Portrait de famille. Une histoire des Atrides

Texte et mise en scène Jean-François Sivadier d’après Euripide, Eschyle, Racine, Sophocle et Sénèque – collaboration artistique Rachid Zanouda – au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, Centre dramatique national.

© Christophe Raynaud de Lage

Quatorze jeunes acteurs et actrices du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris portent cette gargantuesque saga familiale des Atrides revue et corrigée par Jean-François Sivadier avec simplification de la langue et costumes de ville mêlés aux vêtements et accessoires d’époque. Un acteur, de loin en loin, apostrophe le public, sorte de fil rouge pour quelques commentaires off.

 Dans l’arbre généalogique des Atrides où s’affrontent les hommes et les dieux, on traverse les cieux et les siècles en même temps que la Guerre de Troie, avant retour à Argos. On s’aime et on se hait, on se déchire et on se tue, on se dévore dans tous les sens du terme. Jean-François Sivadier décline dans ce Portrait de famille une ample gamme allant du comique au grotesque et excelle dans les interférences et courts-circuits entre complots de famille et raison d’État, honneur du pays ou honneur des siens.

© Christophe Raynaud de Lage

La mythologie grecque déchire ses entrailles et fait apparaître Ménélas et Hélène, leur fille Hermione, femme d’Oreste, dont la mère, Clytemnestre, puissante séductrice, tuera le père, Agamennon, frère de Ménélas. Iphigénie leur autre fille, sera sacrifiée par son père à la demande d’Artémis, fille de Zeus et jumelle d’Apollon, pour que les vents soient favorables et poussent la flotte grecque d’Aulis vers Troie. Malgré tous les subterfuges dont il essaiera d’user, il se pliera à la volonté de la déesse. Soudain le plateau se dresse et apparaît un guerrier casqué auréolé de fumées, prêt pour le sacrifice. On verra Iphigénie s’allonger sur la table, prête, la suite sera racontée par un messager.

 Dans la galerie des portraits glanés à travers Euripide, Eschyle, Racine, Sophocle et Sénèque, il y aura de nombreux personnages dont Achille, assez pittoresque, « Salut ! Fraternité ! » un temps pressenti pour épouser Iphigénie – le rôle est tenu par une actrice – il y aura aussi Égisthe, fils de Thyeste, qu’il aurait eu après inceste avec sa fille, Pélopia et la vengeance de Thyeste dans son cannibalisme partagé. Bref il y a de l’action, tout au long du spectacle et les acteurs dévalent de la salle et se jettent dans l’arène. E la nave va, entre illusion, réalité et immortalité, dans la transversalité des familles, « familles de tarés, autant que les dieux sont tarés » dit le texte, familles qui attirent la malédiction et le désastre qu’elles se transmettent de génération en génération.

© Christophe Raynaud de Lage

L’évocation de la guerre de Troie amène Jean-François Sivadier à évoquer les guerres d’aujourd’hui, Ukraine/Russie, Palestine/Israël ; après le suicide d’Égisthe et de Ménélas il resserre la narration et le jeu autour de la Toison d’or rapportée par Jason. A son retour ce dernier règle son compte avec l’oncle Pélias qui avait usurpé le trône qui devait lui revenir l’accusant de mépriser le peuple, dans une soif absurde de pouvoir.

La malédiction se poursuit, les meurtres se multiplient « L’astre incandescent va s’abattre sur nous… » Les secrets de famille s’étalent au grand jour. Électre règle ses comptes avec son frère Oreste ; Oreste règle les siens avec sa mère, meurtrière du père à coups de hache ; Égisthe est poignardé et écartelé. On est chez Shakespeare au pire de la tragédie sanguinaire, ici entre délire et bouffonnerie et les acteurs s’en donnent à cœur joie. Le théâtre reprend ses droits puisque la seconde partie interroge la compagnie théâtrale qui précisément est en train de monter le spectacle : tour de table, impressions de l’auteur, « Ma pièce est politique… » Il y a du solennel, de la récrimination, des essais, de la rigolade… Ismène fait des pompes, les acteurs improvisent et répètent, s’énervent et digressent, et la famille des Atrides plane sur le théâtre.

© Christophe Raynaud de Lage

Formé à l’école du Théâtre National de Strasbourg, Jean-François Sivadier est comédien, metteur en scène et auteur. Il travaille comme comédien, avec de nombreux metteurs en scène. Sa rencontre avec Didier-Georges Gabily, metteur en scène et pédagogue épris de liberté – tôt disparu, en 1996 – le marque, et il reprend la mise en scène de Dom Juan-Chimère et autres bestioles, laissée inachevée par Gabily. Il a sans doute gardé de lui une même liberté de ton qui lui permet la transgression et l’énonciation des pires horreurs, avec le sourire. Il a mis en scène les grands auteurs de théâtre comme Brecht, Büchner, Ibsen, Shakespeare et bien d’autres, fédère des équipes et dirige les acteurs avec générosité et précision.

Avec Portrait de famille. Une histoire des Atrides créé au Printemps des Comédiens de Montpellier, Sivadier mixe les destins ravagés et ravageurs des Atrides en s’appropriant la mythologie à qui il donne vie dans un grand éclat de rire, accompagnant les premiers pas de jeunes acteurs et actrices à qui il taille, par le montage des textes, des rôles sur mesure.

  Brigitte Rémer, le 4 octobre 2024

Avec : Cindy Almeida de Brito, Walid Caïd, Elena El Ghaoui, Rodolphe Fichera, Marine Gramond, Mohamed Guerbi, Olek Guillaume, Olivia Jubin, Sébastien Lefebvre, Manon Leguay, Arthur Louis-Calixte, Aristote Luyindula, Alexandre Patlajean, Marcel Yildiz. LumièresJean-Jacques Beaudouin – scénographieétudiants en 4ème année à l’École des Arts Décoratifs/Paris : Xavi Ambroise, Martin Huot, Violette Rivière – costumes Valérie Montagu – régie générale et régie son Jean-Louis Imbert – régie lumière Jean-Jacques Beaudouin – régie plateau Marion Leroy – habilleur Yann Pagès – production Compagnie Italienne avec Orchestre, en partenariat avec le CNSAD-PSL, avec la participation artistique du Jeune théâtre national.

Du 18 au 29 septembre 2024, du mercredi au vendredi, à 19h, samedi à 18h, dimanche à 16h, relâche lundi et mardi – Théâtre de la Commune Durée : 3h50 avec entracte (1ère partie : 2h30 – entracte : 20’ – 2nde partie : 1h)

En tournée : 4 et 5 octobre 2024 : Le Carré Sainte Maxime • 13 et 14 novembre 2024 : La Coursive, Scène Nationale de La Rochelle • 7 et 8 février 2025 : Le TAP, Scène Nationale de Poitiers • 12 et 13 février 2025 : L’Azimut – Antony/Châtenay-Malabry • du 19 au 21 mars 2025 : La Comédie de Béthune, CDN Hauts de France • du 19 au 29 juin 2025 : Le Théâtre du Rond-Point à Paris.

Au “Point Fort” d’Aubervilliers

Alsarah & the Nubatones © Waleed Shah

Le Pavillon Dream City présentait un concert de Alsarah & the Nubatones et une chorégraphie de Radouan Mriziga, Libya – en partenariat avec le Théâtre de la Commune/Centre dramatique national d’Aubervilliers et la Carte blanche du Festival d’Automne, au Point Fort d’Aubervilliers.

Dans ce bel espace dit Le Point Fort, sur l’ancien territoire du Fort d’Aubervilliers et longeant le Théâtre Zingaro, au fond d’un grand terrain, on débouche sur différents aménagements dont un espace chapiteau en dur et toit de toile aux proportions intéressantes, comportant pour le concert une scène surélevée, un grand dance floor, au fond, quelques rangées de gradins. L’endroit est chaleureux.

Alsarah & the Nubatones – C’est sous ce chapiteau que se présente le groupe musical Alsarah & the Nubatones fondé en 2010 par la chanteuse, compositrice et ethnomusicologue américano-soudanaise, Sarah Abunami-Elgadi. Avec ses musiciens : sa sœur, Nahid Abunami-Elgadi (claviers et vocaux),Mawuena Kodjavi (trompette et basse), Brandon Terzic (oud électrique), Rami El-Aasser(percussion), elle cherche dans la rétro-pop d’Afrique de l’Est et, vivant à New-York, n’oublie pas son Soudan natal.

Libya © Pol Guillard

Son inspiration et ses rythmes puisent dans les chants de retour, chants traditionnels de l’espérance nubienne, pour l’Égypte, autant que dans la soul et le groove afro-américain. Le voyage et la migration nourrissent sa musique, et sa voix, intense, passe de collines en collines, déclinant les gammes pentatoniques de la musique afro-arabe soudanaise. Alsarah & the Nubatones ont déjà enregistré trois albums. Ils électrisent, dans tous les sens du terme. La majorité du public est sur le dance floor et ça swingue.

Libya, la troisième pièce du chorégraphe maroco-bruxellois Radouan Mriziga, parle de l’héritage Amazigh du Maghreb, ce peuple du désert dont le savoir et l’histoire sont notamment transmis à travers les conteurs, les chanteurs et danseurs. Au sol, sur tapis blanc, s’entrecroisent des lignes de couleur jaune, verte, rouge, formant des triangles et comme des itinéraires. A l’arrière-plan, un immense écran sur lequel sont projetés des paysages. La musique – principalement oud et percussions – et le texte sont enregistrés, le texte est en langue anglaise, je l’aurais préféré en v.o, en arabe. Les danseurs viennent de formations et d’horizons différents. Des solos de grande virtuosité, des duos et des danses collectives se succèdent sur des entrées et sorties fondues et enchaînées. Certains s’immobilisent et observent les autres. On se touche peu. A certains moments les rythmes amazighs nous emmènent dans la fête populaire, les danseurs se passent le relais, ou avancent en ligne, ou en ronde.

Méditatif, Libya appelle la mémoire collective. C’est une invitation à parcourir la palette des états de l’âme humaine – amour, joie ou tristesse, désir, passion. Des incantations accompagnent le mouvement de l’eau, la mer sur écran. Plusieurs discours se superposent. Un chant solo guide une danse solo, comme une prière. Après la mer, défilent des images de désert, le spectacle se clôt sur un chant en anglais. Dommage !

La carte blanche du Festival d’Automne, pose un geste artistique et politique à travers la création, dialogue entre les différentes pratiques et disciplines, une précieuse initiative qui permet la découverte.

Brigitte Rémer, le 24 septembre 2024

Alsarah & the Nubatones concert du 21 septembre 2024 – Avec : Sarah Abunami-Elgadi, chanteuse et les musiciens : Nahid Abunami-Elgadi (claviers et vocaux), Mawuena Kodjavi (trompette et basse), Brandon Terzic (oud électrique), Rami El-Aasser(percussion) – Ingénieur du son Mohamed Abd El Halem – Manager Mounir Kabbaj

Libya, vu le 22 septembre 2024. Concept et chorégraphie Radouan Mriziga – interprètes : Sondos Belhassen, Mahdi Chammem, Hichem Chebli, Bilal El Had, Maïté Minh Tâm Jeannolin, Senda Jebali, Feteh Khiari, Myriam Rabah-Konaté. Scénographie Radouan Mriziga – costumes Anissa Aidia & Lila John – lumières Radouan Mriziga – contribution poème And set them alight de Asmaa Jama – assistanat Aïcha Ben Miled, Nada Khomsi, Khalil Jegham.

Le Point Fort d’Aubervilliers, 174 avenue Jean-Jaurès. 93300. Aubervilliers – métro : Fort d’Aubervilliers – tél. : 01 48 36 34 02 – site : www.lepointfort.com et Festival d’Automne :  tél. : 01 53 45 17 17 – site : www.festival-automne.com

Bird

Performance de Sofiane et Selma Ouissi – danse, Sofiane Ouissi – musique Jihed Khmiri – co-réalisation Théâtre de la Commune d’Aubervilliers/carte blanche Dream City, Festival d’Automne 2024 – au Théâtre de la Commune.

© Ali Al Fadlio

Créé dans la Médina de Tunis en 2007, Dream City regroupe plusieurs artistes dont Sofiane et Selma Ouissi, qui dessinent un nouvel espace urbain à travers la création artistique. Jan Goossens les rejoint autour de ce festival pluridisciplinaire qui s’est installé cette année à Aubervilliers à l’initiative du Festival d’Automne et du Théâtre de la Commune. Dream City présente dans différents lieux de la ville théâtre, danse, performances, musiques, rencontres etc.

