Archives mensuelles : août 2024

Créer des Ballets au XXIe siècle

Enquête sur les nouveaux classiques, de l’Opéra de Paris au Bolchoï – par Laura Cappelle, CNRS éditions.

L’auteure s’est lancée dans une enquête approfondie sur une forme spécifique de la danse, le Ballet qui, dans un monde artistique en ébullition et recherche permanentes, pourrait sembler suranné et n’avoir guère droit de cité dans le champ de la danse contemporaine.

En effet depuis une quarantaine d’années la danse est sortie de son cadre et s’est métamorphosée à travers de nombreux vocabulaires et techniques, puisant dans le sport, le théâtre, le jazz, les arts de la rue et les arts visuels ; ses formations – compagnies et collectifs – sont devenues plus épisodiques ou éphémères ; ses modes de production, plus volatiles et aléatoires.

En tête chercheuse, Laura Cappelle se penche sur la question du classique et nous invite à revisiter certains a priori, car dit-elle, d’une part « la danse classique crée », d’autre part un certain nombre de chorégraphes de la nouvelle génération, remarqués dans le monde de la chorégraphie contemporaine – comme Crystal Pite, Justin Peck et d’autres – ont reçu une formation classique. Elle montre l’évolution du Ballet, encore bien vivant confirme-t-elle, à travers une enquête qu’elle réalise sur quatre terrains judicieusement choisis, chacun ayant joué un rôle déterminant dans l’histoire de la danse : le Ballet de l’Opéra de Paris, le Ballet du Bolchoï (Moscou), l’English National Ballet (Londres), le New York City Ballet. Elle observe leurs remises en question et la re-création de spectacles, dans un contexte social et politique aujourd’hui bien différent. Un cahier-photos au centre de l’ouvrage montre en images le travail de chacune des troupes.

Le prisme de son analyse traverse sept points, dont les deux premiers sont comme un inventaire des mots et des techniques du ballet et le recensement des chorégraphes dits classiques, pratiquement tous passés par la case danseur. Le troisième chapitre touche à la création chorégraphique, travail collectif s’il en est, même si la partie technique verrouillant le spectacle arrive souvent tardivement ; le quatrième parle du geste et de l’approfondissement du mouvement, notamment en studio où se croisent chorégraphes, répétiteurs et danseurs ; le cinquième chapitre évoque le genre et les inégalités, et les deux derniers mettent en avant l’imaginaire, dans sa construction sociale d’une part, dans le trouble qu’il apporte à l’univers classique, d’autre part. L’auteure évoque aussi avec beaucoup d’honnêteté les critiques souvent énoncées face au genre classique et qui en trace les limites, entre autres : « son manque de diversité, l’absence relative de femmes chorégraphes, les stéréotypes de son répertoire historique », sans oublier le « mythe du génie artistique. »

1 – Ballet de l’Opéra national de Paris © Laurent Philippe

Dans le ballet classique les saisons se partagent entre la reprise d’œuvres existantes, principalement des ballets hérités du XIXe siècle, et l’accueil de chorégraphes pour la re-création de pièces du XXe et du début du XXIe, dans le cadre de la circulation des artistes qui s’est amplifiée, notamment au plan international. Chaque troupe garde un rapport spécifique au répertoire, à la tradition, à la mémoire et à la création, qui varie en fonction de sa structure administrative : il y a, note l’auteure ceux qui sont abrités dans des maisons d’opéras, qui en dépendent administrativement et qui reçoivent les directives de l’institution, c’est le cas du Ballet de l’Opéra de Paris et du Ballet du Bolchoï ; d’un autre côté il y a les compagnies classiques relevant de structures indépendantes comme le New-York City Ballet et l’English National Ballet.

Guidé par Laura Cappelle, le lecteur entre ensuite dans le processus même du travail chorégraphique et ses étapes, depuis la première esquisse de la chorégraphie jusqu’à l’approfondissement du geste, à sa précision et perfection recherchées, après corrections en studio. Elle donne de nombreux exemples, déclinant la typologie des relations entre chorégraphes, maîtres de ballets, répétiteurs et danseurs, l’articulation entre le geste et la musique « subdivisée en phrases, en mesures et en temps », et une certaine inégalité dans le temps du travail en studio, selon les catégories d’interprètes.

2 – Ballet du Bolchoï © Alice Blangero

Pour clarifier les logiques de création classique et comme suite à son observation de terrain, Laura Cappelle propose ensuite une lecture à partir de trois idéaux-types – ces outils méthodologiques mis au point par le sociologue Max Weber – trois logiques qu’elle qualifie de logique conventionnelle, quand le travail s’inscrit dans un rapport fort à l’histoire de la danse ; de logique dramatique, quand le sens de la danse passe avant les pas ; de logique plastique quand le corps classique devient terrain d’expérimentation, repoussant les limites physiques et formelles de la danse classique.

