait fonction de personnage principal. L’IA devient grande inquisitrice. On n’est pas loin des effets d’électrochocs d’un temps pas si éloigné avec intrusion, dépersonnalisation et destruction. Dans la pièce s’installe une tension entre la toute-puissance technologique et la fragilité des personnages dans leurs abysses. La vidéo accompagne épisodiquement le récit et retransmet des images sur l’écran du plateau (vidéo Boris Van Overtveldt). Dans cet appartement thérapeutique, l’IA ne guérit pas la confusion mentale mais l’enveloppe théâtrale tissée par Kurō Tanino, pleine de minutie et de complexité, conduit chaque personnage, chaque acteur, à l’expression de sa solitude et de ses inquiétudes.

Brigitte Rémer, le 28 septembre 2024

Avec Stéphanie Béghain, Lorry Hardel, Mathilde Invernon, Jean-Luc Verna, Gaëtan Vourc’h.Texte et mise en scène Kurō Tanino. Collaboration artistique Masato Nomura, Kyoko Takenaka – scénographie Michiko Inada – lumières Diane Guérin – son Vanessa Court – vidéo Boris Van Overtveldt – costumes Laura Lemmetti – accessoires Zoé Hersent – construction décor Théo Jouffroy/ateliers du Théâtre de Gennevilliers.

Du jeudi 19 septembre au lundi 7 octobre, Lun. jeu. ven. 20h, sam. 18h, dim. 16h, relâches mardi et mercredi – 41 avenue des Grésillons. 92230 Gennevilliers – tél. 01 41 32 26 26 – site : www.theatredegennevilliers.fr – En tournée : les 16 et 17 octobre 2024 Centre dramatique national Orléans – du 6 au 8 novembre,  Bonlieu Scène nationale Annecy – du 5 au 7 février 2025 Comédie de Genève Genève (CH).

Tous les poètes habitent Valparaiso

Texte Carine Corajoud, en collaboration avec Dorian Rossel – conception et mise en scène Delphine Lanza et Dorian Rossel – compagnie STT / Super trop top – au Théâtre de la Tempête.

© Daphné Bengoa

Le récit se base sur une histoire réelle, assez loufoque et surréaliste, trouvée dans une brève du journal suisse Le Temps. C’est devenu le voyage d’un poème d’un bout du monde à l’autre.

La scène s’ouvre sur une émission radio menée rondement par un journaliste suisse qui interroge un artiste chilien et une comédienne, et qui tente de résoudre une énigme. Il rapporte la quête d’un chercheur américain, Scott Weintraub, autour d’un poème publié au Chili, Poemas del otro dont il voudrait retrouver l’auteur. Un signataire du poème, également auteur d’un livre mystérieux, Le Silence et sa brisure, répondrait, en France, au nom de Juan-Luiz Martinez.

© Daphné Bengoa

Différents discours s’entremêlent et on entre dans un labyrinthe qui, au final, livrera son secret. En attendant, sur le plateau comme dans la salle, on patauge d’investigations en hypothèses, parfois jusqu’à l’absurde. On est aussi dans l’archétype d’un pays – le Chili sous Pinochet – qui a vécu le totalitarisme contraignant à l’exil nombre de ses ressortissants. L’ombre du coup d’état de 1973 est présente par le récit de la grève des camionneurs un an plus tôt, qui a entraîné au fil des mois de nombreux autres grévistes et mouvements sociaux, jusqu’à la chute du Président Allende. Et l’ombre de la chanteuse engagée, Violeta Parra, qui a dédié sa vie à la musique populaire du pays, plane.

On spécule, à travers les mots d’un texte que l’actrice répète, et l’enquête d’un professeur-chercheur essayant d’éclairer le chemin que le poème a bien pu prendre. Ce poème aurait été publié à Saint-Germain des Prés. « Prolonger une ligne droite jusqu’à l’infini… »

Comme un jeu de construction, les panneaux aux couleurs vives déposés sur le côté jardin du plateau sont déplacés et prennent vie et force dans la scénographie qui interroge aussi différents lieux et diverses hypothèses (scénographie de Sibylle Kössler et Florian Gibiat). Ils dessinent comme des passerelles et remémorent les couleurs des maisons de Valparaiso. « Faire s’écrouler les systèmes » tel est le but recherché.

En fond de scène, en épilogue, s’ouvrent des fenêtres où flottent des nuages, et se construisent des séquences, comme un livre d’image. Un certain Juan-Luiz Martinez est repéré à Paris et les fils commencent lentement à se dénouer. On traverse la déconstruction et la simulation, les dilutions d’identité et strates de scénarios plus flous les uns que les autres, à la recherche d’une vérité. Il y a du jeu et du double-jeu sur scène à partir de cette ville portuaire de Valparaiso, la ville des poètes.

© Daphné Bengoa

La compagnie STT / Super trop top aime à se mesurer à des non-textes et travaille autour de scénarios, de récits de voyages, d’autobiographies et autres formes de textes, à la base, non dramatiques. Depuis plusieurs années Carine Corajoud adapte les textes de la Compagnie et construit la dramaturgie. Delphine Lanza, comédienne et metteuse en scène, de même que Dorian Rossel metteur en scène, en co-signent la réalisation. Trois acteurs sont en scène : Karim Kadjar, Fabien Coquil et Aurélia Thierrée pour interpréter plusieurs personnages, ajoutant parfois un accessoire, comme un bonnet ou une casquette. Le premier met ses pas dans ceux du poète chilien, le second, d’animateur radio et chercheur pilotant l’enquête, devient le poète français. Aurélia Thierrée est absolument troublante dans sa recherche du jeu et sa quête éperdue d’un texte écrit dans les années 70 en France par Juan-Luiz Martinez, dont elle interprète aussi, dans le dernier tableau, l’épouse. Un poème publié au Chili dont on finira par connaître l’itinéraire : un homonyme chilien aurait traduit en espagnol le poème original français laissant à penser qu’il avait été écrit dans sa langue, il n’en est pas l’auteur.

Tous les poètes habitent Valparaiso dégage un certain charme par le côté léger donné à ce voyage instable plein d’énigmes et de suspensions, avec une certaine simulation à la clé et un brin de simulacre, avec des superpositions d’identités qui finissent par livrer leur secret, après de nombreuses questions énoncées à la manière d’un polar qui nous perd dans un labyrinthe d’hypothèses et un lac d’incertitudes.