La performance que présentent Sofiane et Selma Ouissi, est un délicat objet théâtral et dansé. Sofiane Ouissi le fait vivre, seul en scène, accompagné d’un musicien, Jihed Khmiri. Déambulant derrière le public disposé en carré et sur trois rangs, le performeur échange quelques mots à la volée, notamment avec les enfants présents qui font connaissance avec l’oiseau. Dans un coin de ce bel espace scénique – un carré recouvert d’un plancher – le musicien et ses percussions, de l’autre côté un pupitre et le oud, dans un troisième angle, la star de la représentation qui a rejoint son perchoir, Blanche Neige, l’oiseau blanc qui remplace Chams, le partenaire privilégié de Sofiane Ouissi, resté en Tunisie car interdit de sortie du territoire. Suspendu près du perchoir, un amas de coquillages qui plus tard portés en ceinture, rythmeront les pas du danseur.

© Pol Guillard

Quand il entre en scène portant une veste vert pomme, un pantalon orange et une blouse lie-de-vin, le danseur présente ses collaborateurs puis ganté, invite l’oiseau à se poser sur sa main avant qu’il le repose aussi délicatement et se mette à danser. Comme un derviche, il crée son personnage et devient lui-même oiseau. Puis il écrit sur le sol à la craie, lettre par lettre, le mot B.I.R.D. en dansant au rythme des percussions, dans une chorégraphie ludique et élaborée, de diagonale à accélération, marche arrière marche avant, amplitude et légèreté.

Quand il danse avec l’oiseau, posé sur la main ou sur le bras, ou encore sur la tête comme un chapeau, du duo improbable se dégage une grande élégance. Les gestes sont ritualisés en même temps que simples et denses. De ce tête-à- tête en complicité et confiance se dégage une grande poésie à laquelle se joint le musicien aux aguets, qui entre avec eux dans la danse.

Dans une évidente concentration, tel un grand-prêtre, Sofiane Ouissi dialogue avec l’oiseau qui fait le beau en dépliant les ailes au son délicat du oud. Entre déséquilibres et balancements, suspension et accélération, ce pas de deux traduit une complicité douce renforcée par la musicalité des coquillages dont s’est paré le danseur, répondant au oud. L’instrument s’amplifie dans une partition qui s’accélère, la danse mène à la transe, le performeur tourne en boucle en dessinant des cercles, jusqu’au noir final.

© Selma Ouissi

Dans Bird Sofiane Ouissi explore la relation à l’oiseau à partir des gestes ordinaires du quotidien. En symbiose avec lui et en empathie avec le public, il nous entraîne dans sa danse des sept voiles vers un moment magique. Et Rimbaud n’est pas bien loin quand il écrit : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher, des guirlandes de fenêtre à fenêtre, des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse… »

Brigitte Rémer, le 1er octobre 2024

Avec : Sofiane Ouissi, Jihed Khmiri, deux pigeons – création musicale Jihed Khmiri – soutien technique (animalier) Mohammed Attia, Akhtar Ali Khan – régie technique Mohamed Belkhir – production Paul Kerstens.

Vu le dimanche 22 septembre 2024, au Théâtre de la Commune, Centre Dramatique National d’Aubervilliers, 2 rue Edouard Poisson. 93300. Aubervilliers – tél. : 01 48 33 16 16 – site : www.lacommune-aubervilliers.fr et  www.festival-automne.com, tél. : 01 53 45 17 17

Who is afraid of representation ?

Texte et direction Rabih Mroué – avec Lina Majdalanie et Rabih Mroué – En langue française et arabe surtitrée en français – au Théâtre de la Ville-Paris/La Coupole – en coréalisation avec le Festival d’Automne.

Côté cour, une table carrée, éclairée, sur laquelle est posée un gros livre. Rabih Mroué y prend place après avoir descendu du ciel un élégant écran, aidé de sa complice et actrice-performeuse, Lina Majdalanie.

Un jeu s’installe entre eux selon un protocole précis qui traverse tout le spectacle : l’actrice choisit une page du livre, au hasard. Le numéro de la page indique le temps qui lui est donné pour raconter les expériences de performeuses issues du Body Art européen d’une part, depuis l’arrière de l’écran où elle se place dans un jeu d’ombre et de lumière ; pour montrer, d’autre part, des photos rapportant les événements politiques libanais, commentés en version originale par Rabih Mroué qui, quittant la table se positionne devant l’écran.

Le corps comme sujet de représentation traverse le mouvement artistique du Body Art qui s’est développé à partir des années 50 et qui a profondément modifié notre regard sur l’art. Surtout porté par les femmes, il se situe aux frontières du spectacle vivant et des arts visuels et met l’artiste, son corps et ses actions, au centre de l’œuvre.

Reconnu comme l’un des chefs de file du Body Art, Joseph Beuys a développé performances, happenings, vidéo, installation et théories, de même que Marina Abramović, figure emblématique de l’art corporel. Dès le début des années 70, elle conçoit des performances dures et d’une certaine violence où elle met parfois sa propre intégrité physique ou mentale en danger. Il y eut aussi Orlan, connue internationalement pour ses performances corporelles, notamment en bloc chirurgical et Gina Pane, artiste plasticienne française disparue en 1990, qui a travaillé sur les blessures qu’elles s’auto-infligeait et leur symbolisme, explorant la relation à la douleur.  Ce sont leurs écrits, radicaux et obsessionnels, dans un langage cru – ceux-là et beaucoup d’autres puisés dans le grand livre – que Lina Majdalanie rapporte, témoignages sur les thèmes du sexe et de l’automutilation, des exhibitions et scarifications publiques pratiquées à cette période, comme en écho aux écrits d’Antonin Artaud sur le théâtre de la cruauté.

Rabih Mroué fait figure de chef d’orchestre ou de facilitateur pour libérer la parole, et se charge du minuteur qui peut aller de 7 secondes à 15 ou 20 secondes et jusqu’à une minute. Né à Beyrouth et vivant à Berlin, comme Lina Majdalanie, il intervient sur les thèmes de la violence et de la guerre au Liban, qui apparaissent de loin en loin dans le spectacle, à chaque fois que le grand livre se fixe sur une image. Alors il se lève, porteur d’un message plus politique à travers les fragments de l’Histoire et le récit, entre autres, d’un employé de bureau libanais confessant la tuerie dont il fut l’auteur sur son lieu de travail. Détaillant ses exploits il explique avoir tué six ou sept de ses collègues, des chrétiens qui auraient insulté le musulman qu’il était. On se replonge dans Charlie…

Entre la fiction et la réalité, les deux thèmes évoqués en vis à vis – la déflagration de la création d’une part, celle d’un pays en déshérence d’autre part – sont assez éloignés, même si le positionnement artistique est en soi une prise de position politique. L’oscillation entre une certaine légèreté provocatrice et transgressive d’une part, les crises politiques et conflits armés qui depuis des années règnent au Liban d’autre part, pose question, d’autant dans le contexte international du moment, où la réalité a l’ascendant sur la fiction. Ce va-et-vient des thèmes tirés du grand livre reste assez répétitif. Who is afraid of representation ? fut créé en 2005.

Le Festival d’Automne propose un Portrait en plusieurs spectacles du travail de Lina Majdalanie et Rabih Mroué, présenté dans différents théâtres, dont la création d’une nouvelle pièce à partir du procès de Bertolt Brecht sous le maccarthysme aux États-Unis et une création avec Anne Teresa de Keersmaeker. Je me souviens de Hartaqāt / Hérésies, présenté au Printemps des Comédiens en 2023, où ils signaient la troisième séquence du spectacle Mémoires non-fonctionnelles. Lina Majdalanie co-metteure en scène lisait avec intensité un texte de Bilal Khbeiz – poète, essayiste et journaliste libanais né avant la guerre et contraint à l’exil – comme une lettre, appuyée par des visuels de destruction (cf. Ubiquité-Cultures du 16 juin 2023). Multiformes, leurs spectacles détournent les codes et les déconstruisent. Ils interrogent le théâtre, à la recherche d’autres manières d’envisager la représentation.

Brigitte Rémer, le 30 septembre 2024

Scénographie Samar Maakaroun – direction technique Thomas Köppel – assistant Racha El Gharbieh – traduction de l’arabe Catherine Cattaruzza – surtitrage Halima Idrissi, Aurélien Foster/Panthea – production The Lebanese Association for Plastic Arts, (Ashkal Alwan) Beyrouth – Hebbel Theater, Berlin – Siemens Arts Program, Allemagne ; Centre national de la Danse, Paris – avec le soutien du Tanzquar-tier Wien GmdH, Vienne.

Du 23 au 28 septembre 2024, à 19h, le samedi à 16h, au TDV Sarah Bernhardt/La Coupole, place du Châtelet. 75001. Paris – site : www.theatredelaville-paris.com – tél. : 01 42 74 22 77 et site du Festival d’Automne pour les différents spectacles de Lina Majdalanie et Rabih Mroué présentés entre octobre et décembre 2024 : www.festival-automne.com, tél. : 01 53 45 17 17.

Maître Obscur

Texte et mise en scène Kurō Tanino – traduction Miyako Slocombe – compagnie Niwa Gekidan Penino – coproduction, coréalisation T2G Théâtre de Gennevilliers/CDN et Festival d’Automne à Paris – au T2G Théâtre de Gennevilliers.

© Jean-Louis Fernandez

Des informations sont données dans le casque qui nous est remis, avant que le spectacle commence. Test, paramétrage, vérification, puis glissement vers un petit jeu d’écoute et de devinettes : quel est ce bruit que vous entendez ? Réponse : le grignotage d‘une biscotte – qu’on entendra et verra ensuite quand un comédien mangera réellement sa biscotte – ou encore : et maintenant, qu’entendez-vous ? De l’eau couler… Est-elle froide ou chaude ? La réponse suivra plus tard, comme en écho, sur scène… Rions… L’intelligence artificielle continue l’apostrophe : J’attendais votre arrivée… Nous allons commencer… (son Vanessa Court).

On entend des bruits de pas. Une femme entre (Stéphanie Béghain) dans ce qui ressemble à un appartement quelconque, vaguement ringard – campagnard, dira l’IA – cuisine, salle à manger, lustre et canapé, la chambre côté cour, le tout très réaliste (scénographie Michiko Inada, lumière de Diane Guérin). Elle s’installe à la table, allume sa cigarette, visage plutôt fermé. Leçon de gym à la télé, commentée par l’IA qui donne le ton et dialogue avec l’actrice. « J’ai mal au crâne », avoue celle-ci.

© Jean-Louis Fernandez

Le spectateur est sollicité simultanément, à différents niveaux, le jeu se tisse sur plusieurs plans, entre autres dans le casque où on entend des commentaires. Soudain des bruits de pas se font entendre. Un homme entre, gauche, et tournant en rond (Gaëtan Vourc’h). Il finit par s’adresser à la femme : « Engageons une conversation » lui propose-t-il. Elle, toujours aussi fermée, renfrognée même, hors du monde… On est visiblement dans un appartement thérapeutique, sorte de lieu d’accueil ou lieu de vie, avec des personnes cherchant à se réadapter à la vie quotidienne. A chacun sa pathologie… où quelques bribes de conversation tentent de s’engager, mais en vain. L’IA se fait l’écho des pauvres phrases échangées, ma pauvre chambre de l’imagination dirait Kantor.

L’homme garde l’initiative : « Allons nous changer » dit-il, dans le vide. Dialogue de sourds : c’est le matin ? Non, le soir ? Il va préparer le café, en propose à la dame. « J’m’en fiche… » lui balance-t-elle. Il fait griller des toasts. Sortez les assiettes ! ordonne l’IA dans le casque…  « Je crois qu’on va danser ensemble… » s’illusionne-t-il. L’homme se met à danser, seul, réfléchit sur lui-même, pour conclure : « Je suis… insignifiant… On est pareil ! » Et il sort une histoire de centaines de préservatifs repérés dans un tiroir. Bruits de chasse d’eau, ou pire, le WC jouxte la pièce. Dialogues incertains… intestins, évacuations… Ces petits riens qui font la vie. « J’entends la voix du diable » dit-elle.

© Jean-Louis Fernandez

Une jeune femme arrive, bien déjantée, sautant d’un fauteuil à l’autre (Mathilde Invernon) puis une autre qui se cale dans le canapé (Lorry Hardel). Troisième, puis quatrième pathologie et le silence en prime. Rien ne se passe, sauf les ordres dans le casque. L’homme a de la suite dans les idées, trouve la boîte de préservatifs et la fait exploser, taille XXL, les acteurs en passent un, comme une cagoule et se couvrent la tête. Chacun à tour de rôle va prendre sa douche, chacun se change. L’homme met une perruque trouvée par là et allume le vieux poste de télé. On le filme en train de manger sa soupe. Le temps s’étire, linéaire, jusqu’à l’arrivée d’un cinquième pensionnaire, l’étrangeté même, recouvert de tatouage, (Jean-Luc Verna).

La jeune femme taciturne finit par lâcher deux mots, informe qu’elle a une fille et en pleine phase de régression s’identifie à elle, en donnant à manger à l’ours-peluche posé au sol, face à elle, comme le font les enfants dialoguant avec leurs doudous. Puis elle sort par l’arrière, comme elle était entrée. On l’entend descendre. Les pas s’éloignent. Noir.