Le chapitre 5 intitulé Émanciper la muse : le genre à l’œuvre s’ouvre sur la parole de la chorégraphe Crystal Pite échangéee au cours d’une interview avec l’auteure : « Les femmes non-conformistes tendent à quitter le monde de la danse classique tôt. Elles se rendent compte qu’il ne correspond pas à leurs aptitudes. » Laura Cappelle démonte alors l’idée que la danse classique serait majoritairement féminine, comme le laissent à penser les représentations sociales occidentales et nuance singulièrement ce propos qu’elle désigne comme trompeur. Les femmes sont minoritaires dans les fonctions de direction artistique ou comme chorégraphes classiques, elle rappelle que la séparation masculin/féminin se fait dans les cours dès le plus jeune âge, et que par ailleurs les alphabets ne sont pas les mêmes, les hommes apprenant le porté et la femme les pointes. Elle parle aussi de la relation homme-femme dans le ballet classique et dans le « jeu » de la muse et du pygmalion, de l’infantilisation des interprètes dans les apprentissages et du sexisme au quotidien, de l’autocensure de la danseuse pour accéder au rang de chorégraphe.

3 – English National Ballet © Altin Kaftira

Dans la relation du classique à l’imaginaire dont elle cherche la définition du côté des philosophes comme Jung et Bachelard, ou plus récemment de Joël Thomas, elle évoque la mémoire corporelle – vecteur de stéréotypes et façonnée par le répertoire – comme réservoir de propositions possibles. Faisant référence à ses échanges avec les artistes, l’auteure démontre que la mémoire institutionnelle agit sur la forme des ballets créés, car « les institutions portent une mémoire chorégraphique propre, transmise aux acteurs par les reprises et créations du répertoire. » Elle présente une esthétique de l’entrelacement qu’elle définit comme tissage entre le vocabulaire classique et la référence à d’autres œuvres et d’autres styles. « Le rôle de l’imaginaire dans la création classique permet de penser la dimension sociologique de cette notion : marqué par la socialisation des acteurs et par les répertoires que ceux-ci traversent en tant qu’interprètes, il informe profondément le travail créatif dans les institutions. » Elle pose la question du style : « identifié, un style permet d’assurer l’authenticité théorique et la valeur de l’œuvre. » Style utilisé dans un autre sens pour désigner ce que la danse classique appelle les écoles ou encore « une capacité supérieure de l’artiste à proposer quelque chose d’unique. »

4 – New-York City Ballet © Paul Kolnik

En concluant son ouvrage, Créer des ballets au XXIe siècle, d’une grande richesse, Laura Cappelle rappelle que « le processus de création en danse classique a la particularité de favoriser l’insertion d’une figure souvent nomade, le chorégraphe, dans des institutions principalement vouées à l’entretien d’un répertoire existant » et confirme que « si les chorégraphes sont aujourd’hui les auteurs désignés des ballets, le processus de création classique n’en apparaît pas moins comme profondément social et collectif. »

L’angle de vue qu’elle développe avec minutie, dans cette passionnante Enquête sur les nouveaux classiques, de l’Opéra de Paris au Bolchoï, prend aussi pour points d’appuis la référence aux sociologues qui ont ouvert de nouvelles voies, comme Howard Becker et Pierre Bourdieu, Raymonde Moulin et Pierre-Michel Menger, Bernard Lahire. Sa position de chercheuse et de journaliste lui a été un bon passeport, comme elle le dit dans son introduction, de même que la connaissance de la danse classique qu’elle a pratiquée en amateure pendant plus d’une douzaine d’années. Après l’ouvrage collectif réalisé sous sa direction, Nouvelle histoire de la danse en Occident – de la préhistoire à nos jours, vingt-cinq chercheurs internationaux apportaient leur contribution (cf. notre article du 9 décembre 2021), Laura Cappelle s’est affrontée de manière ambitieuse à un sujet sensible et complexe dans lequel elle creuse son sillon avec beaucoup d’intelligence et de finesse. Sa recherche est précieuse, elle tord le cou à de nombreux a priori et stéréotypes. Sa force de conviction réside en son travail, basé sur l’observation participante et la collecte de la parole des artistes, danseurs et chorégraphes.

Brigitte Rémer, le 25 août 2024

Créer des ballets au XXIe siècle – Enquête sur les nouveaux classiques, de l’Opéra de Paris au Bolchoï, par Laura Cappelle, CNRS éditions, avril 2024, 369 pages, (25 euros) – Photographie de couverture : Maia Makhateli dans Frida, d’Annabelle Lopez Ochoa, Dutch National Ballet, © Carlos Quezada – site : www.cnrseditions.fr

Visuels : 1/- Naïla, esprit de la source (Myriam Ould-Braham) et le chasseur Djémil (Josua Hoffalt), dans La Source, chorégraphie de Jean-Guillaume Bart. Ballet de l’Opéra national de Paris, 2011 © Laurent Philippe – 2/- Petruchio (Vladislav Lantratov), ivre, lors de son mariage avec Katharina, dans La Mégère apprivoisée, chorégraphie de Jean-Christophe Maillot. Ballet du Bolchoï, 2014 © Alice Blangero – 3/- Annabelle Lopez Ochoa en répétition de Broken Wings, chorégraphie d’Annabelle Lopez Ochoa. English National Ballet, 2016 © Altin Kaftira – 4/- Georgina Pazcoguin et Andrew Veyette, dans New Blood, chorégraphie de Justin Peck. New-York City Ballet, 2015 © Paul Kolnik.

