Exposition réalisée à la Grande Halle de La Villette – Sur une proposition de Dominique Fiat – Commissaire d’exposition Simon Njami.
Evénement-phare du Festival 100% Afriques – dont l’objectif est de présenter la scène contemporaine africaine sous toutes ses formes : danse, théâtre, musique, mode, design, exposition, création culinaire – l’exposition Afriques Capitales est une invitation au voyage au cœur de la création contemporaine africaine.
Une cinquantaine d’artistes toutes générations confondues, regardent le continent et partagent, par leurs dessins, peintures, photographies, vidéos, sons et installations, leurs réflexions, rêves et interrogations. Chambres d’écho de leurs pays et de l’Afrique, certains exposent pour la première fois en France, d’autres sont déjà connus et on a plaisir à suivre leur parcours, une dizaine d’entre eux réalisent une œuvre produite par La Villette. Ils invitent à la rencontre avec humour et gravité, couleurs, symboles, imagination et poésie.
On passe Le Salon imaginé par Hassan Hajjaj, artiste marocain constructeur de meubles à partir d’objets de récupération, designer et performeur qui habille ses modèles de vêtements colorés cousus mains. Sur le seuil de la Grande Halle avant même de se lancer dans cette balade urbaine et africaine, on est frappé par quelques œuvres monumentales posées au sol et d’autres, arrimées à la charpente métallique de cette belle architecture de fer et de verre. En haut, au zénith, les maisons à l’envers de Pascale Marthine Tayou (Cameroun), Falling Houses, attirent le regard et rappellent que le monde parfois peut tomber sur la tête ; au Nord, Un rêve en forme de nuage signé Nabil Boutros (Egypte) passe à travers un cercle de barbelés, comme le fauve au cirque saute dans un cerceau de feu. « Illustrer ou démontrer n’est pas le propos ; plutôt construire une image ou un objet qui, par le chemin du rêve, donne à penser » dit le sculpteur. En bas, à l’Est, Oukam Fractals de Sammy Baloji (République Démocratique du Congo) rapporte, par un assemblage d’images, les transformations urbaines de Lébous, un quartier de Dakar ; une ville éclatée, des restes de murs, une poétique de l’espace, la destruction, Labyrinth, oeuvre de Youssef Limoud (Egypte), évoque un chaos bien ordonné ; Des pavillons s’étirent le long de rues reconstituées, un minaret s’illumine, une lumière crue côtoie la pénombre. Le bruit et la fureur des villes accompagnent le parcours à travers des hauts parleurs, des bribes de phrases nous parviennent : « La ville est un labyrinthe, la ville est faite pour se perdre, la ville est un organisme vivant, la ville est un mystère, la ville est une surprise permanente… »
On est dans la ville imaginaire de poètes, concept élaboré par un maître ès arts visuels, critique d’art et philosophe des Afriques, Simon Njami qui définit la ville et ses problématiques en posant un geste fort qui a valeur de Manifeste : « Les capitales du monde ont ceci en commun qu’elles n’appartiennent vraiment à personne : elles constituent des zones franches, des xenopoleis… Il n’y a jamais une ville mais des villes. Comment, dans le même espace géographique, cohabitent des réalités contradictoires et tout à la fois complémentaires ? Comment les citadins organisent-ils un réseau parallèle de relations et d’interdépendances ? Notre pari a été d’inventer la ville de toutes les villes… »
La déambulation conduit de maison en maison, à travers une pluralité de propositions. Chaque démarche vaut qu’on s’y attarde, nous ne pouvons en évoquer ici que quelques-unes : les grandes toiles peintes de Ouattara Watts, au langage énigmatique et aux notes de musique comme des écritures, pur jazz et collages (Côte d’Ivoire) ; un triptyque vidéo sur les migrants intitulé Crossings, de Leïla Alaoui – jeune artiste disparue dans l’attentat de Ouagadougou, en 2016 – évoquant le traumatisme du voyage, par mer, route ou rails et le choc du passage (France/Maroc) ; une installation réalisée par Poku Chemereh, faite d’étrangeté, Pokój : dans ma chambre, sanctuaire de mon repos, chambre aux meubles de spaghettis, de chewing-gum mâchés et de carambars, murs de briques en biscottes et caramel en guise de ciment (Ghana) ; un visage composé de clous juxtaposés, l’Acupeinture, ainsi qu’un Radeau de la Méduse d’après Géricault, ré-interprétés par Alexis Peskine, (France) ; signe de l’envahissement des produits made in China sur le continent africain, Je suis Africain de François-Xavier Gbré s’écrit sur un écran en mandarin et lettres de néon (France/Côte d’Ivoire) ; un cheval guerrier et son cavalier retourné, sculpture installation de Lavar Munroe Of the Omens He Had as He Entered His Own Village, and other Incidents that Embellished and Gave a Colour to a Great History, réalisée à partir de matériaux pauvres – cartons, bandes de papier, adhésifs -, remet en question les modèles historiques liés à la construction de monuments (Bahamas).