© Jean-Louis Fernandez

Dans Maître Obscur, l’IA est reine et guide le jeu. Elle est le lien entre la salle et la scène, celle-ci s’en faisant la chambre d’écho à travers l’esquisse de personnages, mal en point, décalés et effacés. Rien de très intelligible si ce n’est l’étrangeté – peut-être l’inconscient – l’obscurité.

Kurō Tanino a créé la compagnie de théâtre Niwa Gekidan Penino en 2000 avec ses camarades du club de théâtre de l’Université de Médecine de Showa. Issu d’une famille de psychiatres il met alors un terme à sa propre carrière pour se consacrer à la dramaturgie et à la mise en scène. Maître Obscur est né d’un manga – Dark Master de Caribu Marley et Haruki Izumi qui a connu différentes versions et re-créations entre 2003 et 2020. L’une a été présentée à Gennevilliers en 2018, c’est une sorte de Work in progress, réalisé ici avec des interprètes français. Invité à cinq reprises du Festival d’Automne, Tanino avait présenté entre autres, en 2018, Avidya – L’Auberge de l’obscurité ici même, ainsi qu’à la Maison de la Culture du Japon à Paris, nous en avions rendu compte (cf. Ubiquité-Cultures du 20 septembre 2016). Il est aujourd’hui artiste associé du Théâtre de Gennevilliers.

Dans Maître Obscur il explore le thème de la domination et de l’emprise dans la relation à l’intelligence artificielle, voie ouverte par Georges Orwel dans son roman dystopique 1984, publié en 1949. La manipulation par la surveillance et le contrôle est ici diluée dans une certaine bienveillance. La routine des gestes quotidiens, souvent inconsciente, se robotise, sous la pression des directives, et le dispositif sonore fait fonction de personnage principal. L’IA devient grande inquisitrice. On n’est pas loin des effets d’électrochocs d’un temps pas si éloigné avec intrusion, dépersonnalisation et destruction. Dans la pièce s’installe une tension entre la toute-puissance technologique et la fragilité des personnages dans leurs abysses. La vidéo accompagne épisodiquement le récit et retransmet des images sur l’écran du plateau (vidéo Boris Van Overtveldt). Dans cet appartement thérapeutique, l’IA ne guérit pas la confusion mentale mais l’enveloppe théâtrale tissée par Kurō Tanino, pleine de minutie et de complexité, conduit chaque personnage, chaque acteur, à l’expression de sa solitude et de ses inquiétudes.

Brigitte Rémer, le 28 septembre 2024

Avec Stéphanie Béghain, Lorry Hardel, Mathilde Invernon, Jean-Luc Verna, Gaëtan Vourc’h.Texte et mise en scène Kurō Tanino. Collaboration artistique Masato Nomura, Kyoko Takenaka – scénographie Michiko Inada – lumières Diane Guérin – son Vanessa Court – vidéo Boris Van Overtveldt – costumes Laura Lemmetti – accessoires Zoé Hersent – construction décor Théo Jouffroy/ateliers du Théâtre de Gennevilliers.

Du jeudi 19 septembre au lundi 7 octobre, Lun. jeu. ven. 20h, sam. 18h, dim. 16h, relâches mardi et mercredi – 41 avenue des Grésillons. 92230 Gennevilliers – tél. 01 41 32 26 26 – site : www.theatredegennevilliers.fr – En tournée : les 16 et 17 octobre 2024 Centre dramatique national Orléans – du 6 au 8 novembre,  Bonlieu Scène nationale Annecy – du 5 au 7 février 2025 Comédie de Genève Genève (CH).

Tous les poètes habitent Valparaiso

Texte Carine Corajoud, en collaboration avec Dorian Rossel – conception et mise en scène Delphine Lanza et Dorian Rossel – compagnie STT / Super trop top – au Théâtre de la Tempête.

© Daphné Bengoa

Le récit se base sur une histoire réelle, assez loufoque et surréaliste, trouvée dans une brève du journal suisse Le Temps. C’est devenu le voyage d’un poème d’un bout du monde à l’autre.

La scène s’ouvre sur une émission radio menée rondement par un journaliste suisse qui interroge un artiste chilien et une comédienne, et qui tente de résoudre une énigme. Il rapporte la quête d’un chercheur américain, Scott Weintraub, autour d’un poème publié au Chili, Poemas del otro dont il voudrait retrouver l’auteur. Un signataire du poème, également auteur d’un livre mystérieux, Le Silence et sa brisure, répondrait, en France, au nom de Juan-Luiz Martinez.

© Daphné Bengoa

Différents discours s’entremêlent et on entre dans un labyrinthe qui, au final, livrera son secret. En attendant, sur le plateau comme dans la salle, on patauge d’investigations en hypothèses, parfois jusqu’à l’absurde. On est aussi dans l’archétype d’un pays – le Chili sous Pinochet – qui a vécu le totalitarisme contraignant à l’exil nombre de ses ressortissants. L’ombre du coup d’état de 1973 est présente par le récit de la grève des camionneurs un an plus tôt, qui a entraîné au fil des mois de nombreux autres grévistes et mouvements sociaux, jusqu’à la chute du Président Allende. Et l’ombre de la chanteuse engagée, Violeta Parra, qui a dédié sa vie à la musique populaire du pays, plane.

On spécule, à travers les mots d’un texte que l’actrice répète, et l’enquête d’un professeur-chercheur essayant d’éclairer le chemin que le poème a bien pu prendre. Ce poème aurait été publié à Saint-Germain des Prés. « Prolonger une ligne droite jusqu’à l’infini… »

Comme un jeu de construction, les panneaux aux couleurs vives déposés sur le côté jardin du plateau sont déplacés et prennent vie et force dans la scénographie qui interroge aussi différents lieux et diverses hypothèses (scénographie de Sibylle Kössler et Florian Gibiat). Ils dessinent comme des passerelles et remémorent les couleurs des maisons de Valparaiso. « Faire s’écrouler les systèmes » tel est le but recherché.

En fond de scène, en épilogue, s’ouvrent des fenêtres où flottent des nuages, et se construisent des séquences, comme un livre d’image. Un certain Juan-Luiz Martinez est repéré à Paris et les fils commencent lentement à se dénouer. On traverse la déconstruction et la simulation, les dilutions d’identité et strates de scénarios plus flous les uns que les autres, à la recherche d’une vérité. Il y a du jeu et du double-jeu sur scène à partir de cette ville portuaire de Valparaiso, la ville des poètes.

© Daphné Bengoa

La compagnie STT / Super trop top aime à se mesurer à des non-textes et travaille autour de scénarios, de récits de voyages, d’autobiographies et autres formes de textes, à la base, non dramatiques. Depuis plusieurs années Carine Corajoud adapte les textes de la Compagnie et construit la dramaturgie. Delphine Lanza, comédienne et metteuse en scène, de même que Dorian Rossel metteur en scène, en co-signent la réalisation. Trois acteurs sont en scène : Karim Kadjar, Fabien Coquil et Aurélia Thierrée pour interpréter plusieurs personnages, ajoutant parfois un accessoire, comme un bonnet ou une casquette. Le premier met ses pas dans ceux du poète chilien, le second, d’animateur radio et chercheur pilotant l’enquête, devient le poète français. Aurélia Thierrée est absolument troublante dans sa recherche du jeu et sa quête éperdue d’un texte écrit dans les années 70 en France par Juan-Luiz Martinez, dont elle interprète aussi, dans le dernier tableau, l’épouse. Un poème publié au Chili dont on finira par connaître l’itinéraire : un homonyme chilien aurait traduit en espagnol le poème original français laissant à penser qu’il avait été écrit dans sa langue, il n’en est pas l’auteur.

Tous les poètes habitent Valparaiso dégage un certain charme par le côté léger donné à ce voyage instable plein d’énigmes et de suspensions, avec une certaine simulation à la clé et un brin de simulacre, avec des superpositions d’identités qui finissent par livrer leur secret, après de nombreuses questions énoncées à la manière d’un polar qui nous perd dans un labyrinthe d’hypothèses et un lac d’incertitudes.

Brigitte Rémer, le 21 septembre 2024

Avec : Fabien Coquil, Karim Kadjar, Aurélia Thierrée – dramaturgie Carine Corajoud – scénographie Sibylle Kössler, Florian Gibiat – lumières : Yann Becker – création sonore Anne Gillot – costumes Fanny Buchs, assistée de Iryna Kliuchuk – Assistanat à la mise en scène Clément Fressonnet – construction décor Florian Gibiat – régie Matthieu Baumann et Benoît Boulian – direction de production et diffusion Daphné Bengoa – Direction technique Matthieu Baumann – Chargée de production et administration Raphaëlle Sabouraud.

Du 20 septembre au 20 octobre 2024, du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30 – Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ de Manœuvre, 75012. Paris – métro : Château de Vincennes, puis bus 112 ou navette Cartoucherie – site : la-tempete.fr – tél. : 01 43 28 36 36.

Théâtre des Quartiers d’Ivry – Saison 2024-2025

C’est une belle saison qui s’annonce au Théâtre des Quartiers d’Ivry. Le 19 septembre a rassemblé beaucoup de monde au cours d’une soirée lancée avec talent par les élèves de l’atelier théâtral sur le thème de la différence, de l’intégration et de l’identité. « Sois toi-même…»

Le projet que défend son directeur, Nasser Djemaï assisté d’Anne-Françoise Geneix, s’engage en poésie et se fait l’écho des bruits du monde. Il réfléchit au lien entre l’intime et le collectif, travaille sur le lien et l’appartenance. Inscrit dans une mission de service public, le Théâtre des Quartiers d’Ivry accompagne les grands récits et mythologies d’aujourd’hui, brise les clichés et cherche à s’ouvrir au plus grand nombre.

L’adjointe au Maire chargée de la Culture, Méhadée Bernard, a rappelé que nous venions d’éviter le pire lors des dernières élections, l’extrême droite, et que l’histoire sociale de la ville, Ivry, avait inscrit depuis toujours l’altérité sur ses frontons. Elle confirme que le TQI est un compagnon du quotidien, une maison commune et un lieu d’expression des résistances qui parle de mémoire, de famille, de rêve, d’écologie et d’espoir. Sa mission consiste à faire humanité ensemble.

© Théâtre des Quartiers d’Ivryt

Nasser Djemaï et Anne-Françoise Geneix ont ensuite présenté l’ensemble de la programmation en compagnie d’artistes et montrant des extraits de spectacles par des visuels. L’émergence, les créations maison et les artistes associés ont été mis en exergue. Parmi les artistes associés, Estelle Savasta présente D’autres familles que la mienne, après avoir fait une enquête sur l’Aide Sociale à l’Enfance et Sébastien Kheroufi reprend Par les villages, de Peter Handke, avec la participation d’une trentaine d’habitants d’Ivry, dans le cadre du Festival d’Automne.

Des partenariats et coréalisation avec d’autres lieux de spectacle alentour, se sont élaborés ou se poursuivent comme avec le Théâtre Antoine Vitez d’Ivry : Simon Delétang présente un texte de Magali Mougel, Suzy Storck sur le destin d’une femme et comme archétype de la vie d’une femme ; le Théâtre Jean Vilar de Vitry, Médéa Mountains d’Alima Hamel, spectacle musical sur la mémoire familiale et mémoire collective de la guerre d’Algérie ; la Briqueterie de Vitry, la chorégraphie African Party avec Oulouy et les Supa Rich Kids de Côte d’Ivoire et du Nigéria ; les Théâtrales Charles Dullin, Ten, du grand réalisateur Abbas Kiarostami, qui témoigne du combat des Iraniennes.

© Théâtre des Quartiers d’Ivry

Le thème de l’école avec Notre école de Jana Klein et Stéphane Schoukroun et de l’adolescence, avec To like or not to like/Crari or not d’Émilie Anna Maillet, un projet transmédia et une installation immersive, sont aussi sur le devant de la scène. Avec Je crée et je vous dis pourquoi, Aurélie Van Den Daele montre, avec onze auteures francophones, à travers un parcours déambulatoire, la cartographie au féminin du désir créateur. David Ayala donne corps aux textes de Mahmoud Darwich, par le récital Un autre jour viendra. Sultan Ulutas Alopé, jeune femme turque et kurde présente son texte, édité par L’Espace d’un instant, La Langue de mon père. Valentine Losseau et Raphaël Navarro s’intéressent à Madeleine, une patiente de la Pitié-Salpêtrière, jugée hystérique et soignée par hypnose, à travers le spectacle On m’a trouvée grandie. Nasser Djemaï met en scène Kolizion, un monologue aux allures de parcours initiatique sur le sens de la vie qu’il a écrit et qui est publié chez Actes-Sud. Radouan Leflahi et Brahim Koutari l’interprètent en alternance.