Tous danseurs

30 artistes qui font la danse d’aujourd’hui et de demain, par Dorothée de Cabissole, aux éditions Marabout.

1ère de couverture

C’est un livre plein de charme dans lequel on peut piocher à la recherche de l’oiseau/l’oiselle rare, danseur ou danseuse qui nous a fait vibrer ou qui va nous prendre dans ses ailes pour nous emmener bien haut dans le ciel de ses émotions. À feuilleter, à butiner ou à dévorer, dans tous les cas à savourer tant la conception graphique et les photographies pleine page sont séduisantes et donnent envie.

Alors entrons dans le mouvement avec ce portrait des différents styles et formes de danses ouvrant sur une multiplicité de langages corporels qui rappelle, ou qui appelle, la danse classique, contemporaine, hip-hop, breaking, krump, électro, voguing, waacking, danses en talons, danses de salon, flamenco, à travers la parole de trente danseurs et danseuses. Le cœur du dispositif est un podcast, Tous danseurs, dans lequel l’auteure, Dorothée de Cabissole, passionnée de danse et qui la pratique depuis l’enfance, donne la parole à des acteurs/actrices de toutes les danses, dans le but de rendre leur art accessible à tous.

D’un classement en onze techniques et expressions dansées, la danse contemporaine occupe un tiers du livre. « C’est le territoire du présent et de l’avant-garde pour toutes les générations de chorégraphes… Elle n’a pas de frontière esthétique et ne cesse d’imaginer des ailleurs » dit l’auteure qui en reprend le développement depuis les années 1930, aux États-Unis et en Allemagne, pour arriver en France une quarantaine d’années plus tard. Isadora Duncan, Loïe Fuller, Ruth Saint-Denis contribuent à l’avènement d’une nouvelle danse qui va se développer avec Martha Graham et Merce Cunningham. « Pour moi, Cunningham, c’est le Marcel Duchamp de la danse. Il a mis le curseur si haut, avec une conception si avant-gardiste de l’idée qu’on avait de l’art, que la plupart des artistes essaient encore de combler ce vide », dit Angelin Preljocaj – auteur de la préface du livre – qui, en tant que chorégraphe, s’est imprégné de son vocabulaire.

L’auteure évoque la révolution de la danse à partir de 1960, avec l’émergence de la postmodern dance et de Pina Bausch avec le Tanztheater qui casse l’image du danseur parfait, et crée un langage nouveau basé notamment sur le collectif. Puis elle décline les mutations de la danse en France à partir de 1970, avec le développement de la danse contemporaine puis l’institutionnalisation une dizaine d’années plus tard avec Michel Guy puis Jack Lang comme ministres de la Culture, avec Georges Frêche comme Maire de Montpellier et l’implantation dans la ville de Dominique Bagouet et du festival Montpellier Danse, de la création des lieux de diffusion et de celle d’un diplôme d’enseignement de la danse contemporaine.

Assembly Hall, de Crystal Pite © Michael Slobodian

Dorothée de Cabissole liste les chorégraphes de renom venant de tous les points du monde dont Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet, Anne Teresa de Keersmacker, Blanca Li, Mourad Merzouki, Ohad Naharin, Angelin Preljocaj, Rachid Ouramdane, Crystal Pite, Hofesh Shechter et met la focale sur beaucoup d’autres, parcourant leur biographie et les questionnant sur leurs parcours, sur ce qu’ils aiment.

Elle poursuit son inventaire avec des techniques populaires, ou parfois moins connues, définit le hip-hop comme « une culture positive, un mouvement, une philosophie », proche du graffiti pour les arts visuels et expression de la révolte en interviewant plusieurs de ses chorégraphes, dont Ousmane Sy ; présente le breaking en son étymologie, ses origines et sa gestuelle ; le krump en parlant notamment de Grichka Caruge, son pionnier ; la danse électro et ses battles, danse cent pour cent française qui, à partir des années 2000, puise dans les musiques électroniques mixées par les DJ ; le voguing, syncrétisme de nombreuses influences dont les arts martiaux et les sports de combat ; le waacking, né dans les clubs gay, avec une de ses figures majeures, Josépha Madoki, née à Kinshasa (RDC).

Requiem(s) d’Angelin Preljocaj © Didier Philispart

Le livre se poursuit, investiguant autour de la danse en talons qui allie puissance et sensualité et dont la figure-phare est Yanis Marshall qui en assure la transmission dans le monde ; puis survole les danses de salon, témoignage de l’évolution de la danse et de la société qui a ses origines dans les danses de cour et inclut la danse sportive, une danse de compétition dont Fauve Hautot est une représentante inspirée ; le flamenco, qui a pour origine les danses populaires d’Andalousie et mêle la danse, la musique et le chant, avec Paula Comitre, comme étoile montante de la catégorie.