Plusieurs artistes présentent des photographies comme autant de points de vue mis en perspective, sur divers supports : Akinbode Akinbiyi, du Nigéria, raconte la vie quotidienne dans les grandes villes africaines, à travers Cities ; Ala Kheir, soudanaise, avec Revisiting Khartoum pointe le décalage entre le Khartoum de son enfance et la ville d’aujourd’hui ; avec Memories in Development, Aïda Muluneh, d’Ethiopie, part à la recherche de sa propre histoire et questionne l’Afrique ; Mnabtyd/Untitled de Franck Abd-Bakar Fanny (Côte d’Ivoire), rassemble trois séries de photographies, fruit de ses déambulations nocturnes dans trois villes d’Amérique du Nord ; Heba Hamin présente Project Speak2Tweet, traces de la révolte du 27 janvier 2011 en Egypte, moment où, avec un groupe de programmateurs, elle développe une plateforme permettant de poster des nouvelles sur Twitter alors que l’accès à internet est coupé. Evoquant les migrations d’un bout de la planète à l’autre, Abdulrasaq Awofeso, du Nigeria, réalise une série de petits personnages en bois, répartis sur trois grandes tables, A Thousand Men Can Not Build A City ; et William Kentridge, d’Afrique du Sud, imagine une animation graphique comme une danse des morts, More Sweetly Play the dance, longue procession de personnages défilant sur huit écrans placés en demi-cercle de cour à jardin : « La colonisation de l’Afrique a souvent signifié qu’on apporterait, disait-on, la lumière au continent noir. Mais cette lumière fut signe d’autoritarisme ou de dictature. Le seul sens acceptable se trouve entre la nuit et la lumière » dit le plasticien et metteur en scène, qui symbolise avec un talent fou la rencontre entre le monde du spectacle et le monde de l’art.
Cette exposition, intelligente et sensible par le choix des œuvres, témoigne de la ville comme objet social, lieu des tensions, des solitudes, de l’imagination, et se fait l’écho de tout le continent africain. La scénographie sert la métaphore avec simplicité et pertinence, permettant, au coin d’une rue ou d’un carrefour, de découvrir une photo, une tenture, des lumières, un imaginaire, des idées, l’altérité. Chacun évoque sa réalité et construit la mémoire collective. « Car une ville ne se raconte pas. On la vit » dit le commissaire de l’exposition, Simon Njami, en ce chapitre I. L’exposition se prolonge à l’extérieur, dans les jardins autour de la Grande Halle, en partenariat avec le Mois de la Photo du Grand Paris où une trentaine d’oeuvres sont en libre accès. Le second chapitre d’Afriques Capitales, est en train de s’écrire – en lettres capitales toujours – à Lille, sous le titre : Vers le Cap de Bonne Espérance.
Brigitte Rémer, le 22 avril 2017
Du 29 mars au 28 mai 2017, Parc et Grande Halle de La Villette, du mercredi au dimanche, de 12h à 20h – Jusqu’au 3 septembre 2017 pour les photos en extérieur – métro Porte de Pantin – Tél. : 01 40 03 75 75 – www.lavillette.com – et aussi, du 6 avril au 3 septembre 2017, exposition Vers le Cap de Bonne Espérance, Gare Saint-Sauveur de Lille.
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