Brigitte Rémer, le 21 septembre 2024

Avec : Fabien Coquil, Karim Kadjar, Aurélia Thierrée – dramaturgie Carine Corajoud – scénographie Sibylle Kössler, Florian Gibiat – lumières : Yann Becker – création sonore Anne Gillot – costumes Fanny Buchs, assistée de Iryna Kliuchuk – Assistanat à la mise en scène Clément Fressonnet – construction décor Florian Gibiat – régie Matthieu Baumann et Benoît Boulian – direction de production et diffusion Daphné Bengoa – Direction technique Matthieu Baumann – Chargée de production et administration Raphaëlle Sabouraud.

Du 20 septembre au 20 octobre 2024, du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30 – Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de Manœuvre, 75012. Paris – métro : Château de Vincennes, puis bus 112 ou navette Cartoucherie – site : la-tempete.fr – tél. : 01 43 28 36 36.

Théâtre des Quartiers d’Ivry – Saison 2024-2025

C’est une belle saison qui s’annonce au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Le 19 septembre a rassemblé beaucoup de monde au cours d’une soirée lancée avec talent par les élèves de l’atelier théâtral sur le thème de la différence, de l’intégration et de l’identité. « Sois toi-même…»

Le projet que défend son directeur, Nasser Djemaï assisté d’Anne-Françoise Geneix, s’engage en poésie et se fait l’écho des bruits du monde. Il réfléchit au lien entre l’intime et le collectif, travaille sur le lien et l’appartenance. Inscrit dans une mission de service public, le Théâtre des Quartiers d’Ivry accompagne les grands récits et mythologies d’aujourd’hui, brise les clichés et cherche à s’ouvrir au plus grand nombre.

L’adjointe au Maire chargée de la Culture, Méhadée Bernard, a rappelé que nous venions d’éviter le pire lors des dernières élections, l’extrême droite, et que l’histoire sociale de la ville, Ivry, avait inscrit depuis toujours l’altérité sur ses frontons. Elle confirme que le TQI est un compagnon du quotidien, une maison commune et un lieu d’expression des résistances qui parle de mémoire, de famille, de rêve, d’écologie et d’espoir. Sa mission consiste à faire humanité ensemble.

© Théâtre des Quartiers d’Ivryt

Nasser Djemaï et Anne-Françoise Geneix ont ensuite présenté l’ensemble de la programmation en compagnie d’artistes et montrant des extraits de spectacles par des visuels. L’émergence, les créations maison et les artistes associés ont été mis en exergue. Parmi les artistes associés, Estelle Savasta présente D’autres familles que la mienne, après avoir fait une enquête sur l’Aide Sociale à l’Enfance et Sébastien Kheroufi reprend Par les villages, de Peter Handke, avec la participation d’une trentaine d’habitants d’Ivry, dans le cadre du Festival d’Automne.

Des partenariats et coréalisation avec d’autres lieux de spectacle alentour, se sont élaborés ou se poursuivent comme avec le Théâtre Antoine Vitez d’Ivry : Simon Delétang présente un texte de Magali Mougel, Suzy Storck sur le destin d’une femme et comme archétype de la vie d’une femme ; le Théâtre Jean Vilar de Vitry, Médéa Mountains d’Alima Hamel, spectacle musical sur la mémoire familiale et mémoire collective de la guerre d’Algérie ; la Briqueterie de Vitry, la chorégraphie African Party avec Oulouy et les Supa Rich Kids de Côte d’Ivoire et du Nigéria ; les Théâtrales Charles Dullin, Ten, du grand réalisateur Abbas Kiarostami, qui témoigne du combat des Iraniennes.

© Théâtre des Quartiers d’Ivry

Le thème de l’école avec Notre école de Jana Klein et Stéphane Schoukroun et de l’adolescence, avec To like or not to like/Crari or not d’Émilie Anna Maillet, un projet transmédia et une installation immersive, sont aussi sur le devant de la scène. Avec Je crée et je vous dis pourquoi, Aurélie Van Den Daele montre, avec onze auteures francophones, à travers un parcours déambulatoire, la cartographie au féminin du désir créateur. David Ayala donne corps aux textes de Mahmoud Darwich, par le récital Un autre jour viendra. Sultan Ulutas Alopé, jeune femme turque et kurde présente son texte, édité par L’Espace d’un instant, La Langue de mon père. Valentine Losseau et Raphaël Navarro s’intéressent à Madeleine, une patiente de la Pitié-Salpêtrière, jugée hystérique et soignée par hypnose, à travers le spectacle On m’a trouvée grandie. Nasser Djemaï met en scène Kolizion, un monologue aux allures de parcours initiatique sur le sens de la vie qu’il a écrit et qui est publié chez Actes-Sud. Radouan Leflahi et Brahim Koutari l’interprètent en alternance.

D’autres spectacles et propositions sont aussi au générique du TQI, nous ne pouvons tout rapporter ici ; des lectures, résidences, apéros-concerts. Le programme Vagabondes présente, hors les murs, dans les lycées, le spectacle Seuil sur les rites de passage et Toutes nos mains, de Daniela Labbé Cabrera, dans les maisons de quartier. L’Atelier-Théâtre du TQI présentera son travail de l’année les 14 et 15, 21 et 22 juin 2025.

La saison sera riche et pleine au TQI, Nasser Djemaï et Anne-Françoise Geneix accompagnés de l’équipe du théâtre et des artistes ont communiqué l’envie de venir et revenir dans la maison, pour découvrir cette fabrique d’idées et de poésie, d’analyse de la réalité et de partage de rêves qu’ils ont élaborée. La convivialité est inscrite au programme du TQI où tous ont droit de cité.

Brigitte Rémer, le 22 septembre 2024

Théâtre des Quartiers d’Ivry, 1 place Pierre Gosnat 94200 Ivry-sur-Seine, métro : Mairie d’Ivry – Pass TQI, 5 places, rechargeable à volonté : Pass Tarif plein 80 euros (16 euros la place) – Pass Tarif préférentiel : 60 euros (12 euros la place) – Pass Tarif réduit : 40 euros (8 euros la place) – Tél. : 01 43 90 11 11 – site : theatre-quartiers-ivry.com

Des lignes et des corps

Exposition des photographies de Yasuhiro Ishimoto, au Bal – commissariat Diane Dufour avec Mei Asakura, conservatrice au Ishimoto Yasuhiro Photo Center, Museum of Art de Kōchi, au Japon.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

Né à San Francisco de parents japonais, Yasuhiro Ishimoto (1921-2012) est considéré comme visuellement bilingue. On le découvre dans la magnifique exposition présentée au Bal, qui montre l’œuvre dans chacune de ses géographies, américaine et japonaise. Une première en Europe.