Tous danseurs, s’ouvre sur la préface d’Angelin Preljocaj : « Dans la danse j’ai trouvé ma vie, j’ai trouvé mon être. C’est ma façon d’exister », suivi des cent dates qui ont marqué l’évolution de la danse. Le livre se ferme sur un petit répertoire de livres et de films sur la danse, et la postface de Marion Motin : « Pour danser, j’ai besoin de musique, beaucoup. La musique me transcende et je n’ai besoin de rien d’autre. Être présente dans mon corps. Être là, c’est tout. » C’est un livre flamboyant et un magnifique itinéraire proposé par Dorothée de Cabissole qui met en lumière un art libre et créatif, la danse, et ceux qui l’inventent, la respirent et la vivent. Sa mise en page est pleine de vie et de couleurs, de photographies et de mots qui dansent.

Brigitte Rémer, le 11 août 2024

Tous danseurs – 30 artistes qui font la danse d’aujourd’hui et de demain, par Dorothée de Cabissole, Hachette Livre (Marabout), octobre 2023 (29,90 euros) – site : www.marabout.com – tél. : 01 43 92 35 97.

Danseuses et danseurs interviewés : Laura Arend – Mehdi Baki – Marion Barbeau – Camille Bon – Mellina Boubetra – Grichka Caruge – Paula Comitre – Dexter – Carlota Dudek – Johanna Faye – Jade Fehlmann – Jann Gallois – Fauve Hautot – Nicolas Huchard – Edouard Hue – Leïla Ka – Mehdi Kerkouche – Pablo Legasa – Germain Louvet – Josépha Madoki – Yanis Marshall – Brandon Masele – Matteo Masson – Antonin Monié – Nach – Laura Nala – Arthur Perole – Amalia Salle – Noé Soulier – Léo Walk. La préface est signée Angelin Preljocaj, la postface Marion Motin.

Hommage à Zakaria Ibrahim

Auteur-compositeur et chef d’orchestre, créateur du groupe musical El Tanbura et fondateur du centre El Mastaba, à Port-Saïd (Égypte).

© El Mastaba – Troupe El Tanbura

Né à Port-Saïd en 1952 d’une mère originaire de la ville et d’un père venant de Haute Egypte, Zakaria Ibrahim tient une place singulière dans le paysage musical égyptien. Investi très jeune dans le chant et la musique, il a consacré sa vie à la sauvegarde et la renaissance de la tradition musicale, remettant sur le devant de la scène le chant et les instruments traditionnels de la région de Port-Saïd, ville située à l’embouchure du canal de Suez. Il vient de disparaître, le 29 février 2024.

D’éducation musulmane, d’emblée les autres cultures l’animent et il est attiré par le chant. Il observe les musiciens de rue et connaît par coeur le répertoire du grand Abd el Halim Hafez. Sa jeunesse est marquée par la violence des événements politiques – la guerre liée à la nationalisation du Canal de Suez par Nasser d’une part, l’Égypte s’étant opposée à l’alliance tripartite entre Israël, la France et la Grande-Bretagne, en 1956 alors qu’il n’a que quatre ans ; la guerre des Six jours d’autre part, en 1967, alors qu’il en a quinze. Il est contraint avec sa famille et comme beaucoup d’autres à s’exiler plus de deux ans à l’intérieur du pays. Son père meurt quand il a dix-huit ans.

© El Mastaba – Zakaria Ibrahim

Désertant la violence et l’absence, Zakaria Ibrahim s’investit dans la musique et commence à chanter et à danser la Bamboutia, une danse traditionnelle de Port-Saïd. À partir de 1971 il engage des études au Caire où il crée un groupe musical à la Faculté d’Agriculture de l’Université Ein Shams et n’a de cesse de faire connaître la musique populaire à partir de la simsimiyya – une lyre ancienne que l’on trouve sur les bas-reliefs, dans les tombes des Pharaons – en préservant son authenticité. Au départ, le groupe intervient surtout lors des mariages. En 1980, quand il revient à Port-Saïd, Zakaria Ibrahim est devenu un militant activiste, ce qui lui vaut quelques mois de prison. Puis ce sont des rencontres avec quelques vieux maîtres de chants soufis qui lui permettent de structurer un groupe musical autour des joueurs de simsimiyya, qui attire aussi des jeunes. La troupe El Tanbura naît en 1988 et rassemble des musiciens de tous âges qui exercent d’autres métiers tout en étant artistes. Leur vocabulaire repose sur la simplicité, Zakaria Ibrahim n’illustre pas la tradition, il en transmet l’âme. Et les musiciens jouent comme ils vivent et font entendre leur musique.