D’autres spectacles et propositions sont aussi au générique du TQI, nous ne pouvons tout rapporter ici ; des lectures, résidences, apéros-concerts. Le programme Vagabondes présente, hors les murs, dans les lycées, le spectacle Seuil sur les rites de passage et Toutes nos mains, de Daniela Labbé Cabrera, dans les maisons de quartier. L’Atelier-Théâtre du TQI présentera son travail de l’année les 14 et 15, 21 et 22 juin 2025.

La saison sera riche et pleine au TQI, Nasser Djemaï et Anne-Françoise Geneix accompagnés de l’équipe du théâtre et des artistes ont communiqué l’envie de venir et revenir dans la maison, pour découvrir cette fabrique d’idées et de poésie, d’analyse de la réalité et de partage de rêves qu’ils ont élaborée. La convivialité est inscrite au programme du TQI où tous ont droit de cité.

Brigitte Rémer, le 22 septembre 2024

Théâtre des Quartiers d’Ivry, 1 place Pierre Gosnat 94200 Ivry-sur-Seine, métro : Mairie d’Ivry – Pass TQI, 5 places, rechargeable à volonté : Pass Tarif plein 80 euros (16 euros la place) – Pass Tarif préférentiel : 60 euros (12 euros la place) – Pass Tarif réduit : 40 euros (8 euros la place) – Tél. : 01 43 90 11 11 – site : theatre-quartiers-ivry.com

Des lignes et des corps

Exposition des photographies de Yasuhiro Ishimoto, au Bal – commissariat Diane Dufour avec Mei Asakura, conservatrice au Ishimoto Yasuhiro Photo Center, Museum of Art de Kōchi, au Japon.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

Né à San Francisco de parents japonais, Yasuhiro Ishimoto (1921-2012) est considéré comme visuellement bilingue. On le découvre dans la magnifique exposition présentée au Bal, qui montre l’œuvre dans chacune de ses géographies, américaine et japonaise. Une première en Europe.

Originaire de l’île de Shikoku dans la préfecture de Kōchi, les parents d’Ishimoto, agriculteurs, retournent au Japon quand il a trois ans et le destinent à ce métier. En 1939, pour ne pas être enrôlé dans l’armée et apprendre les techniques agricoles modernes, ils l’envoient aux États-Unis. Diplômé de la Washington Union High School d’Alameda, en Californie, en 1942 il est placé en camp d’internement, comme de nombreux américains d’origine japonaise à cette époque, suite à la bataille de Pearl Harbor. Il y passe deux ans et apprend la technique photographique avec des camarades, réalise des photos dans le camp. Libéré en 1944, il s’installe à Chicago.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

De 1948 à 1952, Yasuhiro Ishimoto se forme à l’Institute of Design de Chicago fondé dix ans plus tôt par Moholy-Nagy sous le nom de New-Bauhaus. Peintre, photographe et théoricien de la photographie, ce dernier avait enseigné dans le Bauhaus de Walter Gropius, à Weimar, puis Dessau. Ishimoto y intègre à mi-parcours le département de la photographie. Harry Callahan, spécialiste entre autres de la ville et de l’architecture, et Aaron Siskind, photographe de l’abstraction, sont ses professeurs. Callahan incite ses élèves à sortir du studio et les guide dans l’exigence du tirage par le travail en laboratoire et devient une sorte de mentor pour Ishimoto qui réalise dans ce cadre certaines séries présentées dans l’exposition, dont Beach, Doors et Little Ones.

 En 1953, le photographe participe à l’exposition Always the Young Strangers, au MoMA de New-York, puis revient au Japon et s’installe dans le quartier branché de Shibuya où il devient une personnalité remarquée pour ses travaux dans le domaine de l’architecture, du design, de l’art et de la photographie. Il accompagne sur les principaux sites d’architecture traditionnelle au Japon le conservateur du département Architecture et Design du MoMA, Arthur Drexler et rapporte ses premières photos de la Villa Impériale Katsura, située près de Kyoto. Sa première exposition monographique Yasuhiro Ishimoto Photography, a lieu en 1954 à Tokyo, à la galerie Takemiya.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

En 1958, Yasuhiro Ishimoto s’installe à Chicago où son premier livre Someday, Somewhere, est publié ; il y reste jusqu’en 1961 puis retourne au Japon. Son second livre, Katsura : Tradition and Creation in Japonese Architecture est publié simultanément dans les deux pays tandis qu’une seconde exposition monographique, Photographs by Yasuhiro Ishimoto, est présentée à l’Art Institute of Chicago. Il retourne définitivement au Japon en 1961 où il acquiert la nationalité japonaise en 1969, à l’âge de quarante-huit ans et poursuit son travail entre prises de vue – notamment de la Villa Impériale, expositions et publications. Il disparaît en 2012. Un an plus tard est créé le Ishimoto Yasuhiro Photo Center au sein du Museum of Art de Kochi à qui le photographe avait fait don de ses archives.

Le Bal présente différentes sections et séries dans une scénographie sobre qui colle à l’univers d’Ishimoto, tirages gélatino-argentiques en noir et blanc, mêlant des photographies prises à Tokyo et à Chicago. Travaux de jeunesse principalement, toutes montrent la diversité d’inspiration et traduisent une grande exigence de cadrage et de traitement en laboratoire. Dans Chicago Beach (1948/1952), on passe de la position horizontale de personnes allongées sur le sable – occupées ou non, parfois lisant un journal, parfois en méditation face au lac Michigan – aux lignes verticales d’une forêt de jambes, vraisemblablement alignées devant un comptoir, bustes coupés à hauteur de la taille.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

La série Expérimentations 1948/1950 montre sa recherche de nouveauté, de modernité, tournant le dos à tout ce qui est convention. Ishimoto croit en l’expérimentation, il a un regard sur l’interdisciplinarité, qu’il a développé notamment au New Bauhaus où le début des apprentissages techniques se faisait par tronc commun entre architectes, designers et photographes. Il dira de l’enseignement : « Au New Bauhaus l’enseignement est très inorthodoxe. Avant même que nous puissions nous emparer d’un appareil photo, on nous enseignait le dessin de A à Z, en commençant par des croquis très simples. Jour après jour, nous étions formés à maîtriser les points, les lignes, la texture d’une surface et la lumière, à tel point que je me demandais quand j’allais enfin apprendre à photographier. »

Chicago Snow and car (1848/52) permet de sentir la texture du grain de neige, entre immobilité et mouvement, et Chicago Town, Little Ones (1959/1961) montre la rue, les personnes dans la rue, certains quartiers, notamment ceux des afro-américains. Il travaille autour de thématiques sociales sans jamais verser dans le documentaire pur, montre une jeune femme noire à la fenêtre, l’ovale du visage rejoignant une ligne courbe, peut-être fêlure de la vitre. Il regarde et rapporte des clichés sur un concours de déguisements organisé pour fêter Halloween. Tokyo, Town, Little Ones (1953/58) par ses cadrages singuliers et le déplacement de l’objet, ouvre sur le modernisme, Tokyo Towns (1960/63) met en avant la géométrie et l’espace. Ishimoto est loin du réalisme social de la photographie japonaise d’après-guerre. Moment 1980/2002 s’intéresse à l’instabilité des choses et à l’éphémère et montre des feuilles mortes tombées sur l’asphalte, des passants dans les rues de Tokyo, souvent pris à la volée sans même regarder dans le viseur, des canettes abandonnées. Il observe le bourdonnement du monde.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

Dans Katsura Imperial Villa (1953/54 et 1981/82) Yasuhiro Ishimoto montre les formes traditionnelles de l’architecture japonaise et les cadre d’une manière telle qu’il s’efface jusqu’à l’abstraction. Ainsi les shojis, ces panneaux qui glissent et délimitent les pièces de la maison, apparaissent comme des rectangles blancs monochromes derrière l’épure d’un jeu de lignes, horizontales et verticales. La villa Katsura, résidence impériale située à Kyoto, fut achevée au XVIe siècle, Ishimoto la photographie à plusieurs périodes et en montre les différents plans et profondeurs, du pavillon de cérémonie du thé aux jardins. Il joue sur les pleins et les déliés du vide prêtant au calme et à la méditation, capte les pierres qui relient un bâtiment à l’autre, rapporte des fragments sur lesquels il zoome.

Le Bal © Ishimoto Yasuhiro Photo Center.

De ces va-et-vient entre deux continents et deux identités, Yasuhiro Ishimoto réalise une œuvre forte et rigoureuse dans sa composition. Figure majeure de la photographie japonaise, reconnu tardivement car souvent en décalage temps-espace, il se fait le passeur entre deux cultures, deux visions et perceptions de la photographie. Dans ses clichés, tout est construction, épure et chorégraphie. La lumière conduit à l’abstraction du sujet et sculpte le détail, montre les textures, sable, pierre, neige, feuilles, alignement des tuiles. Il joue subtilement de contraste et ne s’inscrit pas dans le mouvement de photo réaliste de son époque. Son regard, ses recherches sont ailleurs. II aime le décentrement, l’étrangeté du flou et le reflet, les ombres, la fixité de la géométrie, l’écriture dans la pierre, ainsi que la vraie vie. Il est dans une approche formelle et non pas documentaire même s’il est le témoin d’une époque, ici et là-bas. Il élabore une science de l’architecture et ouvre la voie à d’autres générations, y compris dans une nouvelle façon de concevoir le livre de photographies. Le Bal, fidèle à ses missions de recherche et d’expérimentation autant que de transmission, en partenariat avec le Ishimoto Yasuhiro Photo Center, s’en fait le porte-parole d’une manière flamboyante et subtile.

Brigitte Rémer, le 18 septembre 2024

Le Bal, jusqu’au 17 novembre 2024, le mercredi de 12h à 20h, du jeudi au dimanche de12hà19h, fermé le lundi et le mardi – 6 impasse de la Défense, 75018. Paris – métro : Place Clichy – tél. l 01 44 70 75 50 – site : www/le-bal.fr

Édition d’un catalogue, IIshimoto, Des lignes et des corps, coédition Atelier EXB, LE BAL, 216 pages (55 €)

La Symphonie tombée du ciel

Conception et direction artistique Samuel Achache, Florent Hubert, Eve Risser, Antonin Tri-Hoang, Orchestre La Sourde – à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet.

© Joseph Banderet

Après Concerto contre piano et orchestre, l’équipe de La Sourde – Samuel Achache, Florent Hubert, Eve Risser, et Antonin-Tri Hoang – se lance dans une Symphonie tombée du ciel qui nous mène du côté des mystères et de l’invisible, qu’on appelle les miracles.

Le spectacle s’est structuré à partir de récits collectés notamment en Ehpad, prison, dans une école et sur le trottoir. Ces récits déconstruits et reconstruits nous arrivent par bribes, avec des voix émanant de partout, à travers des hauts parleurs de différentes tailles et qui émaillent la scénographie. Ils se frayent un chemin au milieu de seize interprètes et de leurs instruments qui composent une écriture musicale faite de solos et d’ensembles, de psalmodies et de chœurs, de consonances et dissonances. Une sorte de sculpture comme une figure-totem sert de supports à d’autres haut-parleurs que le sonneur de cloches déclenchera, et qui plus tard serviront de points lumineux comme étoiles dans le ciel.

© Joseph Banderet

On commence par une petite séquence de bricolage où une sorte de chef d’orchestre-mécanicien met en place ces caisses de résonnance d’où sortent de courts témoignages et qui établit une certaine complicité avec les musiciens. Atmosphère détendue tant dans les gestes que dans les costumes, dont certains scintillent, séquence plutôt pince-sans-rire où la chanteuse-flûtiste déploie des adjectifs d’admiration à gorge déployée, qui font contagion et que chaque musicien traduit « prodigieux… extraordinaire… fantastique… » comme un miracle, et comme « résistance à la dictature de la vie. » Plus tard, sa robe pleine d’écailles deviendra percussion. Chef et cheffe d’orchestre se relaient, selon les moments, captant l’attention des musiciens, concentrés et structurés en deux groupes : les cordes – violons, violoncelles, violes de gambe, contrebasses, guitare, ainsi que flûte et chant, côté jardin. Au loin le piano. En fond de scène et plus à l’est, autrement dit côté cour, les vents, trompette, trombone, clarinettes et saxophones, un peu fanfare des Beaux-Arts, à un moment.

Puis c’est autour de deux miracles formulés en direction de la Madone, deux grâces demandées, que se structure le spectacle : la première, énoncée en italien sous-titré, supplique pour qu’un père ne meure pas. On suit la montée du narrateur jusqu’au dôme où se trouve la Bonne Mère, un vrai Golgotha par un chemin pierreux et par grand froid, par le mouvement des arbres et le silence. Au-delà de la peur et de l’essoufflement, un silence positif permettant non plus de parler mais de réfléchir, et d’organiser le discours autrement. Là-haut, enfin, convivialité et communauté multiculturelle accompagnées d’hymnes à la Madone et musiques populaires à travers les instruments à vent et percussions. Au retour, trois jours plus tard, le miracle n’a pas lieu, le père meurt.