Originaire de l’île de Shikoku dans la préfecture de Kōchi, les parents d’Ishimoto, agriculteurs, retournent au Japon quand il a trois ans et le destinent à ce métier. En 1939, pour ne pas être enrôlé dans l’armée et apprendre les techniques agricoles modernes, ils l’envoient aux États-Unis. Diplômé de la Washington Union High School d’Alameda, en Californie, en 1942 il est placé en camp d’internement, comme de nombreux américains d’origine japonaise à cette époque, suite à la bataille de Pearl Harbor. Il y passe deux ans et apprend la technique photographique avec des camarades, réalise des photos dans le camp. Libéré en 1944, il s’installe à Chicago.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

De 1948 à 1952, Yasuhiro Ishimoto se forme à l’Institute of Design de Chicago fondé dix ans plus tôt par Moholy-Nagy sous le nom de New-Bauhaus. Peintre, photographe et théoricien de la photographie, ce dernier avait enseigné dans le Bauhaus de Walter Gropius, à Weimar, puis Dessau. Ishimoto y intègre à mi-parcours le département de la photographie. Harry Callahan, spécialiste entre autres de la ville et de l’architecture, et Aaron Siskind, photographe de l’abstraction, sont ses professeurs. Callahan incite ses élèves à sortir du studio et les guide dans l’exigence du tirage par le travail en laboratoire et devient une sorte de mentor pour Ishimoto qui réalise dans ce cadre certaines séries présentées dans l’exposition, dont Beach, Doors et Little Ones.

 En 1953, le photographe participe à l’exposition Always the Young Strangers, au MoMA de New-York, puis revient au Japon et s’installe dans le quartier branché de Shibuya où il devient une personnalité remarquée pour ses travaux dans le domaine de l’architecture, du design, de l’art et de la photographie. Il accompagne sur les principaux sites d’architecture traditionnelle au Japon le conservateur du département Architecture et Design du MoMA, Arthur Drexler et rapporte ses premières photos de la Villa Impériale Katsura, située près de Kyoto. Sa première exposition monographique Yasuhiro Ishimoto Photography, a lieu en 1954 à Tokyo, à la galerie Takemiya.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

En 1958, Yasuhiro Ishimoto s’installe à Chicago où son premier livre Someday, Somewhere, est publié ; il y reste jusqu’en 1961 puis retourne au Japon. Son second livre, Katsura : Tradition and Creation in Japonese Architecture est publié simultanément dans les deux pays tandis qu’une seconde exposition monographique, Photographs by Yasuhiro Ishimoto, est présentée à l’Art Institute of Chicago. Il retourne définitivement au Japon en 1961 où il acquiert la nationalité japonaise en 1969, à l’âge de quarante-huit ans et poursuit son travail entre prises de vue – notamment de la Villa Impériale, expositions et publications. Il disparaît en 2012. Un an plus tard est créé le Ishimoto Yasuhiro Photo Center au sein du Museum of Art de Kochi à qui le photographe avait fait don de ses archives.

Le Bal présente différentes sections et séries dans une scénographie sobre qui colle à l’univers d’Ishimoto, tirages gélatino-argentiques en noir et blanc, mêlant des photographies prises à Tokyo et à Chicago. Travaux de jeunesse principalement, toutes montrent la diversité d’inspiration et traduisent une grande exigence de cadrage et de traitement en laboratoire. Dans Chicago Beach (1948/1952), on passe de la position horizontale de personnes allongées sur le sable – occupées ou non, parfois lisant un journal, parfois en méditation face au lac Michigan – aux lignes verticales d’une forêt de jambes, vraisemblablement alignées devant un comptoir, bustes coupés à hauteur de la taille.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

La série Expérimentations 1948/1950 montre sa recherche de nouveauté, de modernité, tournant le dos à tout ce qui est convention. Ishimoto croit en l’expérimentation, il a un regard sur l’interdisciplinarité, qu’il a développé notamment au New Bauhaus où le début des apprentissages techniques se faisait par tronc commun entre architectes, designers et photographes. Il dira de l’enseignement : « Au New Bauhaus l’enseignement est très inorthodoxe. Avant même que nous puissions nous emparer d’un appareil photo, on nous enseignait le dessin de A à Z, en commençant par des croquis très simples. Jour après jour, nous étions formés à maîtriser les points, les lignes, la texture d’une surface et la lumière, à tel point que je me demandais quand j’allais enfin apprendre à photographier. »

Chicago Snow and car (1848/52) permet de sentir la texture du grain de neige, entre immobilité et mouvement, et Chicago Town, Little Ones (1959/1961) montre la rue, les personnes dans la rue, certains quartiers, notamment ceux des afro-américains. Il travaille autour de thématiques sociales sans jamais verser dans le documentaire pur, montre une jeune femme noire à la fenêtre, l’ovale du visage rejoignant une ligne courbe, peut-être fêlure de la vitre. Il regarde et rapporte des clichés sur un concours de déguisements organisé pour fêter Halloween. Tokyo, Town, Little Ones (1953/58) par ses cadrages singuliers et le déplacement de l’objet, ouvre sur le modernisme, Tokyo Towns (1960/63) met en avant la géométrie et l’espace. Ishimoto est loin du réalisme social de la photographie japonaise d’après-guerre. Moment 1980/2002 s’intéresse à l’instabilité des choses et à l’éphémère et montre des feuilles mortes tombées sur l’asphalte, des passants dans les rues de Tokyo, souvent pris à la volée sans même regarder dans le viseur, des canettes abandonnées. Il observe le bourdonnement du monde.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

Dans Katsura Imperial Villa (1953/54 et 1981/82) Yasuhiro Ishimoto montre les formes traditionnelles de l’architecture japonaise et les cadre d’une manière telle qu’il s’efface jusqu’à l’abstraction. Ainsi les shojis, ces panneaux qui glissent et délimitent les pièces de la maison, apparaissent comme des rectangles blancs monochromes derrière l’épure d’un jeu de lignes, horizontales et verticales. La villa Katsura, résidence impériale située à Kyoto, fut achevée au XVIe siècle, Ishimoto la photographie à plusieurs périodes et en montre les différents plans et profondeurs, du pavillon de cérémonie du thé aux jardins. Il joue sur les pleins et les déliés du vide prêtant au calme et à la méditation, capte les pierres qui relient un bâtiment à l’autre, rapporte des fragments sur lesquels il zoome.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