Frédéric Lagrange dans son ouvrage Musiques d’Égypte, donne des précisions sur les instruments – « Tanbûra et simsimiyya désignent sensiblement le même instrument : une lyre à cinq cordes tendues sur une boîte de résonance ronde, utilisée sur la côte de la mer Rouge et au Yémen. » Il précise que la tanbûra, est utilisée dans la région d’Aswaân, en Haute-Égypte, tandis que la simsimiyya venant du Delta s’est diffusée dans la région du Canal de Suez dans la seconde partie du XXème siècle. On en jouait dans les cafés de Port-Saïd.

Tombe de Djeser, à Thèbes, (c.1420-1411 av. J.-C.) *

Zakaria Ibrahim a travaillé tout au long de son parcours musical et de sa vie, sur la transmission, en collectant la musique traditionnelle de la région de Port-Saïd, et dans la générosité du partage. A partir de 1994 El Tanbura commence à jouer au Caire et à former un public. La troupe fait une première tournée à l’étranger, en France, et donne un concert à la Cité de la Musique, en 1996. Puis elle voyage et diffuse sa musique – locale et globale – à travers les festivals, partout dans le monde. Chaque mercredi El-Tanbura se produit avec ses chanteurs, danseurs, joueurs de simsimiyya, percussionnistes et joueurs de triangle, à Port-Fouad – ville portuaire au débouché méditerranéen du canal et située sur sa rive orientale – attirant beaucoup de monde.

En mêlant les musiques et cultures traditionnelles, Zakaria Ibrahim a célébré la vie. Il a fondé en 2000 le centre El Mastaba pour fédérer d’autres groupes musicaux issus de toutes les régions d’Égypte, faisant le pont entre la tradition et la modernité. La sauvegarde de la tradition musicale et la transmission se sont inscrites chez lui comme des priorités et comme un art de vivre. Il a porté le projet Al-Samsimiya jusque devant l’Unesco pour demander son inscription sur la liste du patrimoine mondial immatériel.

Son absence à Port-Saîd ainsi que sur les scènes d’Égypte et d’ailleurs laisse un grand vide. Que le son des harpes antiques et traditionnelles l’accompagne !

Brigitte Rémer, le 10 août 2024

* Joueuses de harpe cintrée, luth, double-hautbois et lyre, tombe de Djeser, à Thèbes, (c.1420-1411 av. J.-C.)

Immeuble Nal, Douala

Roman de Ousseynou Nar Gueye, éditions Presqu’Île Lettrée (Sénégal).

1ère de couverture © DR

C’est à travers le regard d’un enfant de sept ans, Fara, dont la famille s’exile du Sénégal au Kamerun pour des raisons économiques, qu’on entre dans le tourbillon de sa vie familiale et sociétale. L’histoire se passe dans les années 1970/80 et Fara nous prend par la main pour nous guider sur les sentiers de son enfance. Il livre comme des instantanés ce qu’il vit, ce qu’il ressent et ce qu’il en comprend : sa famille – deux frères et trois sœurs, ses voisins, son quartier, l’immeuble Nal où il vit avec ses parents et la fratrie, au cœur de Douala. Chez Fara on parle wolof.

Dans la famille il y a le père, dit Le Vieux, « un centimètre de plus que le mètre soixante-dix, c’est écrit sur son passeport », de son métier bijoutier et qui adore jouer aux cartes le soir après le travail avec ses confrères venant de la diaspora africaine. Il y a la mère, La Mamma, imposante, une « Ménagère, c’est marqué sur sa carte consulaire », elle organise la maison « son royaume », chargée de mission pour le marché, les repas, les enfants, et qui concentre toute son autorité dans l’intensité du regard qui lance des éclairs et remplace tout mot d’ordre. Trois garçons, trois filles, la parité familiale : Bada, frère aîné de Fara et Allou le benjamin né à Garoua au nord du Kamerun, les filles, Xuredia, la seule de la fratrie née à Dakar, huit ans de plus que Fara, et Sagar, la deuxième, née sur la route de l’émigration vers l’Afrique centrale, à Niamey. La petite dernière, Soukeyna, avait l’âge de la maternelle.

En cours d’année tout ce petit monde fut brutalement arraché aux écoles et aux copains de Dakar, pour émigrer vers Douala rejoindre le père, installé depuis un an au Kamerun après avoir fait faillite. Les garçons passant du cours Sainte-Marie de Hann tenu par les pères maristes dans un quartier qui relie Dakar et sa banlieue, à l’école Saint Jean-Bosco de Douala. Les filles, Xuredia et Sagar, qui fréquentaient aussi l’école des Maristes à Dakar, arrivaient au Collège Liberman des Frères Jésuites de Douala et Soukeyna entrait à l’école des filles Notre-Dame. Même s’il était le premier de sa classe, Fara ne sera pas heureux à l’école Saint Jean-Bosco, son accent parisien attrapé à Dakar chez les maristes comme on attrape la grippe, était mal perçu par ses condisciples Kamerunais qui le snobaient et ne manquaient pas de le provoquer.

