Texte et mise en scène Jean-François Sivadier, à la MC 93 Bobigny. Dans le cadre du Festival Paris l’été.
Ce pourrait être un sévère pamphlet sur l’opéra, c’est avant tout un déchainement d’humour qui souffle le chaud-glacé, une tartine d’ironie bien assaisonnée, un pavé dans la mare des ego artistiques. Le spectateur assiste à l’élaboration de La Traviata, de Verdi, à des répétitions qui tiennent davantage de la bande dessinée et du feuilleton que de l’opéra. Il est engagé comme choriste dans la première partie du spectacle et se trouve sur la scène, face à une salle vide ; il est instrumentiste en seconde partie, devant un pupitre et la partition, dans la fosse d’orchestre d’où il suit l’action en contre plongée.
Protagoniste malgré lui, le public est accueilli par Jean-François Sivadier – auteur et metteur en scène de la pièce, Italienne scène et orchestre – au titre ici de chef de chœur, sa partition dans la première partie du spectacle ; par Nicolas Bouchaud, dans la pièce metteur en scène de La Traviata, qui a du fil à retordre avec les artistes pour faire passer ses messages et honorer son cahier des charges ; par son assistante, Nadia Vonderheyden, avec qui il forme un pétillant duo.
L’adresse se fait en direct du chef de chœur, rude et provocateur, au spectateur/choriste – seul et dans un ensemble, comme au théâtre : « A quelle école étiez-vous ? J’en étais sûr, ils vous apprennent à jouer pour les abonnés. Vous devez jouer pour celui qui ne sait rien, qui vient à l’opéra pour la première fois… » Il est contredit par le metteur en scène, en recherche d’une théâtralité affirmée et mis sur le banc de touche. Chacun défend férocement son territoire.
Le spectateur assiste aux errements de la création, face aux acteurs-chanteurs interprètes de La Traviata, pris sur le vif des fausses belles idées qu’ils proposent au metteur en scène : une jeune chanteuse de bonne volonté (Marie Cariès) et un ténor sûr de lui, bien loin de la demande et de l’attente du metteur en scène (Vincent Guédon) ; une diva qui se fait attendre et se donne toutes les libertés (Charlotte Clamens) et sa doublure qui peine à trouver la juste chute (Nadia Vonderheyden).
Si la pièce interroge la création et ce que représenter veut dire, elle est aussi un superbe divertissement. Le rire est présent et l’humour, enchanteur plutôt que grinçant. C’est pur plaisir de voir Jean-François Sivadier en chef d’orchestre dans la seconde partie, face au dépit de Nicolas Bouchaud. Créée en 1996 au Cargo de Grenoble sous le titre Italienne avec Orchestre, reprise à différents moments dont en 2003 au Théâtre National de Bretagne et en 2006 à l’Opéra de Lille, la pièce, devenue emblématique de la compagnie, n’a cessé d’évoluer. Elle repose sur la notion de collectif à laquelle Jean-François Sivadier est sensible pour avoir cheminé aux côtés de Didier-Georges Gabily, comme d’ailleurs Nicolas Bouchaud avec qui il travaille depuis une vingtaine d’années.
Sivadier a monté Brecht, Shakespeare et Claudel, Büchner, Beaumarchais et Molière. Il connaît l’opéra et travaille régulièrement avec celui de Lille. Il a d’ailleurs mis en scène La Traviata au festival d’Aix-en-Provence, en 2011. Les relations entre metteurs en scène, musiciens, chefs d’orchestre et de chœur, ne semblent guère avoir de secret pour lui.
De cette expérience où la frontière entre acteurs et spectateurs s’efface, il y a le théâtre à travers l’opéra, la dérision et le rire. Et il y a le plaisir du spectateur.
Brigitte Rémer, le 15 juillet 2018
Avec Nicolas Bouchaud, Marie Cariès, Charlotte Clamens, Vincent Guédon, Jean-François Sivadier, Nadia Vonderheyden. Collaboration artistique Véronique Timsit – son Jean-Louis Imbert – lumière Jean-Jacques Beaudouin – assistante technique Léa Sarra – stagiaire à la mise en scène Djo Ngeleka.
Du 9 au 28 juillet 2018, à MC93 Bobigny, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis – 9 boulevard Lénine 93000 Bobigny – Métro Bobigny Pablo-Picasso. Sites : www.mc93.com et www.parislete.fr – tél. : 01 44 94 98 00.
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