De ces va-et-vient entre deux continents et deux identités, Yasuhiro Ishimoto réalise une œuvre forte et rigoureuse dans sa composition. Figure majeure de la photographie japonaise, reconnu tardivement car souvent en décalage temps-espace, il se fait le passeur entre deux cultures, deux visions et perceptions de la photographie. Dans ses clichés, tout est construction, épure et chorégraphie. La lumière conduit à l’abstraction du sujet et sculpte le détail, montre les textures, sable, pierre, neige, feuilles, alignement des tuiles. Il joue subtilement de contraste et ne s’inscrit pas dans le mouvement de photo réaliste de son époque. Son regard, ses recherches sont ailleurs. II aime le décentrement, l’étrangeté du flou et le reflet, les ombres, la fixité de la géométrie, l’écriture dans la pierre, ainsi que la vraie vie. Il est dans une approche formelle et non pas documentaire même s’il est le témoin d’une époque, ici et là-bas. Il élabore une science de l’architecture et ouvre la voie à d’autres générations, y compris dans une nouvelle façon de concevoir le livre de photographies. Le Bal, fidèle à ses missions de recherche et d’expérimentation autant que de transmission, en partenariat avec le Ishimoto Yasuhiro Photo Center, s’en fait le porte-parole d’une manière flamboyante et subtile.

Brigitte Rémer, le 18 septembre 2024

Le Bal, jusqu’au 17 novembre 2024, le mercredi de 12h à 20h, du jeudi au dimanche de12hà19h, fermé le lundi et le mardi – 6 impasse de la Défense, 75018. Paris – métro : Place Clichy – tél. l 01 44 70 75 50 – site : www/le-bal.fr

Édition d’un catalogue, IIshimoto, Des lignes et des corps, coédition Atelier EXB, LE BAL, 216 pages (55 €)

La Symphonie tombée du ciel

Conception et direction artistique Samuel Achache, Florent Hubert, Eve Risser, Antonin Tri-Hoang, Orchestre La Sourde – à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet.

© Joseph Banderet

Après Concerto contre piano et orchestre, l’équipe de La Sourde – Samuel Achache, Florent Hubert, Eve Risser, et Antonin-Tri Hoang – se lance dans une Symphonie tombée du ciel qui nous mène du côté des mystères et de l’invisible, qu’on appelle les miracles.

Le spectacle s’est structuré à partir de récits collectés notamment en Ehpad, prison, dans une école et sur le trottoir. Ces récits déconstruits et reconstruits nous arrivent par bribes, avec des voix émanant de partout, à travers des hauts parleurs de différentes tailles et qui émaillent la scénographie. Ils se frayent un chemin au milieu de seize interprètes et de leurs instruments qui composent une écriture musicale faite de solos et d’ensembles, de psalmodies et de chœurs, de consonances et dissonances. Une sorte de sculpture comme une figure-totem sert de supports à d’autres haut-parleurs que le sonneur de cloches déclenchera, et qui plus tard serviront de points lumineux comme étoiles dans le ciel.

© Joseph Banderet

On commence par une petite séquence de bricolage où une sorte de chef d’orchestre-mécanicien met en place ces caisses de résonnance d’où sortent de courts témoignages et qui établit une certaine complicité avec les musiciens. Atmosphère détendue tant dans les gestes que dans les costumes, dont certains scintillent, séquence plutôt pince-sans-rire où la chanteuse-flûtiste déploie des adjectifs d’admiration à gorge déployée, qui font contagion et que chaque musicien traduit « prodigieux… extraordinaire… fantastique… » comme un miracle, et comme « résistance à la dictature de la vie. » Plus tard, sa robe pleine d’écailles deviendra percussion. Chef et cheffe d’orchestre se relaient, selon les moments, captant l’attention des musiciens, concentrés et structurés en deux groupes : les cordes – violons, violoncelles, violes de gambe, contrebasses, guitare, ainsi que flûte et chant, côté jardin. Au loin le piano. En fond de scène et plus à l’est, autrement dit côté cour, les vents, trompette, trombone, clarinettes et saxophones, un peu fanfare des Beaux-Arts, à un moment.

Puis c’est autour de deux miracles formulés en direction de la Madone, deux grâces demandées, que se structure le spectacle : la première, énoncée en italien sous-titré, supplique pour qu’un père ne meure pas. On suit la montée du narrateur jusqu’au dôme où se trouve la Bonne Mère, un vrai Golgotha par un chemin pierreux et par grand froid, par le mouvement des arbres et le silence. Au-delà de la peur et de l’essoufflement, un silence positif permettant non plus de parler mais de réfléchir, et d’organiser le discours autrement. Là-haut, enfin, convivialité et communauté multiculturelle accompagnées d’hymnes à la Madone et musiques populaires à travers les instruments à vent et percussions. Au retour, trois jours plus tard, le miracle n’a pas lieu, le père meurt.

© Joseph Banderet

Second récit, l’ami venant demander grâce à travers une longue marche dans la neige qui se termine en roulé-boulé puis en vol d’oiseau après le descriptif de sa chute sur une plaque à vent qui l’a mené peut-être directement au paradis. « Tout est arrêté, je suis sous la neige… » Un coin de ciel bleu pourtant lui laisse un certain espoir. Des fils à linge auxquels sont accrochées des partitions descendent du ciel et les instrumentistes, debout, nimbés de surnaturel, suspendent leurs notes d’un phrasé à l’autre, suivant le dialogue et ponctuant le texte. Quelques musiciens s’auréolent d’un soleil doré.

Plusieurs narrations se superposent dans le dialogue entre le vocal et les instruments qui accompagnent, réagissent, paraphrasent, commentent et dialoguent. Si l’intention de l’équipe de création – le quatuor Samuel Achache, Florent Hubert, Eve Risser, Antonin Tri-Hoang – semble relativement claire dans l’idée de contredire et démultiplier la parole, celle-ci manque d’ampleur et ne semble pas exploitée comme elle aurait dû au regard du travail effectué pour la collecter.