Après la faillite de sa bijouterie de Dakar, le père en inaugure une autre au cœur de Douala, principalement en refondant les bijoux offerts à sa femme au fil des années. Fara observe et décrit. Quelques mois après l’arrivée de tous dans la capitale économique kamerunaise, en janvier 1979 et après quelques mois de camping dans un logement provisoire, la famille s’installe dans un appartement de l’Immeuble Nal où Fara partage une chambre avec ses frères. L’Immeuble est situé près du port, on y entend les sirènes des bateaux. De style rococo et sans âge, « en ogive longue de cent mètres, construite sur un étage au-dessus d’un rez-de-chaussée circulaire » il deviendra un bon terrain de jeu pour le jeune garçon.

De son poste d’observation Fara décrit les artisans-ouvriers de l’atelier du pater, les personnages de l’immeuble, la chasse aux rats que les enfants organisent parfois le dimanche pour tuer le temps, le commissariat temporaire qui s’installe dans l’immeuble pour déjouer les cambriolages, la passion de sa sœur Xuredia pour Michael Jackson et la raclée que lui administre un jour la Mamma parce qu’elle refuse de faire la cuisine, la bastonnade du maître que Fara  reçoit un jour à l’école – chose rare pour lui, le bon élève – au grand plaisir de ses camarades de classe, les coups de ceinture du père le jour où avec Sagar, ils ratent sa voiture à la sortie de l’école pour butiner quelques figues de Barbarie alentour. Fara prend les chemins de traverse pour raconter le jour où on oublie d’aller chercher Soukeyna à l’école, et où personne ne s’en rend compte, sauf Radio Kamerun qui les invite à venir la récupérer en son antenne de Douala dans le quartier Bonandjo, ou encore Sagar qu’on oublie en retour de week-end, rentrant du village paternel, et les menaces proférées par le père, qui vont avec.

4ème de couverture © DR

Fara raconte sa manière d’expérimenter avec son frère le Foyer du Marin, à la cité des ouvriers-cheminots, face à l’Immeuble Nal. Il découvre la table de ping-pong, la belle piscine, les livres et revues. Foyer en accès libre il s’y rend certains dimanches. L’enfant raconte les grandes vacances passées dans la bijouterie du père où il essaie de se rendre utile, la Maison de la Jeunesse où sa sœur avait participé à une fête de fin d’année avec l’école et que Fara fréquente avec la sienne pour les séances de cinéma. C’est là qu’il sent monter sa vocation et décide qu’il sera plus tard cinéaste, parlant de son rapport au septième art, depuis tout petit. Il raconte le premier mort qu’il a vu – un ouvrier électrocuté – et les questions qu’il se pose sur la mort après un enterrement imposé à l’école, et une petite sœur qu’il ne connaitra jamais, Fatou, morte sitôt née. Il narre les tournois de tennis auxquels il assiste.

Puis le jeune garçon met la focale sur le pater, nommé consul honoraire du Sénégal à Douala qui se lance, contraint et forcé dans la lecture de projets artistiques et culturels comme le projet La Case à Abdou de la belle Adama. Il entend depuis Douala le 31 décembre 1980 sur Radio Sénégal la démission du Président Senghor, et deux ans plus tard celle du président Kamerunais Ahmadou Ahidjo, pour raisons de santé, sitôt remplacé par Paul Biya. Il présente les guides spirituels du père : le Serigne Maam Gannaar « sans âge, petit et frêle comme un moineau » qui tous les ans débarque dans la famille pour sa retraite et à qui pendant un mois les garçons prêtent leur chambre en investissant le salon ; les marabouts soufis, voyageurs qui passent et à qui il offre les nuitées d’hôtel et fait des cadeaux.

Fara, petit d’homme, regarde l’homme qu’est son père et qui s’absente un temps, parti au Sénégal pendant trois mois, déléguant ses fonctions à un ouvrier-artisan de la boutique. À son retour il est accompagné d’une seconde épouse, Thioumbé, une cousine, presque aussi jeune que sa fille aînée, à qui les garçons sont sommés de céder leur chambre. Le ciel leur tombe sur la tête et le mariage traditionnel sénégalais est célébré, tout le monde en habit d’apparat, les femmes maquillées à outrance et parées de bijoux. En discret observateur, Fara regarde la mamma, d’apparence stoïque et impassible, qui dresse une cloison dans sa chambre – auparavant véritable sanctuaire dans laquelle les enfants n’entraient que rarement – pour inventer une nouvelle chambre des garçons ; et les deux épouses qui se relaient pour préparer à tour de rôle les repas.