© Joseph Banderet

Second récit, l’ami venant demander grâce à travers une longue marche dans la neige qui se termine en roulé-boulé puis en vol d’oiseau après le descriptif de sa chute sur une plaque à vent qui l’a mené peut-être directement au paradis. « Tout est arrêté, je suis sous la neige… » Un coin de ciel bleu pourtant lui laisse un certain espoir. Des fils à linge auxquels sont accrochées des partitions descendent du ciel et les instrumentistes, debout, nimbés de surnaturel, suspendent leurs notes d’un phrasé à l’autre, suivant le dialogue et ponctuant le texte. Quelques musiciens s’auréolent d’un soleil doré.

Plusieurs narrations se superposent dans le dialogue entre le vocal et les instruments qui accompagnent, réagissent, paraphrasent, commentent et dialoguent. Si l’intention de l’équipe de création – le quatuor Samuel Achache, Florent Hubert, Eve Risser, Antonin Tri-Hoang – semble relativement claire dans l’idée de contredire et démultiplier la parole, celle-ci manque d’ampleur et ne semble pas exploitée comme elle aurait dû au regard du travail effectué pour la collecter.

© Joseph Banderet

On s’accroche donc aux musiciens, magnifiques dans leur capacité d’attention et d’écoute entre eux, et à ces deux récits qui restent assez vagues par rapport au thème annoncé des miracles, hormis la marche vers une quête certes difficile à cerner et qui ici semble encore inexplorée. Sur ce sentier nimbé mais au bord de la falaise, Jean-Luc Godard, donné en référence de La Symphonie tombée du ciel, indique la direction : «  Qu’est-ce que la musique ? rien. Que peut-elle ? tout. »

Brigitte Rémer, le 19 septembre 2024

Avec : Thibault Perriard en alternance avec Guihem Flouzat, batterie, guitare – Eve Risser, piano, flûte – Samuel Achache et Olivier Laisney, trompettes – Antonin-Tri Hoang, clarinettes, saxophones – Florent Hubert, clarinettes basses, saxophones – Anne-Emmanuelle Davy, flûte, chant – Rose Dehors, trombone, sacqueboute – Apolline Kirklar et Boris Lamerand, en alternance avec Marie Salvat, violons – Pauline Chiama et Etienne Floutier, violes de gambe – Gulrim Choï, Myrtille Hetzel, violoncelles – Mattieu Bloch, Caroline Peach, contrebasses. Collaboration son et dramaturgie, Chloé Kobuta – création lumières et régie générale, Maël Fabre – création et régie son, Julien Aléonard – costumes Pauline Kieffer – regard sur la scénographie Lisa Navarro, assistante Alice Le Coënt.

Athénée Louis-Jouvet, Mercredi 18, Jeudi 19, Vendredi 20, Samedi 21, Mercredi 25, Jeudi 26, Vendredi 27, Samedi 28 septembre à 20h – 2/4 square de l’Opéra Louis-Jouvet. 75019. Paris – métro : Opéra – site : www.athenee-theatre.com – tél. : 01 53 05 19 19 – En tournée : jeudi 10 octobre 2024, Le Grand R/Scène nationale de la Roche-sur-Yon – mercredi 11 décembre 2024, Théâtre de Caen – 13 au 20 décembre 2024, Théâtre national de Strasbourg.

Le mage du Kremlin

Adaptation du roman de Giuliano Da Empoli et mise en scène Roland Auzet, compagnie ACTOpus, à La Scala Paris.

© Thomas O’Brien

C’est un spectacle librement adapté du roman de Giuliano Da Empoli – essayiste et conseiller politique d’origine italienne et suisse – roman publié en 2022, qui a obtenu un immense succès en termes de lectorat et reçu le prix de l’Académie française.

Alors que l’actualité continue de se dégrader au regard d’une guerre déclarée par Poutine à l’Ukraine il y a plus de deux ans, ce roman écrit avant semble presque prémonitoire. Il nous mène dans la fabrique du pouvoir et de l’imposture. À la manœuvre et à la lisière de l’Histoire, romancée certes, la Russie et ses potentats, bien réels. Au-delà, les mécanismes du pouvoir qui se mettent en place, avec tout le cynisme et la délétère médiocrité.

Une lumière crue éblouit le spectateur qui entre dans le théâtre, comme sous surveillance et pris en défaut dans le projecteur de miradors. Ajoutant à la brutalité de l’accueil, trois murs de miroir et un sol noir luisant amplifient l’impression d’une perte de repères, avec le reflet des spectateurs démultipliés (scénographie et création lumières Cédric Delorme-Bouchard). On est dans le grandiose de l’architecture stalinienne, d’une autre manière. Tout est vu et sans aucune intimité. Entre les miroirs, des écrans sur lesquels des vidéos traduisent le fracas.

© Thomas O’Brien

Le ton est donné pour une traversée opaque au cœur du pouvoir soviétique, puis russe, de la fin du mandat de Boris Eltsine à l’avènement de Vladimir Poutine, nouveau tsar, en passant par la Perestroïka, sous le regard du buste de Staline, figure totem s’il en est, signant des millions de morts et qui se couvrira de sang au cours du spectacle.

On est d’abord à Moscou aujourd’hui, chez Vadim Baranov, dans un premier tableau où le personnage, plutôt mondain, semble s’inscrire dans un reality show. On y retourne dans le troisième et dernier tableau, alors que le second nous mène dans Un bureau du Kremlin, dans les années 2000. Les acteurs, présents sur scène pendant l’installation du public, plantent le décor d’une façon détendue avant que le spectacle débute, installant ce premier tableau chez Baranov, avec fauteuils et canapés gris très clair, piano en fond de scène, bar. Bourgeoisement installé, entouré de littérature française et de vodka, Baranov ayant déserté le pouvoir et pris sa retraite – ou battu en retraite – reçoit un jeune journaliste français, Pierre Barthélémy (Stanislas Roquette) ayant travaillé sur Evgueni Zamiatine, grand auteur interdit de publication à partir de 1922 et contraint à l’exil, et qui désire l’interviewer sur son parcours politique.

© Thomas O’Brien

Suspendu entre le réel et la fiction, c’est la carrière de Vadim Baranov metteur en scène puis producteur d’émissions de télé-réalité, féru de communication autrement dit agent de propagande, qui est racontée. Seul personnage de fiction dans le roman, on le surnomme le Mage du Kremlin. L’auteur s’est inspiré d’un certain Vladislav Sourkov, passionné de théâtre avant de devenir l’éminence grise de Poutine pendant une douzaine d’années, puis de démissionner. C’est lui, le « Raspoutine de Poutine ». qui a aidé à sa promotion, le propulsant de simple agent du KGB au rang de Tsar.  Baranov ne se départit jamais de son sourire glauque ni de sa lâcheté, y compris dans le privé avec son ancienne femme, Ksénia (Irène Ranson Terestchenko) qui le repousse. Philippe Girard interprète le personnage avec justesse, flegme et machiavélisme.

© Thomas O’Brien

L’adaptation du roman permet de dévoiler le mode opératoire d’un système qui se met en place pour passer d’un statut de personne ordinaire à celui de conseiller politique du régime, aux ordres du Tsar – le Tsar étant ici interprété par Andranic Manet, aussi glacial que poutinien. La métamorphose de Baranov en exécutif autoritaire, cruel et traitre à ses amis, se passe au Kremlin dans les années 2000. Traitre, y compris à son ami d’enfance, Boris Berezovsky – interprété avec bonhomie et subtilité par Hervé Pierre – qui lui suggère de créer avec lui un parti, celui de l’unité, « il nous faut fabriquer une unanimité, redonner de la dignité… » Berezovsky s’exilera à Londres, on apprendra plus tard qu’il se serait pendu, version officielle…! « Détruire, c’est la loi… » dit le texte, « la politique russe c’est la roulette russe… Le pouvoir s’occupe de toi. »

Entre politique et communication, Histoire et fiction, l’actualité passe dans le spectacle avec les drames de la Russie : le sous-marin nucléaire de Koursk, lanceur de missiles à longue portée qui ensevelit cent-vingt marins en exercice dans la mer de Barents ; la Tchétchénie, entre annexion et indépendance, où rien n’est réglé ; les prisonniers politiques, dont Alexeï Navalny militant anticorruption ennemi numéro un de Poutine, purgeant une peine de dix-neuf ans en Sibérie et mort cette année à l’âge de quarante-huit ans ; l’Ukraine et le vol de ses territoires.

Le texte brasse tout ce qui fait l’Histoire de la Russie, où « la rage et la haine de l’autre sont des données structurelles » : l’effondrement de l’URSS et la fin du communisme, les oligarques, leur argent et la corruption, le capitalisme, le complotisme, les idéologies, le mensonge d’état érigé comme acte de foi, la manipulation médiatique « arrêtez les images, remettez les images ! » la manipulation du peuple aveuglé par son dirigeant, son héros quel qu’il soit, descendant d’Ivan le Terrible, la vertigineuse verticalité, un monde d’hommes au Kremlin, la haine de l’occident. L’occidental, arrogant, se trouve d’ailleurs sur le banc de touche, apostrophé à plusieurs reprises.

© Thomas O’Brien

A la fin, les séquences s’enchaînent, s’annulant un peu les unes les autres, le spectacle a du mal à écrire le mot Fin : apparition-choc des Loups de la nuit, club informel russe de motards à sa création en 2013 pendant la Perestroïka, qui acquiert une importance politique et se rapproche du pouvoir poutinien ; séquence filmée dans le cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois avec Evgueni Prigojine, chef de la milice Wagner ; chanson des Pussy Riot, ces féministes punk envoyées en camp de travail pour avoir profané, dit-on, une église orthodoxe. Et si les femmes n’ont pas leur place dans les enjeux politiques poutiniens, les actrices (Irène Ranson Terestchenko, Karina Beuthe Orr et Claire Sermonne), apportent au spectacle une belle énergie qui a force de contestation.

Compositeur en même temps que metteur en scène, Roland Auzet s’intéresse depuis plusieurs années à l’histoire contemporaine. Dans ses travaux les plus récents il a notamment questionné l’identité européenne avec Nous, l’Europe, Banquet des peuples de Laurent Gaudé en 2019, qui continue de tourner et a été présenté à Kyïv (Ukraine) en 2024. Il a travaillé la mémoire de la Révolution Culturelle chinoise impulsée par Mao Zedong (1966-1975) avec Luo Ying, ancien garde rouge devenu poète, et présenté en 2022 sur le sujet Adieu la mélancolie. Il a mis en scène Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès avec deux actrices en duo, et conçu, depuis une vingtaine d’années, de nombreux spectacles. Roland Auzet a collaboré avec Giuliano Da Empoli à l’adaptation de son roman. Il met en scène, sur la ligne de crête, la folie du pouvoir aujourd’hui, à travers l’Histoire en train de se faire et d’un pays en train de se défaire. « Poutine finira par s’ensevelir sous les murs de la Russie… » dit le texte.

Brigitte Rémer le 14 septembre 2024

Avec : Philippe Girard, Hervé Pierre, Stanislas Roquette, Irène Ranson Terestchenko, Karina Beuthe Orr, Claire Sermonne, Andranic Manet – à l’écran Jean Alibert et Anouchka Robert – scénographie, création lumières Cédric Delorme-Bouchard – création vidéo et musique Wilfried Wendling – costumes Victoria Auzet – assistante à la mise en scène Pauline Cayatte – images de Gilles Cayatte – régie Jean Gabriel Valot (générale), Thomas Mirgaine (son), Jonathan Rénier (vidéo), Adrien Bonnin (lumières)Le mage du Kremlin, de Giuliano da Empoli est publié aux éditions Gallimard, (2022).

Du 4 septembre au 3 novembre 2024, du mercredi au samedi à 21h. Le dimanche à 17h – à La Scala Paris, 13 boulevard de Strasbourg. 75010. Paris – métro : Strasbourg-Saint-Denis – tél. : 01 40 03 44 30 – site : www.lascala-paris.fr – En tournée : 14 novembre, la Scala Provence, Avignon (84) – 19 novembre, Théâtres en Dracénie, Draguignan – 21 au 23 novembre, Théâtre du Gymnase /Friche belle de Mai,  Marseille (13) – 27 au 29 novembre, Théâtre national de Nice (06) – 3 décembre, Théâtre Francis Palmero, Menton (06).

La Chute

D’après l’œuvre d’Albert Camus – adaptation Jacques Galaup – Interprétation et mise en scène Jean-Baptiste Artigas, compagnie La Belle Équipe – au Théâtre Essaion.

© Philippe Hanula

L’acteur est seul en scène et le personnage se raconte avec volubilité dans un discours adressé. Son interlocuteur n’est qu’imaginaire, matérialisé sur scène par un fauteuil de bois qui fait face au sien. Dans un coin du Mexico City où il le rencontre, un bar à matelots d’Amsterdam face à la mer du Nord, dans le quartier du Zeedjik, un piano aux entrailles ouvertes, laisse voir sa mécanique. Les verres de genièvre sitôt finis se remplissent, comme le texte de Camus se remplit de subjonctifs imparfaits, qui amusent l’auteur mais pas forcément le lecteur plongé dans le texte original.