© Joseph Banderet

On s’accroche donc aux musiciens, magnifiques dans leur capacité d’attention et d’écoute entre eux, et à ces deux récits qui restent assez vagues par rapport au thème annoncé des miracles, hormis la marche vers une quête certes difficile à cerner et qui ici semble encore inexplorée. Sur ce sentier nimbé mais au bord de la falaise, Jean-Luc Godard, donné en référence de La Symphonie tombée du ciel, indique la direction : «  Qu’est-ce que la musique ? rien. Que peut-elle ? tout. »

Brigitte Rémer, le 19 septembre 2024

Avec : Thibault Perriard en alternance avec Guihem Flouzat, batterie, guitare – Eve Risser, piano, flûte – Samuel Achache et Olivier Laisney, trompettes – Antonin-Tri Hoang, clarinettes, saxophones – Florent Hubert, clarinettes basses, saxophones – Anne-Emmanuelle Davy, flûte, chant – Rose Dehors, trombone, sacqueboute – Apolline Kirklar et Boris Lamerand, en alternance avec Marie Salvat, violons – Pauline Chiama et Etienne Floutier, violes de gambe – Gulrim Choï, Myrtille Hetzel, violoncelles – Mattieu Bloch, Caroline Peach, contrebasses. Collaboration son et dramaturgie, Chloé Kobuta – création lumières et régie générale, Maël Fabre – création et régie son, Julien Aléonard – costumes Pauline Kieffer – regard sur la scénographie Lisa Navarro, assistante Alice Le Coënt.

Athénée Louis-Jouvet, Mercredi 18, Jeudi 19, Vendredi 20, Samedi 21, Mercredi 25, Jeudi 26, Vendredi 27, Samedi 28 septembre à 20h – 2/4 square de l’Opéra Louis-Jouvet. 75019. Paris – métro : Opéra – site : www.athenee-theatre.com – tél. : 01 53 05 19 19 – En tournée : jeudi 10 octobre 2024, Le Grand R/Scène nationale de la Roche-sur-Yon – mercredi 11 décembre 2024, Théâtre de Caen – 13 au 20 décembre 2024, Théâtre national de Strasbourg.

Le mage du Kremlin

Adaptation du roman de Giuliano Da Empoli et mise en scène Roland Auzet, compagnie ACTOpus, à La Scala Paris.

© Thomas O’Brien

C’est un spectacle librement adapté du roman de Giuliano Da Empoli – essayiste et conseiller politique d’origine italienne et suisse – roman publié en 2022, qui a obtenu un immense succès en termes de lectorat et reçu le prix de l’Académie française.

Alors que l’actualité continue de se dégrader au regard d’une guerre déclarée par Poutine à l’Ukraine il y a plus de deux ans, ce roman écrit avant semble presque prémonitoire. Il nous mène dans la fabrique du pouvoir et de l’imposture. À la manœuvre et à la lisière de l’Histoire, romancée certes, la Russie et ses potentats, bien réels. Au-delà, les mécanismes du pouvoir qui se mettent en place, avec tout le cynisme et la délétère médiocrité.

Une lumière crue éblouit le spectateur qui entre dans le théâtre, comme sous surveillance et pris en défaut dans le projecteur de miradors. Ajoutant à la brutalité de l’accueil, trois murs de miroir et un sol noir luisant amplifient l’impression d’une perte de repères, avec le reflet des spectateurs démultipliés (scénographie et création lumières Cédric Delorme-Bouchard). On est dans le grandiose de l’architecture stalinienne, d’une autre manière. Tout est vu et sans aucune intimité. Entre les miroirs, des écrans sur lesquels des vidéos traduisent le fracas.

© Thomas O’Brien

Le ton est donné pour une traversée opaque au cœur du pouvoir soviétique, puis russe, de la fin du mandat de Boris Eltsine à l’avènement de Vladimir Poutine, nouveau tsar, en passant par la Perestroïka, sous le regard du buste de Staline, figure totem s’il en est, signant des millions de morts et qui se couvrira de sang au cours du spectacle.

On est d’abord à Moscou aujourd’hui, chez Vadim Baranov, dans un premier tableau où le personnage, plutôt mondain, semble s’inscrire dans un reality show. On y retourne dans le troisième et dernier tableau, alors que le second nous mène dans Un bureau du Kremlin, dans les années 2000. Les acteurs, présents sur scène pendant l’installation du public, plantent le décor d’une façon détendue avant que le spectacle débute, installant ce premier tableau chez Baranov, avec fauteuils et canapés gris très clair, piano en fond de scène, bar. Bourgeoisement installé, entouré de littérature française et de vodka, Baranov ayant déserté le pouvoir et pris sa retraite – ou battu en retraite – reçoit un jeune journaliste français, Pierre Barthélémy (Stanislas Roquette) ayant travaillé sur Evgueni Zamiatine, grand auteur interdit de publication à partir de 1922 et contraint à l’exil, et qui désire l’interviewer sur son parcours politique.

© Thomas O’Brien

Suspendu entre le réel et la fiction, c’est la carrière de Vadim Baranov metteur en scène puis producteur d’émissions de télé-réalité, féru de communication autrement dit agent de propagande, qui est racontée. Seul personnage de fiction dans le roman, on le surnomme le Mage du Kremlin. L’auteur s’est inspiré d’un certain Vladislav Sourkov, passionné de théâtre avant de devenir l’éminence grise de Poutine pendant une douzaine d’années, puis de démissionner. C’est lui, le « Raspoutine de Poutine ». qui a aidé à sa promotion, le propulsant de simple agent du KGB au rang de Tsar.  Baranov ne se départit jamais de son sourire glauque ni de sa lâcheté, y compris dans le privé avec son ancienne femme, Ksénia (Irène Ranson Terestchenko) qui le repousse. Philippe Girard interprète le personnage avec justesse, flegme et machiavélisme.