La vie semble reprendre son cours même si Fara souffre de son nouvel espace où il ne peut plus lire le soir, ni rêver comme avant,  Le père en ses fonctions de consul réunit la Dahira le dimanche, pour rendre le droit coutumier. Dans l’étape suivante et ultime il congédie la mamma demandant à chaque enfant de décider s’il veut rentrer au Sénégal avec elle, et tous l’accompagnent la mère. Retour au Sénégal en décembre 1982 dans la maison du père de la Mamma où tout le monde partage une grande chambre et où l’oncle Faly joue de son entregent pour inscrire les enfants à l’école. Pour Fara le coup est violent, c’est la fin de l’insouciance, la fin de l’enfance. L’image de la mère s’efface totalement face au bon vouloir de l’homme régnant en maître absolu, sans parler de la moindre souffrance ou pensée de la femme, piégée dans son rôle-titre de reproductrice et qui devient une ombre s’effaçant au loin.

« Je suis définitivement sorti du paradis de l’immeuble Nal. J’ai dix ans mais mon enfance est finie, à avoir été trop mêlé à des choses d’adultes. L’enfance dure de sept ans à dix ans révolus. L’enfance dure trois ans. » La chute est rude et le chemin initiatique que dessine le récit, plutôt plein d’insouciance, de vie, et non dénué d’humour, ne nous y prépare pas. Innocent et incisif, le regard de l’enfant ne délivre rien des sentiments ni de l’émotion. Fara prend sa palette et pose les couleurs sur la feuille, par petites touches précises et minutieuses, participant d’une grande fresque qui dessine son Afrique.

Ousseynou Nar Gueye dédie Immeuble Nal, Douala – qu’il nomme roman – à sa famille, peut-être pour déguiser la part d’autobiographie, car sur la photo de couverture il semble que ce soit bien lui et sa petite soeur, lui, l’auteur, en ses sept ans.

Brigitte Rémer, le 2 août 2024

Immeuble Nal, Douala se trouve dans toutes les bonnes librairies de Dakar :  Aux 4 Vents, dans le quartier Plateau et Mermoz, rue Félix Faure et Avenue Cheikh Anta Diop, email : 4vents@librairie4vents.com – site : www.librairie4vents.com – centre commercial Sea Plaza, tél : +221 33 821 80 83 –  Plumes du Monde, email : contact@plumesdumonde.com – tél : +221 77 794 97 89). Et aussi dans la librairie numérique française youscribe.com – Les photos des 1ère et 4ème de couverture sont issues de la collection privée de l’auteur.

La dernière guerre ?  Palestine 7 octobre 2023 – 2 avril 2024

Texte d’Elias Sanbar, édité en avril 2024 par Tracts Gallimard n° 56.

Elias Sanbar, écrivain et ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, reprend les événements du 7 octobre 2023 qui font à nouveau basculer le monde et dont la source remonte à 1948 : « Je veux parler de la Nakba de 1948, quand ma mère me porta vers un exil que mes parents pensaient de courte durée. C’était un matin d’avril 1948. J’avais quatorze mois… »

Autant dire que l’auteur connaît l’exil et qu’il a su mener un parcours emblématique autour de la réflexion et de l’analyse liées au déchirement de ce Moyen-Orient où il n’a jamais pu vivre et où il défend depuis toujours la voix de la Palestine, son pays. « Si les Israéliens sont habités par la peur d’une disparition possible, les Palestiniens vivent quant à eux une disparition réelle, celle d’un déni d’existence définitif. »

Avant 1948 *

Elias Sanbar donne dès le départ sa lecture : « La naissance d’Israël n’était-elle pas la réponse adéquate au mal absolu que fut le nazisme ? Partant de cette réponse d’un droit de présence solitaire, exclusif sur la Palestine, il devint impensable pour la majorité écrasante des Israéliens d’accepter le fait que la naissance de leur État eût pu naître d’une injustice commise à l’égard d’un autre peuple… » Statut particulier lié aux souffrances ayant présidé à la naissance de l’État d’Israël, soutien à ce jeune État par de nombreuses nations, laxisme mondial quant aux terres dérobées. L’objectif israélien constate-t-il est de parachever la Nakba de 1948, comme le suggérait Ben Gourion – Premier ministre du pays de 1948 à 1954 puis de 1955 à 1963, l’un des fondateurs de l’État d’Israël – dans deux lettres adressées à son fils, Amos, en juillet et octobre 1937, lettres citées par Elias Sanbar : « Si je suis un adepte enthousiaste de la création d’un État Juif maintenant, même s’il faut pour cela accepter le partage de la terre, c’est parce que je suis convaincu qu’un État juif partiel n’est pas une fin mais un début… »

Et, de guerre en guerre, la situation s’est comme entérinée, selon le bon vouloir de ceux qui depuis 48 colonisent et de plus belle, au vu et au su de tous. Elias Sanbar met en lumière l’intention de Netanyahou et de son cabinet de guerre, au-delà de la contrattaque à Gaza, de viser et de vouloir récupérer Cisjordanie, Jérusalem-Est et réfugiés de 1948, en bref d’en finir avec tous les Palestiniens, d’où son mot d’ordre ressemblant à un ordre de mission : « Cette guerre est la dernière d’Israël, le dernière… » mot dont s’empare Elias Sanbar pour le transformer en question et en faire le titre de sa réflexion : La dernière guerre ?