L’adaptateur, Jacques Galaup, a heureusement donné les coups de canif nécessaires pour que le texte s’allège. Tout en gardant fidélité, il l’a construit en cinq journées, le texte source avait six chapitres non titrés et passait relativement du coq à l’âne entre Amsterdam et Paris, hier et aujourd’hui, entre colombes, retour du crucifié et tableau de Jan Van Eyck.

© Philippe Hanula

Et l’acteur, Jean-Baptiste Artigas, fait prendre le vent à ce texte subtilement ré-adapté. Il réussit même, par son empathie, à rendre le personnage sympathique, alors que, dans le texte du Prix Nobel de littérature, à travers un cynisme égotique et une parfaite misogynie, il ne l’est point. « Il faut le reconnaître humblement, mon cher compatriote, j’ai toujours crevé de vanité. » Ce personnage, Jean-Baptiste Clamence – un second Jean-Baptiste –  règne au Mexico City et prend son interlocuteur en otage, lui adressant ses harangues d’une façon fort polie et quasi obséquieuse à coup de « Mon cher compatriote » et étale sa brillante connaissance d’Amsterdam, ses rues, ses boutiques, ses enseignes. La réponse, le commentaire et la contradiction de fait sont muets, et l’adresse, à sens unique. « Puis-je, monsieur, vous proposer mes services, sans risquer d’être importun ?… Mais je me retire, monsieur, heureux de vous avoir obligé… » On est vraisemblablement dans un jeu de double et de miroir, je face à il et il étant je.

Éloquent, Jean-Baptiste Clamence se présente comme juge-pénitent et se répand sur ses activités d’antan : il était avocat à Paris et défendait « les nobles causes. La veuve et l’orphelin, comme on dit… Je suis sûr que vous auriez admiré l’exactitude de mon ton, la justesse de mon émotion, l’indignation maîtrisée de mes plaidoiries… » Par quelques petites phrases sibyllines Clémence installe cependant comme un doute dans son parcours : « J’ai plané jusqu’au jour où… » avant de repartir dans une nouvelle logorrhée. Arrive l’heure de la confession qui éclaire ce doute d’un événement qui aurait fait basculer sa vie et commence sur le Pont-des-Arts par un rire qu’il entend et le hante, auquel il répondra par des débordements et des provocations gratuites ; puis rupture d’avec lui-même qui se consomme sur le Pont Royal quand il entend le bruit d’un corps « qui s’abat sur l’eau. » Une jeune femme qu’il avait juste aperçue de dos et penchée sur le parapet, s’était laissé tomber dans la Seine. Il avait suivi son cri descendant le fleuve, sans la secourir avant de continuer sa route, comme si de rien n’était. Et l’on se prend à penser au Cri de Munch, ce peintre norvégien…

© Philippe Hanula

Se superpose à ce récit de vie qui se poursuit, l’image du crucifié, Clémence sûrement selon le jeu de l’acteur. « Il y a toujours des raisons au meurtre d’un homme » justifie-t-il, avant de faire un petit discours sur les croyants les mécréants, et leur justification « Au nom du Seigneur. » Certes l’événement le traumatise, mais Clamence reste au centre du jeu, au centre de son monde. Il décide alors de devenir juge-pénitent et met ce nouveau rôle en correspondance avec le tableau de Jan Van Eyck, Les Juges intègres, panneau issu du retable de « L’Adoration de l’agneau mystique. » Camus file la métaphore puisque dans le Mexico-City, ce bar à matelots d’Amsterdam, quartier général du personnage, ce dernier avait remarqué sur le mur du fond, un rectangle vide, comme la trace d’un tableau manquant. Or, le tableau de Jan Van Eyck, mort à Bruges au milieu du XVe a bien été volé, en 1934, dans la cathédrale de Gand, et n’a jamais été retrouvé. Dans la chambre de Clamence souffrant où il reçoit son interlocuteur, on le retrouve au fond d’un placard, le juge-pénitent en indique lui-même l’endroit en expliquant pourquoi il s’y trouve après être passé de mains en mains.

© Philippe Hanula

Le texte de Camus repris sur scène se clôt dans une sorte de délire artistico-mystique plongeant le lecteur dans le trouble et le flou, son personnage passant du « je » au « nous » entre Jugement dernier et provocation, faisant un pas de deux avec son interlocuteur imaginaire, justement avocat lui aussi… « Quelle ivresse de se sentir Dieu le père et de distribuer des certificats définitifs de mauvaise vie et mœurs. » Il parle de culpabilité et de pardon, de vérité et de mensonge, de mal-être et de suicide, de vanité, de liberté, et se termine par une pirouette : « O jeune fille, jette-toi encore dans l’eau pour que j’aie une seconde fois la chance de nous sauver tous les deux ! » Mais on peine là encore à le croire, car « l’eau est si froide » ajoute l’auteur…

C’est un texte plein de chausse-trapes dont se tire à merveille l’acteur, Jean-Baptiste Artigas qui le fait vivre comme un polar, avec subtilité et précision. De jeux d’ombre en clair-obscur, la lumière de Caroline Calen sculpte le petit espace de ce théâtre minimaliste, recréant les brumes d’Amsterdam et celles des ponts de Paris autant que la chorégraphie d’un prétoire où Clémence y tiendrait tous les rôles, d’huissier et de greffier, d’avocat et de victime, de procureur et de témoin. A certains moments il prend place au piano et offre au public une respiration musicale jazz bienvenue, entre autres Thelonious Monk, Fats Waller et Duke Ellington : l’acteur est aussi pianiste, chanteur et compositeur, il signe la mise en scène et se fait le passeur d’un texte, La Chute, au départ assez peu engageant.

Brigitte Rémer, le 9 septembre 2024

Texte d’Albert Camus, adapté par Jacques Galaup – Interprétation et mise en scène Jean Baptiste Artigas, dramaturgie Sophie Nicolas, collaboration artistique Guillaume Destrem, lumières Caroline Calen. Compagnie La Belle Équipe.

Du 1er septembre 2024 au 6 janvier 2025, dimanche à 18h, lundi à 19h, au Théâtre Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, 75004 Paris – métro Rambuteau et Hôtel de ville – tél. : 01 42 78 46 42 – site : www.essaion.com

 

La Langue de mon père

Texte de Sultan Ulutaş Alopé, éditions L’Espace d’un instant, collection Sens Interdits. Préface de Timour Muhidine.

Première de couverture

La collection Sens Interdits des éditions L’Espace d’un instant s’est donnée pour mission de permettre à un texte présenté sur scène, de dépasser l’éphémère de la représentation et d’exister, dans une petite éternité. Comme la douleur. Celle d’être ou de ne pas être. Car c’est un texte de douleur, celle d’une jeune femme à l’identité incertaine – turque et kurde par son père – qui comprend très tôt la part obscure de cette double appartenance. « J’ai porté cette honte pendant une bonne partie de ma vie parce que mon père était de ce peuple. »

Ce père, le grand absent de sa vie, a délaissé sa mère quand Sultan avait une petite poignée d’années. Une mère dessinée en creux qui se bat pour élever ses trois filles dans un contexte patriarcal et qui, pour avoir épousé un Kurde en revendique sa culture, au grand dam de ses filles. Sulṭān, qui signifie souverain et pouvoir, et qui d’un pas de côté fait penser à l’éminent sultan, Soliman le Magnifique, à la tête de l’Empire Ottoman, au XVIe siècle. Un prénom que sa mère ne souhaitait pas pour elle, mais sous lequel son père avait déclaré la naissance, car c’était le prénom de sa grand-mère qu’il adorait. Il appelait donc souvent sa fille « Mamie Sultan », une lourde charge.

Mais c’est ici une Sultan(e) qui se bat contre ses fantômes et lance son adresse au père dans une langue qu’il ne connaît pas, le français, langue apprise en exil, encore fragile pour elle. Son parcours de vie se calque sur le texte, se métamorphose en histoire et devient matière théâtrale. Elle-même se fait personnage, seul son prénom demeure. Alors qu’elle attend sa carte de séjour, en France où elle était d’abord venue étudier avant de vouloir y travailler, pour tuer le temps, elle décide d’apprendre la langue kurde, avec le désir de se rapprocher du père pour mieux le comprendre, et de percevoir les zones d’ombre de son passé. Première phrase apprise au cours : « Tu ji ku derê yî ». D’où tu viens ? De quel peuple es-tu ? » question immédiatement entendue quand on rencontre quelqu’un, en Turquie.

La famille vit au rythme des va-et-vient du père « Au bout d’un certain temps nous avons arrêté de compter les jours, les semaines et les mois où tu t’absentais » si bien que « le mot famille ne t’inclut pas… Tu es simplement hors de ce mot » confesse Sultan. Les échanges téléphoniques se font rares et douloureux, comme ce jour où elle retrouve sa trace après de longues années de silence et l’appelle au Kazakhstan où il s’est installé et a refait sa vie, un père qui lui dit pourtant qu’il l’aime – « Seni seviyorum » en turc – et qui lui envoie le lien d’une chanson traditionnelle kurde, Le Figuier.

Photo du spectacle © Jeanne Garraud

Sultan reconstruit le parcours du père, par bribes, à travers la mémoire de la mère, lui qui ne disait jamais mot lors de ses brefs passages en famille : son village, situé à l’extrême Est de la Turquie près de la frontière arménienne ; sa beauté quand il était jeune et son envie de devenir une star de cinéma ; le saut dans l’inconnu quand il sèche le collège à l’âge de treize ans et part pour Istanbul ; les petits jobs d’Istanbul. Le passé se mêle au présent et à certains moments la violence affleure puis se précise. L’auteure se souvient d’un danger au sein du couple et de menaces sur la mère, de la mort qui rôde. « Tu sais, un enfant peut aussi perdre la raison », écrit Sultan qui un jour va jusqu’à cauchemarder que le père la viole, et en culpabilise. « Quand j’avais sept ans tu nous avais déjà quitté pour la première fois… »

« Assumer d’être kurde, ça veut dire aussi que ton existence fait partie de la mienne…Nos existences sont mêlées et elles le resteront toujours » lui déclare Sultan avec émotion. Le texte se termine sur un pardon. « Je te pardonne en français, en turc, en kurde et dans toutes les autres langues du monde. » Cette lettre au père se ferme sur une question : « Qu’est-ce que tu en penses ? » lance-t-elle, espérant une réponse qui peut-être ne viendra pas, sauf si elle-même l’écrivait un jour.

Photo du spectacle © Jeanne Garraud

La Langue de mon père est un texte sobre et sensible, le style en est simple et clair, Sultan resserre la focale photographique à la recherche de plus de netteté sur les événements familiaux et ce père fantasmé. Le texte a été sélectionné pour le Prix Sony Labou Tansi des Lycéens 2025. L’auteure, metteure en scène et actrice en avait présenté une première lecture en 2022 au Théâtre L’Elysée, à Lyon, dans le cadre du Festival Contre-Sens qu’a fondé Patrick Penot, directeur de la collection Sens Interdits aux éditions L’Espace d’un instant – avec Olivier Neveux qui assure la présidence de l’association portant le même nom. Elle en a ensuite montré une première étape de travail en avril 2023 à Lyon, au Théâtre des Clochards Célestes – lieu qui soutient la jeune création et appartient au réseau Scènes Découvertes – avait présenté la pièce au Festival Mythos de Rennes, puis l’a créée au Théâtre de La Manufacture dans le cadre du Festival Avignon-Off, avant de la jouer en janvier 2024 au Théâtre National de Strasbourg. Jeanne Garraud, auteure et metteure en scène que Sultan avait rencontrée à son arrivée en France, en 2017, l’a accompagnée, en collaborant à la mise en scène.

Née à Istanbul en 1988, Sultan Ulutaş Alopé a d’abord obtenu un diplôme d’ingénierie avant de suivre quatre années de formation en art dramatique dans sa ville puis de s’inscrire en master cinéma et art dramatique. C’est dans ce cadre qu’elle a obtenu une bourse et construit un échange avec l’ENS de Lyon où elle a passé un an, suivi d’une année au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris – dans la classe de Nada Strancar. L’auteure situe son travail entre la pratique de l’écriture et le jeu théâtral. La Langue de mon père est son premier texte de théâtre écrit en français, sa langue de liberté. C’est un texte de résilience, sans haine ni rébellion à l’égard du père, comme une petite musique de nuit où elle a glissé quelques phrases en kurmanjdi – la langue kurde du nord, confirmant son identité retrouvée devenue aujourd’hui sa fierté.