© Thomas O’Brien

L’adaptation du roman permet de dévoiler le mode opératoire d’un système qui se met en place pour passer d’un statut de personne ordinaire à celui de conseiller politique du régime, aux ordres du Tsar – le Tsar étant ici interprété par Andranic Manet, aussi glacial que poutinien. La métamorphose de Baranov en exécutif autoritaire, cruel et traitre à ses amis, se passe au Kremlin dans les années 2000. Traitre, y compris à son ami d’enfance, Boris Berezovsky – interprété avec bonhomie et subtilité par Hervé Pierre – qui lui suggère de créer avec lui un parti, celui de l’unité, « il nous faut fabriquer une unanimité, redonner de la dignité… » Berezovsky s’exilera à Londres, on apprendra plus tard qu’il se serait pendu, version officielle…! « Détruire, c’est la loi… » dit le texte, « la politique russe c’est la roulette russe… Le pouvoir s’occupe de toi. »

Entre politique et communication, Histoire et fiction, l’actualité passe dans le spectacle avec les drames de la Russie : le sous-marin nucléaire de Koursk, lanceur de missiles à longue portée qui ensevelit cent-vingt marins en exercice dans la mer de Barents ; la Tchétchénie, entre annexion et indépendance, où rien n’est réglé ; les prisonniers politiques, dont Alexeï Navalny militant anticorruption ennemi numéro un de Poutine, purgeant une peine de dix-neuf ans en Sibérie et mort cette année à l’âge de quarante-huit ans ; l’Ukraine et le vol de ses territoires.

Le texte brasse tout ce qui fait l’Histoire de la Russie, où « la rage et la haine de l’autre sont des données structurelles » : l’effondrement de l’URSS et la fin du communisme, les oligarques, leur argent et la corruption, le capitalisme, le complotisme, les idéologies, le mensonge d’état érigé comme acte de foi, la manipulation médiatique « arrêtez les images, remettez les images ! » la manipulation du peuple aveuglé par son dirigeant, son héros quel qu’il soit, descendant d’Ivan le Terrible, la vertigineuse verticalité, un monde d’hommes au Kremlin, la haine de l’occident. L’occidental, arrogant, se trouve d’ailleurs sur le banc de touche, apostrophé à plusieurs reprises.

© Thomas O’Brien

A la fin, les séquences s’enchaînent, s’annulant un peu les unes les autres, le spectacle a du mal à écrire le mot Fin : apparition-choc des Loups de la nuit, club informel russe de motards à sa création en 2013 pendant la Perestroïka, qui acquiert une importance politique et se rapproche du pouvoir poutinien ; séquence filmée dans le cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois avec Evgueni Prigojine, chef de la milice Wagner ; chanson des Pussy Riot, ces féministes punk envoyées en camp de travail pour avoir profané, dit-on, une église orthodoxe. Et si les femmes n’ont pas leur place dans les enjeux politiques poutiniens, les actrices (Irène Ranson Terestchenko, Karina Beuthe Orr et Claire Sermonne), apportent au spectacle une belle énergie qui a force de contestation.

Compositeur en même temps que metteur en scène, Roland Auzet s’intéresse depuis plusieurs années à l’histoire contemporaine. Dans ses travaux les plus récents il a notamment questionné l’identité européenne avec Nous, l’Europe, Banquet des peuples de Laurent Gaudé en 2019, qui continue de tourner et a été présenté à Kyïv (Ukraine) en 2024. Il a travaillé la mémoire de la Révolution Culturelle chinoise impulsée par Mao Zedong (1966-1975) avec Luo Ying, ancien garde rouge devenu poète, et présenté en 2022 sur le sujet Adieu la mélancolie. Il a mis en scène Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès avec deux actrices en duo, et conçu, depuis une vingtaine d’années, de nombreux spectacles. Roland Auzet a collaboré avec Giuliano Da Empoli à l’adaptation de son roman. Il met en scène, sur la ligne de crête, la folie du pouvoir aujourd’hui, à travers l’Histoire en train de se faire et d’un pays en train de se défaire. « Poutine finira par s’ensevelir sous les murs de la Russie… » dit le texte.

Brigitte Rémer le 14 septembre 2024

Avec : Philippe Girard, Hervé Pierre, Stanislas Roquette, Irène Ranson Terestchenko, Karina Beuthe Orr, Claire Sermonne, Andranic Manet – à l’écran Jean Alibert et Anouchka Robert – scénographie, création lumières Cédric Delorme-Bouchard – création vidéo et musique Wilfried Wendling – costumes Victoria Auzet – assistante à la mise en scène Pauline Cayatte – images de Gilles Cayatte – régie Jean Gabriel Valot (générale), Thomas Mirgaine (son), Jonathan Rénier (vidéo), Adrien Bonnin (lumières)Le mage du Kremlin, de Giuliano da Empoli est publié aux éditions Gallimard, (2022).

Du 4 septembre au 3 novembre 2024, du mercredi au samedi à 21h. Le dimanche à 17h – à La Scala Paris, 13 boulevard de Strasbourg. 75010. Paris – métro : Strasbourg-Saint-Denis – tél. : 01 40 03 44 30 – site : www.lascala-paris.fr – En tournée : 14 novembre, la Scala Provence, Avignon (84) – 19 novembre, Théâtres en Dracénie, Draguignan – 21 au 23 novembre, Théâtre du Gymnase /Friche belle de Mai,  Marseille (13) – 27 au 29 novembre, Théâtre national de Nice (06) – 3 décembre, Théâtre Francis Palmero, Menton (06).

La Chute

D’après l’œuvre d’Albert Camus – adaptation Jacques Galaup – Interprétation et mise en scène Jean-Baptiste Artigas, compagnie La Belle Équipe – au Théâtre Essaion.

© Philippe Hanula

L’acteur est seul en scène et le personnage se raconte avec volubilité dans un discours adressé. Son interlocuteur n’est qu’imaginaire, matérialisé sur scène par un fauteuil de bois qui fait face au sien. Dans un coin du Mexico City où il le rencontre, un bar à matelots d’Amsterdam face à la mer du Nord, dans le quartier du Zeedjik, un piano aux entrailles ouvertes, laisse voir sa mécanique. Les verres de genièvre sitôt finis se remplissent, comme le texte de Camus se remplit de subjonctifs imparfaits, qui amusent l’auteur mais pas forcément le lecteur plongé dans le texte original.

L’adaptateur, Jacques Galaup, a heureusement donné les coups de canif nécessaires pour que le texte s’allège. Tout en gardant fidélité, il l’a construit en cinq journées, le texte source avait six chapitres non titrés et passait relativement du coq à l’âne entre Amsterdam et Paris, hier et aujourd’hui, entre colombes, retour du crucifié et tableau de Jan Van Eyck.