1947 / Projet ONU *

 « Cette dernière guerre débute du côté israélien le 9 octobre, au lendemain d’un crime de guerre commis le 7 par le Hamas. » Personne n’imaginait « que des occupés fussent capables d’une telle prouesse technique et guerrière » à l’égard du pays le mieux protégé du monde, Israël, qui n’a rien vu venir et dont 250 otages ont été emmenés à Gaza.  « Un nouveau foyer de guerre s’est allumé au Proche-Orient après le massacre commis par le Hamas le 7 octobre 2023 suivi par les bombardements meurtriers d’Israël sur Gaza, territoire que l’auteur qualifie de prison à ciel ouvert. « Ces carnages, accompagnés de persécutions en Cisjordanie et de déclarations annexionnistes, ont réveillé la question palestinienne endormie » écrit Edgar Morin.

Elias Sanbar dénonce l’approximation d’un rapport de l’ONU au sujet de la violence sexuelle sur les otages israéliens, les hypothèses et fantasmes israéliens face à l’organisation des attaquants, le Hamas, les deux poids deux mesures des Occidentaux, la fausse naïveté de Netanyahou dans sa « déception de n’avoir pas été informé de l’opération » et l’embourbement qu’il recherche pour sauver sa peau. Vérité ou ruse ?

1967  – Guerre des Six Jours *

La réplique d’Israël conduit à des milliers de morts dont de nombreuses femmes et enfants, à l’anéantissement des structures de soin et des services de secours à tel point que le mot de génocide s’inscrit sur les tablettes des journalistes et que l’Afrique du Sud, s’inscrivant comme défenseur du droit, saisit la Cour internationale de Justice de La Haye le 29 décembre 2023. La Haye édite des mesures conservatoires donnant obligation à Israël d’assurer la sûreté et la sécurité des Palestiniens dans la bande de Gaza, mais n’appelle pas à un cessez-le-feu. La Cour est ensuite saisie par cinquante-deux États membres de l’ONU « pour avis consultatif sur la légalité de l’occupation en 1967 par Israël des territoires palestiniens. » La majorité des plaidoiries demande le retrait « immédiat, inconditionnel et unilatéral » d’Israël des territoires conquis en 1967. Israël ne répond à aucun ordre de la Cour internationale de Justice, l’ONU s’érode et sa crédibilité avec.

Elias Sanbar développe aussi le rôle de l’UNRWA, Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, une agence de l’ONU exclusivement dédiée aux réfugiés palestiniens à laquelle 6,5 millions de Palestiniens sont inscrits. Et l’auteur donne d’autres chiffres, notamment sur les habitants de Gaza dont 75% des 2,2 millions d’habitants ont statut de réfugiés palestiniens.

L’espoir de créer deux États s’est éloigné, voire effacé dans les hauts et les bas des tergiversations mondiales. On y croyait encore en 1991 lors de la Conférence internationale de paix de Madrid qui avait été précédée d’une session du Conseil national Palestinien, autrement dit du Parlement en exil, trois ans plus tôt, à Alger, en la présence de Yasser Arafat. Trente-trois ans après, aucune paix n’a vu le jour, et encore moins un État palestinien, note Elias Sanbar qui liste toute une série de questions, dont la question vitale : « Existe-t-il un moyen de tirer profit du désastre en marche pour trouver l’amorce d’une sortie par le haut de l’interminable conflit ? »

Situation aujourd’hui *

Malgré le sentiment d’impuissance qui domine, alors que « la guerre qui culmine aujourd’hui à Gaza est aussi une guerre contre la Palestine, toute la Palestine » l’auteur esquisse une série de possibles pour y réussir, sous réserve que « les puissances amies d’Israël quitte à cabrer dans son propre intérêt leur protégé, trouvent l’audace qui leur a tant manqué d’imposer une paix jusque-là réputée inatteignable. » Les puissances amies d’Israël, États-Unis en tête.

Elias Sanbar ferme son propos en ajoutant : « Sans mots, je me tiens devant la conclusion impossible de ce texte. » Il donne la parole à celui dont il fut l’ami et le traducteur, le poète Mahmoud Darwich, qui écrivait en 1992 dans Le Dernier discours de l’Homme rouge : « Laissez donc un sursis à la terre. Qu’elle dise la vérité. Quant à vous, quant à nous. Quant à nous quant à vous… Laissez donc, ô invités du lieu, quelques sièges libres pour les hôtes, qu’ils vous donnent lecture des conditions de la paix avec les défunts. »

Brigitte Rémer, le 1er août 2024

La dernière guerre ?  Palestine 7 octobre 2023 – 2 avril 2024 – Texte de Elias Sanbar, édité par Tracts Gallimard n° 56 – (3,90 euros).

*Les cartes ont été publiées le 11 décembre 2023 par L’Humanité. « Israël-Palestine : 4 cartes pour comprendre 75 ans de tragédie. »