Brigitte Rémer, le 31 août 2024

Texte de Sultan Ulutaş Alopé, éditions L’Espace d’un instant, collection Sens Interdits – Ouvrage publié avec le soutien du cercle des mécènes de la Maison d’Europe et d’Orient – Deuxième tirage, juin 2024, 51 pages (10 euros).

La Langue de mon père sera repris en tournée : le 3 octobre 2024, au Festival Les Théâtrales de Mourenx (64) – le 8 octobre 2024, à l’Université de Lyon (69) – les 23 et 24 novembre 2024, au Festival International Théâtre Action de Grenoble – le 25 février 2025, à l’Université de Rouen – du 19 au 23 mars 2025, au Théâtre des Quartiers d’Ivry – le 12 avril 2025, au théâtre ambulant de la Compagnie Autochtone – le 22 mai 2025, au Festival des arts du récit d’Eybens (38).

Créer des Ballets au XXIe siècle

Enquête sur les nouveaux classiques, de l’Opéra de Paris au Bolchoï – par Laura Cappelle, CNRS éditions.

L’auteure s’est lancée dans une enquête approfondie sur une forme spécifique de la danse, le Ballet qui, dans un monde artistique en ébullition et recherche permanentes, pourrait sembler suranné et n’avoir guère droit de cité dans le champ de la danse contemporaine.

En effet depuis une quarantaine d’années la danse est sortie de son cadre et s’est métamorphosée à travers de nombreux vocabulaires et techniques, puisant dans le sport, le théâtre, le jazz, les arts de la rue et les arts visuels ; ses formations – compagnies et collectifs – sont devenues plus épisodiques ou éphémères ; ses modes de production, plus volatiles et aléatoires.

En tête chercheuse, Laura Cappelle se penche sur la question du classique et nous invite à revisiter certains a priori, car dit-elle, d’une part « la danse classique crée », d’autre part un certain nombre de chorégraphes de la nouvelle génération, remarqués dans le monde de la chorégraphie contemporaine – comme Crystal Pite, Justin Peck et d’autres – ont reçu une formation classique. Elle montre l’évolution du Ballet, encore bien vivant confirme-t-elle, à travers une enquête qu’elle réalise sur quatre terrains judicieusement choisis, chacun ayant joué un rôle déterminant dans l’histoire de la danse : le Ballet de l’Opéra de Paris, le Ballet du Bolchoï (Moscou), l’English National Ballet (Londres), le New York City Ballet. Elle observe leurs remises en question et la re-création de spectacles, dans un contexte social et politique aujourd’hui bien différent. Un cahier-photos au centre de l’ouvrage montre en images le travail de chacune des troupes.

Le prisme de son analyse traverse sept points, dont les deux premiers sont comme un inventaire des mots et des techniques du ballet et le recensement des chorégraphes dits classiques, pratiquement tous passés par la case danseur. Le troisième chapitre touche à la création chorégraphique, travail collectif s’il en est, même si la partie technique verrouillant le spectacle arrive souvent tardivement ; le quatrième parle du geste et de l’approfondissement du mouvement, notamment en studio où se croisent chorégraphes, répétiteurs et danseurs ; le cinquième chapitre évoque le genre et les inégalités, et les deux derniers mettent en avant l’imaginaire, dans sa construction sociale d’une part, dans le trouble qu’il apporte à l’univers classique, d’autre part. L’auteure évoque aussi avec beaucoup d’honnêteté les critiques souvent énoncées face au genre classique et qui en trace les limites, entre autres : « son manque de diversité, l’absence relative de femmes chorégraphes, les stéréotypes de son répertoire historique », sans oublier le « mythe du génie artistique. »

1 – Ballet de l’Opéra national de Paris © Laurent Philippe

Dans le ballet classique les saisons se partagent entre la reprise d’œuvres existantes, principalement des ballets hérités du XIXe siècle, et l’accueil de chorégraphes pour la re-création de pièces du XXe et du début du XXIe, dans le cadre de la circulation des artistes qui s’est amplifiée, notamment au plan international. Chaque troupe garde un rapport spécifique au répertoire, à la tradition, à la mémoire et à la création, qui varie en fonction de sa structure administrative : il y a, note l’auteure ceux qui sont abrités dans des maisons d’opéras, qui en dépendent administrativement et qui reçoivent les directives de l’institution, c’est le cas du Ballet de l’Opéra de Paris et du Ballet du Bolchoï ; d’un autre côté il y a les compagnies classiques relevant de structures indépendantes comme le New-York City Ballet et l’English National Ballet.

Guidé par Laura Cappelle, le lecteur entre ensuite dans le processus même du travail chorégraphique et ses étapes, depuis la première esquisse de la chorégraphie jusqu’à l’approfondissement du geste, à sa précision et perfection recherchées, après corrections en studio. Elle donne de nombreux exemples, déclinant la typologie des relations entre chorégraphes, maîtres de ballets, répétiteurs et danseurs, l’articulation entre le geste et la musique « subdivisée en phrases, en mesures et en temps », et une certaine inégalité dans le temps du travail en studio, selon les catégories d’interprètes.

2 – Ballet du Bolchoï © Alice Blangero

Pour clarifier les logiques de création classique et comme suite à son observation de terrain, Laura Cappelle propose ensuite une lecture à partir de trois idéaux-types – ces outils méthodologiques mis au point par le sociologue Max Weber – trois logiques qu’elle qualifie de logique conventionnelle, quand le travail s’inscrit dans un rapport fort à l’histoire de la danse ; de logique dramatique, quand le sens de la danse passe avant les pas ; de logique plastique quand le corps classique devient terrain d’expérimentation, repoussant les limites physiques et formelles de la danse classique.

Le chapitre 5 intitulé Émanciper la muse : le genre à l’œuvre s’ouvre sur la parole de la chorégraphe Crystal Pite échangéee au cours d’une interview avec l’auteure : « Les femmes non-conformistes tendent à quitter le monde de la danse classique tôt. Elles se rendent compte qu’il ne correspond pas à leurs aptitudes. » Laura Cappelle démonte alors l’idée que la danse classique serait majoritairement féminine, comme le laissent à penser les représentations sociales occidentales et nuance singulièrement ce propos qu’elle désigne comme trompeur. Les femmes sont minoritaires dans les fonctions de direction artistique ou comme chorégraphes classiques, elle rappelle que la séparation masculin/féminin se fait dans les cours dès le plus jeune âge, et que par ailleurs les alphabets ne sont pas les mêmes, les hommes apprenant le porté et la femme les pointes. Elle parle aussi de la relation homme-femme dans le ballet classique et dans le « jeu » de la muse et du pygmalion, de l’infantilisation des interprètes dans les apprentissages et du sexisme au quotidien, de l’autocensure de la danseuse pour accéder au rang de chorégraphe.

3 – English National Ballet © Altin Kaftira

Dans la relation du classique à l’imaginaire dont elle cherche la définition du côté des philosophes comme Jung et Bachelard, ou plus récemment de Joël Thomas, elle évoque la mémoire corporelle – vecteur de stéréotypes et façonnée par le répertoire – comme réservoir de propositions possibles. Faisant référence à ses échanges avec les artistes, l’auteure démontre que la mémoire institutionnelle agit sur la forme des ballets créés, car « les institutions portent une mémoire chorégraphique propre, transmise aux acteurs par les reprises et créations du répertoire. » Elle présente une esthétique de l’entrelacement qu’elle définit comme tissage entre le vocabulaire classique et la référence à d’autres œuvres et d’autres styles. « Le rôle de l’imaginaire dans la création classique permet de penser la dimension sociologique de cette notion : marqué par la socialisation des acteurs et par les répertoires que ceux-ci traversent en tant qu’interprètes, il informe profondément le travail créatif dans les institutions. » Elle pose la question du style : « identifié, un style permet d’assurer l’authenticité théorique et la valeur de l’œuvre. » Style utilisé dans un autre sens pour désigner ce que la danse classique appelle les écoles ou encore « une capacité supérieure de l’artiste à proposer quelque chose d’unique. »

4 – New-York City Ballet © Paul Kolnik

En concluant son ouvrage, Créer des ballets au XXIe siècle, d’une grande richesse, Laura Cappelle rappelle que « le processus de création en danse classique a la particularité de favoriser l’insertion d’une figure souvent nomade, le chorégraphe, dans des institutions principalement vouées à l’entretien d’un répertoire existant » et confirme que « si les chorégraphes sont aujourd’hui les auteurs désignés des ballets, le processus de création classique n’en apparaît pas moins comme profondément social et collectif. »

L’angle de vue qu’elle développe avec minutie, dans cette passionnante Enquête sur les nouveaux classiques, de l’Opéra de Paris au Bolchoï, prend aussi pour points d’appuis la référence aux sociologues qui ont ouvert de nouvelles voies, comme Howard Becker et Pierre Bourdieu, Raymonde Moulin et Pierre-Michel Menger, Bernard Lahire. Sa position de chercheuse et de journaliste lui a été un bon passeport, comme elle le dit dans son introduction, de même que la connaissance de la danse classique qu’elle a pratiquée en amateure pendant plus d’une douzaine d’années. Après l’ouvrage collectif réalisé sous sa direction, Nouvelle histoire de la danse en Occident – de la préhistoire à nos jours, vingt-cinq chercheurs internationaux apportaient leur contribution (cf. notre article du 9 décembre 2021), Laura Cappelle s’est affrontée de manière ambitieuse à un sujet sensible et complexe dans lequel elle creuse son sillon avec beaucoup d’intelligence et de finesse. Sa recherche est précieuse, elle tord le cou à de nombreux a priori et stéréotypes. Sa force de conviction réside en son travail, basé sur l’observation participante et la collecte de la parole des artistes, danseurs et chorégraphes.

Brigitte Rémer, le 25 août 2024

Créer des ballets au XXIe siècle – Enquête sur les nouveaux classiques, de l’Opéra de Paris au Bolchoï, par Laura Cappelle, CNRS éditions, avril 2024, 369 pages, (25 euros) – Photographie de couverture : Maia Makhateli dans Frida, d’Annabelle Lopez Ochoa, Dutch National Ballet, © Carlos Quezada – site : www.cnrseditions.fr

Visuels : 1/- Naïla, esprit de la source (Myriam Ould-Braham) et le chasseur Djémil (Josua Hoffalt), dans La Source, chorégraphie de Jean-Guillaume Bart. Ballet de l’Opéra national de Paris, 2011 © Laurent Philippe – 2/- Petruchio (Vladislav Lantratov), ivre, lors de son mariage avec Katharina, dans La Mégère apprivoisée, chorégraphie de Jean-Christophe Maillot. Ballet du Bolchoï, 2014 © Alice Blangero – 3/- Annabelle Lopez Ochoa en répétition de Broken Wings, chorégraphie d’Annabelle Lopez Ochoa. English National Ballet, 2016 © Altin Kaftira – 4/- Georgina Pazcoguin et Andrew Veyette, dans New Blood, chorégraphie de Justin Peck. New-York City Ballet, 2015 © Paul Kolnik.

Tous danseurs

30 artistes qui font la danse d’aujourd’hui et de demain, par Dorothée de Cabissole, aux éditions Marabout.

1ère de couverture

C’est un livre plein de charme dans lequel on peut piocher à la recherche de l’oiseau/l’oiselle rare, danseur ou danseuse qui nous a fait vibrer ou qui va nous prendre dans ses ailes pour nous emmener bien haut dans le ciel de ses émotions. À feuilleter, à butiner ou à dévorer, dans tous les cas à savourer tant la conception graphique et les photographies pleine page sont séduisantes et donnent envie.

Alors entrons dans le mouvement avec ce portrait des différents styles et formes de danses ouvrant sur une multiplicité de langages corporels qui rappelle, ou qui appelle, la danse classique, contemporaine, hip-hop, breaking, krump, électro, voguing, waacking, danses en talons, danses de salon, flamenco, à travers la parole de trente danseurs et danseuses. Le cœur du dispositif est un podcast, Tous danseurs, dans lequel l’auteure, Dorothée de Cabissole, passionnée de danse et qui la pratique depuis l’enfance, donne la parole à des acteurs/actrices de toutes les danses, dans le but de rendre leur art accessible à tous.

D’un classement en onze techniques et expressions dansées, la danse contemporaine occupe un tiers du livre. « C’est le territoire du présent et de l’avant-garde pour toutes les générations de chorégraphes… Elle n’a pas de frontière esthétique et ne cesse d’imaginer des ailleurs » dit l’auteure qui en reprend le développement depuis les années 1930, aux États-Unis et en Allemagne, pour arriver en France une quarantaine d’années plus tard. Isadora Duncan, Loïe Fuller, Ruth Saint-Denis contribuent à l’avènement d’une nouvelle danse qui va se développer avec Martha Graham et Merce Cunningham. « Pour moi, Cunningham, c’est le Marcel Duchamp de la danse. Il a mis le curseur si haut, avec une conception si avant-gardiste de l’idée qu’on avait de l’art, que la plupart des artistes essaient encore de combler ce vide », dit Angelin Preljocaj – auteur de la préface du livre – qui, en tant que chorégraphe, s’est imprégné de son vocabulaire.