© Philippe Hanula

Et l’acteur, Jean-Baptiste Artigas, fait prendre le vent à ce texte subtilement ré-adapté. Il réussit même, par son empathie, à rendre le personnage sympathique, alors que, dans le texte du Prix Nobel de littérature, à travers un cynisme égotique et une parfaite misogynie, il ne l’est point. « Il faut le reconnaître humblement, mon cher compatriote, j’ai toujours crevé de vanité. » Ce personnage, Jean-Baptiste Clamence – un second Jean-Baptiste –  règne au Mexico City et prend son interlocuteur en otage, lui adressant ses harangues d’une façon fort polie et quasi obséquieuse à coup de « Mon cher compatriote » et étale sa brillante connaissance d’Amsterdam, ses rues, ses boutiques, ses enseignes. La réponse, le commentaire et la contradiction de fait sont muets, et l’adresse, à sens unique. « Puis-je, monsieur, vous proposer mes services, sans risquer d’être importun ?… Mais je me retire, monsieur, heureux de vous avoir obligé… » On est vraisemblablement dans un jeu de double et de miroir, je face à il et il étant je.

Éloquent, Jean-Baptiste Clamence se présente comme juge-pénitent et se répand sur ses activités d’antan : il était avocat à Paris et défendait « les nobles causes. La veuve et l’orphelin, comme on dit… Je suis sûr que vous auriez admiré l’exactitude de mon ton, la justesse de mon émotion, l’indignation maîtrisée de mes plaidoiries… » Par quelques petites phrases sibyllines Clémence installe cependant comme un doute dans son parcours : « J’ai plané jusqu’au jour où… » avant de repartir dans une nouvelle logorrhée. Arrive l’heure de la confession qui éclaire ce doute d’un événement qui aurait fait basculer sa vie et commence sur le Pont-des-Arts par un rire qu’il entend et le hante, auquel il répondra par des débordements et des provocations gratuites ; puis rupture d’avec lui-même qui se consomme sur le Pont Royal quand il entend le bruit d’un corps « qui s’abat sur l’eau. » Une jeune femme qu’il avait juste aperçue de dos et penchée sur le parapet, s’était laissé tomber dans la Seine. Il avait suivi son cri descendant le fleuve, sans la secourir avant de continuer sa route, comme si de rien n’était. Et l’on se prend à penser au Cri de Munch, ce peintre norvégien…

© Philippe Hanula

Se superpose à ce récit de vie qui se poursuit, l’image du crucifié, Clémence sûrement selon le jeu de l’acteur. « Il y a toujours des raisons au meurtre d’un homme » justifie-t-il, avant de faire un petit discours sur les croyants les mécréants, et leur justification « Au nom du Seigneur. » Certes l’événement le traumatise, mais Clamence reste au centre du jeu, au centre de son monde. Il décide alors de devenir juge-pénitent et met ce nouveau rôle en correspondance avec le tableau de Jan Van Eyck, Les Juges intègres, panneau issu du retable de « L’Adoration de l’agneau mystique. » Camus file la métaphore puisque dans le Mexico-City, ce bar à matelots d’Amsterdam, quartier général du personnage, ce dernier avait remarqué sur le mur du fond, un rectangle vide, comme la trace d’un tableau manquant. Or, le tableau de Jan Van Eyck, mort à Bruges au milieu du XVe a bien été volé, en 1934, dans la cathédrale de Gand, et n’a jamais été retrouvé. Dans la chambre de Clamence souffrant où il reçoit son interlocuteur, on le retrouve au fond d’un placard, le juge-pénitent en indique lui-même l’endroit en expliquant pourquoi il s’y trouve après être passé de mains en mains.

© Philippe Hanula

Le texte de Camus repris sur scène se clôt dans une sorte de délire artistico-mystique plongeant le lecteur dans le trouble et le flou, son personnage passant du « je » au « nous » entre Jugement dernier et provocation, faisant un pas de deux avec son interlocuteur imaginaire, justement avocat lui aussi… « Quelle ivresse de se sentir Dieu le père et de distribuer des certificats définitifs de mauvaise vie et mœurs. » Il parle de culpabilité et de pardon, de vérité et de mensonge, de mal-être et de suicide, de vanité, de liberté, et se termine par une pirouette : « O jeune fille, jette-toi encore dans l’eau pour que j’aie une seconde fois la chance de nous sauver tous les deux ! » Mais on peine là encore à le croire, car « l’eau est si froide » ajoute l’auteur…

C’est un texte plein de chausse-trapes dont se tire à merveille l’acteur, Jean-Baptiste Artigas qui le fait vivre comme un polar, avec subtilité et précision. De jeux d’ombre en clair-obscur, la lumière de Caroline Calen sculpte le petit espace de ce théâtre minimaliste, recréant les brumes d’Amsterdam et celles des ponts de Paris autant que la chorégraphie d’un prétoire où Clémence y tiendrait tous les rôles, d’huissier et de greffier, d’avocat et de victime, de procureur et de témoin. A certains moments il prend place au piano et offre au public une respiration musicale jazz bienvenue, entre autres Thelonious Monk, Fats Waller et Duke Ellington : l’acteur est aussi pianiste, chanteur et compositeur, il signe la mise en scène et se fait le passeur d’un texte, La Chute, au départ assez peu engageant.

Brigitte Rémer, le 9 septembre 2024

Texte d’Albert Camus, adapté par Jacques Galaup – Interprétation et mise en scène Jean Baptiste Artigas, dramaturgie Sophie Nicolas, collaboration artistique Guillaume Destrem, lumières Caroline Calen. Compagnie La Belle Équipe.

Du 1er septembre 2024 au 6 janvier 2025, dimanche à 18h, lundi à 19h, au Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, 75004 Paris – métro Rambuteau et Hôtel de ville – tél. : 01 42 78 46 42 – site : www.essaion.com

 

La Langue de mon père

Texte de Sultan Ulutaş Alopé, éditions L’Espace d’un instant, collection Sens Interdits. Préface de Timour Muhidine.

Première de couverture

La collection Sens Interdits des éditions L’Espace d’un instant s’est donnée pour mission de permettre à un texte présenté sur scène, de dépasser l’éphémère de la représentation et d’exister, dans une petite éternité. Comme la douleur. Celle d’être ou de ne pas être. Car c’est un texte de douleur, celle d’une jeune femme à l’identité incertaine – turque et kurde par son père – qui comprend très tôt la part obscure de cette double appartenance. « J’ai porté cette honte pendant une bonne partie de ma vie parce que mon père était de ce peuple. »

Ce père, le grand absent de sa vie, a délaissé sa mère quand Sultan avait une petite poignée d’années. Une mère dessinée en creux qui se bat pour élever ses trois filles dans un contexte patriarcal et qui, pour avoir épousé un Kurde en revendique sa culture, au grand dam de ses filles. Sulṭān, qui signifie souverain et pouvoir, et qui d’un pas de côté fait penser à l’éminent sultan, Soliman le Magnifique, à la tête de l’Empire Ottoman, au XVIe siècle. Un prénom que sa mère ne souhaitait pas pour elle, mais sous lequel son père avait déclaré la naissance, car c’était le prénom de sa grand-mère qu’il adorait. Il appelait donc souvent sa fille « Mamie Sultan », une lourde charge.

