Texte de Falk Richter – Traduction de l’allemand Anne Monfort – Mise en scène Stanislas Nordey et Falk Richter – à La Colline théâtre national.
Créé au TNS en mars 2016, ce spectacle est né de la collaboration entre son directeur, Stanislas Nordey et Falk Richter, artiste associé, rencontre qu’ils avaient déjà expérimentée, notamment en 2012 avec My secret garden et selon la même méthode de travail, l’écriture au plateau au fil des répétitions.
Le canevas proposé à partir de la figure de Rainer Werner Fassbinder, acteur, metteur en scène de théâtre et l’un des réalisateurs phare du nouveau cinéma allemand des années 60/70 – disparu à l’âge de trente-sept ans, en 1982 – s’appuie sur L’Allemagne en automne, une œuvre collective qui témoigne à chaud du climat politique, en 1977 – la vague de terrorisme d’extrême gauche du groupe Baader-Meinhof, mouvement de guérilla urbaine appelé aussi Fraction Armée Rouge avec ses prises d’otages, suivi du suicide en prison des trois principaux membres du groupe -. Fassbinder dans ce film interrogeait sa mère de manière abrupte, l’obligeant à se positionner par rapport aux événements. Poussée dans ses retranchements, elle, démocrate, finit par invoquer la nécessité d’avoir à la tête du pays un dirigeant autoritaire, mais gentil. Le réalisateur se filmait aussi lui-même, violent, malade et paniqué, et dans ses disputes avec son compagnon sur l’attitude à adopter.
Ces séquences reviennent à l’écran, comme d’autres issues d’extraits de nombre de ses films – dont Les larmes amères de Petra Von Kant, La troisième génération etc. – et sont reprises sur le plateau comme au cours de répétitions, ou d’un exercice de jeu dans le jeu au côté décalé. Nous sommes dans un appartement à plusieurs niveaux avec grand divan et table basse, ou dans un studio de tournage. Trois écrans grand format, et dans un recoin une petite télé toujours allumée, où défilent des images, comme en état de veille.
L’auteur et les metteurs en scène posent implicitement, tout au long du spectacle, la question du lien entre le théâtre et l’actualité, et, par là même, celle du rôle du théâtre aujourd’hui. Ainsi Fassbinder-Nordey faisant face à sa mère-Laurent Sauvage où se brouillent et se superposent les noms de Rainer/Stan, maman/Laurent ; le compagnon de Fassbinder (joué par Thomas Gonzalez) très à l’aise dans sa nudité – sorte de manifeste rappelant l’interdiction d’interdire – et excellent chanteur ; Judith Henry dans la figure d’une Marianne d’Europe qui se glisse avec subtilité dans un monologue amusé, et Eloïse Mignon qui accompagne de sa belle présence les aléas de la répétition. Une équipe d’acteurs dedans-dehors, investie entre l’intime et le public, la gravité et la légèreté, le superficiel et le désarroi servent le propos.
Au-delà des excès du réalisateur et de ces années de plomb allemandes, de son dépit amoureux ou de sa vision complexe des femmes, Richter et Nordey interrogent notre époque et relient ces violences d’hier à l’actualité d’aujourd’hui – les attentats en France, la montée de l’extrême droite et de l’intolérance, les viols à Cologne, l’exode des populations, la fin du politique -. Le texte et la co-mise en scène témoignent, à partir du projecteur mis sur la radicalité de Fassbinder – passionné de théâtre et laissant une oeuvre considérable au plan du cinéma et de la télévision – d’événements, dans leur immédiateté et actualité, et du chaos ambiant, sur des modes allant de l’autodérision à la déstructuration.
Brigitte Rémer, 25 mai 2016
Avec : Thomas Gonzalez, Judith Henry, Éloise Mignon, Stanislas Nordey, Laurent Sauvage – collaboration artistique Claire ingrid Cottanceau – dramaturgie Nils Haarmann – scénographie et costumes Katrin Hoffmann – assistanat aux costumes Juliette Gaudel – assistanat à la scénographie Fabienne Delude – lumière Stéphanie Daniel – musique Matthias Grübel – vidéo Aliocha Van der Avoort
Du 10 mai au 4 juin, à La Colline théâtre national, 15 rue Malte-Brun. 75020. Paris. Métro Gambetta. Tél. : 01 44 62 52 52 – www.colline.fr
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