Mais c’est ici une Sultan(e) qui se bat contre ses fantômes et lance son adresse au père dans une langue qu’il ne connaît pas, le français, langue apprise en exil, encore fragile pour elle. Son parcours de vie se calque sur le texte, se métamorphose en histoire et devient matière théâtrale. Elle-même se fait personnage, seul son prénom demeure. Alors qu’elle attend sa carte de séjour, en France où elle était d’abord venue étudier avant de vouloir y travailler, pour tuer le temps, elle décide d’apprendre la langue kurde, avec le désir de se rapprocher du père pour mieux le comprendre, et de percevoir les zones d’ombre de son passé. Première phrase apprise au cours : « Tu ji ku derê yî ». D’où tu viens ? De quel peuple es-tu ? » question immédiatement entendue quand on rencontre quelqu’un, en Turquie.

La famille vit au rythme des va-et-vient du père « Au bout d’un certain temps nous avons arrêté de compter les jours, les semaines et les mois où tu t’absentais » si bien que « le mot famille ne t’inclut pas… Tu es simplement hors de ce mot » confesse Sultan. Les échanges téléphoniques se font rares et douloureux, comme ce jour où elle retrouve sa trace après de longues années de silence et l’appelle au Kazakhstan où il s’est installé et a refait sa vie, un père qui lui dit pourtant qu’il l’aime – « Seni seviyorum » en turc – et qui lui envoie le lien d’une chanson traditionnelle kurde, Le Figuier.

Photo du spectacle © Jeanne Garraud

Sultan reconstruit le parcours du père, par bribes, à travers la mémoire de la mère, lui qui ne disait jamais mot lors de ses brefs passages en famille : son village, situé à l’extrême Est de la Turquie près de la frontière arménienne ; sa beauté quand il était jeune et son envie de devenir une star de cinéma ; le saut dans l’inconnu quand il sèche le collège à l’âge de treize ans et part pour Istanbul ; les petits jobs d’Istanbul. Le passé se mêle au présent et à certains moments la violence affleure puis se précise. L’auteure se souvient d’un danger au sein du couple et de menaces sur la mère, de la mort qui rôde. « Tu sais, un enfant peut aussi perdre la raison », écrit Sultan qui un jour va jusqu’à cauchemarder que le père la viole, et en culpabilise. « Quand j’avais sept ans tu nous avais déjà quitté pour la première fois… »

« Assumer d’être kurde, ça veut dire aussi que ton existence fait partie de la mienne…Nos existences sont mêlées et elles le resteront toujours » lui déclare Sultan avec émotion. Le texte se termine sur un pardon. « Je te pardonne en français, en turc, en kurde et dans toutes les autres langues du monde. » Cette lettre au père se ferme sur une question : « Qu’est-ce que tu en penses ? » lance-t-elle, espérant une réponse qui peut-être ne viendra pas, sauf si elle-même l’écrivait un jour.

Photo du spectacle © Jeanne Garraud

La Langue de mon père est un texte sobre et sensible, le style en est simple et clair, Sultan resserre la focale photographique à la recherche de plus de netteté sur les événements familiaux et ce père fantasmé. Le texte a été sélectionné pour le Prix Sony Labou Tansi des Lycéens 2025. L’auteure, metteure en scène et actrice en avait présenté une première lecture en 2022 au Théâtre L’Elysée, à Lyon, dans le cadre du Festival Contre-Sens qu’a fondé Patrick Penot, directeur de la collection Sens Interdits aux éditions L’Espace d’un instant – avec Olivier Neveux qui assure la présidence de l’association portant le même nom. Elle en a ensuite montré une première étape de travail en avril 2023 à Lyon, au Théâtre des Clochards Célestes – lieu qui soutient la jeune création et appartient au réseau Scènes Découvertes – avait présenté la pièce au Festival Mythos de Rennes, puis l’a créée au Théâtre de La Manufacture dans le cadre du Festival Avignon-Off, avant de la jouer en janvier 2024 au Théâtre National de Strasbourg. Jeanne Garraud, auteure et metteure en scène que Sultan avait rencontrée à son arrivée en France, en 2017, l’a accompagnée, en collaborant à la mise en scène.

Née à Istanbul en 1988, Sultan Ulutaş Alopé a d’abord obtenu un diplôme d’ingénierie avant de suivre quatre années de formation en art dramatique dans sa ville puis de s’inscrire en master cinéma et art dramatique. C’est dans ce cadre qu’elle a obtenu une bourse et construit un échange avec l’ENS de Lyon où elle a passé un an, suivi d’une année au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris – dans la classe de Nada Strancar. L’auteure situe son travail entre la pratique de l’écriture et le jeu théâtral. La Langue de mon père est son premier texte de théâtre écrit en français, sa langue de liberté. C’est un texte de résilience, sans haine ni rébellion à l’égard du père, comme une petite musique de nuit où elle a glissé quelques phrases en kurmanjdi – la langue kurde du nord, confirmant son identité retrouvée devenue aujourd’hui sa fierté.

Brigitte Rémer, le 31 août 2024

Texte de Sultan Ulutaş Alopé, éditions L’Espace d’un instant, collection Sens Interdits – Ouvrage publié avec le soutien du cercle des mécènes de la Maison d’Europe et d’Orient – Deuxième tirage, juin 2024, 51 pages (10 euros).

La Langue de mon père sera repris en tournée : le 3 octobre 2024, au Festival Les Théâtrales de Mourenx (64) – le 8 octobre 2024, à l’Université de Lyon (69) – les 23 et 24 novembre 2024, au Festival International Théâtre Action de Grenoble – le 25 février 2025, à l’Université de Rouen – du 19 au 23 mars 2025, au Théâtre des Quartiers d’Ivry – le 12 avril 2025, au théâtre ambulant de la Compagnie Autochtone – le 22 mai 2025, au Festival des arts du récit d’Eybens (38).