L’auteure évoque la révolution de la danse à partir de 1960, avec l’émergence de la postmodern dance et de Pina Bausch avec le Tanztheater qui casse l’image du danseur parfait, et crée un langage nouveau basé notamment sur le collectif. Puis elle décline les mutations de la danse en France à partir de 1970, avec le développement de la danse contemporaine puis l’institutionnalisation une dizaine d’années plus tard avec Michel Guy puis Jack Lang comme ministres de la Culture, avec Georges Frêche comme Maire de Montpellier et l’implantation dans la ville de Dominique Bagouet et du festival Montpellier Danse, de la création des lieux de diffusion et de celle d’un diplôme d’enseignement de la danse contemporaine.

Assembly Hall, de Crystal Pite © Michael Slobodian

Dorothée de Cabissole liste les chorégraphes de renom venant de tous les points du monde dont Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet, Anne Teresa de Keersmacker, Blanca Li, Mourad Merzouki, Ohad Naharin, Angelin Preljocaj, Rachid Ouramdane, Crystal Pite, Hofesh Shechter et met la focale sur beaucoup d’autres, parcourant leur biographie et les questionnant sur leurs parcours, sur ce qu’ils aiment.

Elle poursuit son inventaire avec des techniques populaires, ou parfois moins connues, définit le hip-hop comme « une culture positive, un mouvement, une philosophie », proche du graffiti pour les arts visuels et expression de la révolte en interviewant plusieurs de ses chorégraphes, dont Ousmane Sy ; présente le breaking en son étymologie, ses origines et sa gestuelle ; le krump en parlant notamment de Grichka Caruge, son pionnier ; la danse électro et ses battles, danse cent pour cent française qui, à partir des années 2000, puise dans les musiques électroniques mixées par les DJ ; le voguing, syncrétisme de nombreuses influences dont les arts martiaux et les sports de combat ; le waacking, né dans les clubs gay, avec une de ses figures majeures, Josépha Madoki, née à Kinshasa (RDC).

Requiem(s) d’Angelin Preljocaj © Didier Philispart

Le livre se poursuit, investiguant autour de la danse en talons qui allie puissance et sensualité et dont la figure-phare est Yanis Marshall qui en assure la transmission dans le monde ; puis survole les danses de salon, témoignage de l’évolution de la danse et de la société qui a ses origines dans les danses de cour et inclut la danse sportive, une danse de compétition dont Fauve Hautot est une représentante inspirée ; le flamenco, qui a pour origine les danses populaires d’Andalousie et mêle la danse, la musique et le chant, avec Paula Comitre, comme étoile montante de la catégorie.

Tous danseurs, s’ouvre sur la préface d’Angelin Preljocaj : « Dans la danse j’ai trouvé ma vie, j’ai trouvé mon être. C’est ma façon d’exister », suivi des cent dates qui ont marqué l’évolution de la danse. Le livre se ferme sur un petit répertoire de livres et de films sur la danse, et la postface de Marion Motin : « Pour danser, j’ai besoin de musique, beaucoup. La musique me transcende et je n’ai besoin de rien d’autre. Être présente dans mon corps. Être là, c’est tout. » C’est un livre flamboyant et un magnifique itinéraire proposé par Dorothée de Cabissole qui met en lumière un art libre et créatif, la danse, et ceux qui l’inventent, la respirent et la vivent. Sa mise en page est pleine de vie et de couleurs, de photographies et de mots qui dansent.

Brigitte Rémer, le 11 août 2024

Tous danseurs – 30 artistes qui font la danse d’aujourd’hui et de demain, par Dorothée de Cabissole, Hachette Livre (Marabout), octobre 2023 (29,90 euros) – site : www.marabout.com – tél. : 01 43 92 35 97.

Danseuses et danseurs interviewés : Laura Arend – Mehdi Baki – Marion Barbeau – Camille Bon – Mellina Boubetra – Grichka Caruge – Paula Comitre – Dexter – Carlota Dudek – Johanna Faye – Jade Fehlmann – Jann Gallois – Fauve Hautot – Nicolas Huchard – Edouard Hue – Leïla Ka – Mehdi Kerkouche – Pablo Legasa – Germain Louvet – Josépha Madoki – Yanis Marshall – Brandon Masele – Matteo Masson – Antonin Monié – Nach – Laura Nala – Arthur Perole – Amalia Salle – Noé Soulier – Léo Walk. La préface est signée Angelin Preljocaj, la postface Marion Motin.

Hommage à Zakaria Ibrahim

Auteur-compositeur et chef d’orchestre, créateur du groupe musical El Tanbura et fondateur du centre El Mastaba, à Port-Saïd (Égypte).

© El Mastaba – Troupe El Tanbura

Né à Port-Saïd en 1952 d’une mère originaire de la ville et d’un père venant de Haute Egypte, Zakaria Ibrahim tient une place singulière dans le paysage musical égyptien. Investi très jeune dans le chant et la musique, il a consacré sa vie à la sauvegarde et la renaissance de la tradition musicale, remettant sur le devant de la scène le chant et les instruments traditionnels de la région de Port-Saïd, ville située à l’embouchure du canal de Suez. Il vient de disparaître, le 29 février 2024.

D’éducation musulmane, d’emblée les autres cultures l’animent et il est attiré par le chant. Il observe les musiciens de rue et connaît par coeur le répertoire du grand Abd el Halim Hafez. Sa jeunesse est marquée par la violence des événements politiques – la guerre liée à la nationalisation du Canal de Suez par Nasser d’une part, l’Égypte s’étant opposée à l’alliance tripartite entre Israël, la France et la Grande-Bretagne, en 1956 alors qu’il n’a que quatre ans ; la guerre des Six jours d’autre part, en 1967, alors qu’il en a quinze. Il est contraint avec sa famille et comme beaucoup d’autres à s’exiler plus de deux ans à l’intérieur du pays. Son père meurt quand il a dix-huit ans.

© El Mastaba – Zakaria Ibrahim

Désertant la violence et l’absence, Zakaria Ibrahim s’investit dans la musique et commence à chanter et à danser la Bamboutia, une danse traditionnelle de Port-Saïd. À partir de 1971 il engage des études au Caire où il crée un groupe musical à la Faculté d’Agriculture de l’Université Ein Shams et n’a de cesse de faire connaître la musique populaire à partir de la simsimiyya – une lyre ancienne que l’on trouve sur les bas-reliefs, dans les tombes des Pharaons – en préservant son authenticité. Au départ, le groupe intervient surtout lors des mariages. En 1980, quand il revient à Port-Saïd, Zakaria Ibrahim est devenu un militant activiste, ce qui lui vaut quelques mois de prison. Puis ce sont des rencontres avec quelques vieux maîtres de chants soufis qui lui permettent de structurer un groupe musical autour des joueurs de simsimiyya, qui attire aussi des jeunes. La troupe El Tanbura naît en 1988 et rassemble des musiciens de tous âges qui exercent d’autres métiers tout en étant artistes. Leur vocabulaire repose sur la simplicité, Zakaria Ibrahim n’illustre pas la tradition, il en transmet l’âme. Et les musiciens jouent comme ils vivent et font entendre leur musique.

Frédéric Lagrange dans son ouvrage Musiques d’Égypte, donne des précisions sur les instruments – « Tanbûra et simsimiyya désignent sensiblement le même instrument : une lyre à cinq cordes tendues sur une boîte de résonance ronde, utilisée sur la côte de la mer Rouge et au Yémen. » Il précise que la tanbûra, est utilisée dans la région d’Aswaân, en Haute-Égypte, tandis que la simsimiyya venant du Delta s’est diffusée dans la région du Canal de Suez dans la seconde partie du XXème siècle. On en jouait dans les cafés de Port-Saïd.

Tombe de Djeser, à Thèbes, (c.1420-1411 av. J.-C.) *

Zakaria Ibrahim a travaillé tout au long de son parcours musical et de sa vie, sur la transmission, en collectant la musique traditionnelle de la région de Port-Saïd, et dans la générosité du partage. A partir de 1994 El Tanbura commence à jouer au Caire et à former un public. La troupe fait une première tournée à l’étranger, en France, et donne un concert à la Cité de la Musique, en 1996. Puis elle voyage et diffuse sa musique – locale et globale – à travers les festivals, partout dans le monde. Chaque mercredi El-Tanbura se produit avec ses chanteurs, danseurs, joueurs de simsimiyya, percussionnistes et joueurs de triangle, à Port-Fouad – ville portuaire au débouché méditerranéen du canal et située sur sa rive orientale – attirant beaucoup de monde.

En mêlant les musiques et cultures traditionnelles, Zakaria Ibrahim a célébré la vie. Il a fondé en 2000 le centre El Mastaba pour fédérer d’autres groupes musicaux issus de toutes les régions d’Égypte, faisant le pont entre la tradition et la modernité. La sauvegarde de la tradition musicale et la transmission se sont inscrites chez lui comme des priorités et comme un art de vivre. Il a porté le projet Al-Samsimiya jusque devant l’Unesco pour demander son inscription sur la liste du patrimoine mondial immatériel.

Son absence à Port-Saîd ainsi que sur les scènes d’Égypte et d’ailleurs laisse un grand vide. Que le son des harpes antiques et traditionnelles l’accompagne !

Brigitte Rémer, le 10 août 2024

* Joueuses de harpe cintrée, luth, double-hautbois et lyre, tombe de Djeser, à Thèbes, (c.1420-1411 av. J.-C.)

Immeuble Nal, Douala

Roman de Ousseynou Nar Gueye, éditions Presqu’Île Lettrée (Sénégal).

1ère de couverture © DR

C’est à travers le regard d’un enfant de sept ans, Fara, dont la famille s’exile du Sénégal au Kamerun pour des raisons économiques, qu’on entre dans le tourbillon de sa vie familiale et sociétale. L’histoire se passe dans les années 1970/80 et Fara nous prend par la main pour nous guider sur les sentiers de son enfance. Il livre comme des instantanés ce qu’il vit, ce qu’il ressent et ce qu’il en comprend : sa famille – deux frères et trois sœurs, ses voisins, son quartier, l’immeuble Nal où il vit avec ses parents et la fratrie, au cœur de Douala. Chez Fara on parle wolof.

Dans la famille il y a le père, dit Le Vieux, « un centimètre de plus que le mètre soixante-dix, c’est écrit sur son passeport », de son métier bijoutier et qui adore jouer aux cartes le soir après le travail avec ses confrères venant de la diaspora africaine. Il y a la mère, La Mamma, imposante, une « Ménagère, c’est marqué sur sa carte consulaire », elle organise la maison « son royaume », chargée de mission pour le marché, les repas, les enfants, et qui concentre toute son autorité dans l’intensité du regard qui lance des éclairs et remplace tout mot d’ordre. Trois garçons, trois filles, la parité familiale : Bada, frère aîné de Fara et Allou le benjamin né à Garoua au nord du Kamerun, les filles, Xuredia, la seule de la fratrie née à Dakar, huit ans de plus que Fara, et Sagar, la deuxième, née sur la route de l’émigration vers l’Afrique centrale, à Niamey. La petite dernière, Soukeyna, avait l’âge de la maternelle.

En cours d’année tout ce petit monde fut brutalement arraché aux écoles et aux copains de Dakar, pour émigrer vers Douala rejoindre le père, installé depuis un an au Kamerun après avoir fait faillite. Les garçons passant du cours Sainte-Marie de Hann tenu par les pères maristes dans un quartier qui relie Dakar et sa banlieue, à l’école Saint Jean-Bosco de Douala. Les filles, Xuredia et Sagar, qui fréquentaient aussi l’école des Maristes à Dakar, arrivaient au Collège Liberman des Frères Jésuites de Douala et Soukeyna entrait à l’école des filles Notre-Dame. Même s’il était le premier de sa classe, Fara ne sera pas heureux à l’école Saint Jean-Bosco, son accent parisien attrapé à Dakar chez les maristes comme on attrape la grippe, était mal perçu par ses condisciples Kamerunais qui le snobaient et ne manquaient pas de le provoquer.

Après la faillite de sa bijouterie de Dakar, le père en inaugure une autre au cœur de Douala, principalement en refondant les bijoux offerts à sa femme au fil des années. Fara observe et décrit. Quelques mois après l’arrivée de tous dans la capitale économique kamerunaise, en janvier 1979 et après quelques mois de camping dans un logement provisoire, la famille s’installe dans un appartement de l’Immeuble Nal où Fara partage une chambre avec ses frères. L’Immeuble est situé près du port, on y entend les sirènes des bateaux. De style rococo et sans âge, « en ogive longue de cent mètres, construite sur un étage au-dessus d’un rez-de-chaussée circulaire » il deviendra un bon terrain de jeu pour le jeune garçon.

De son poste d’observation Fara décrit les artisans-ouvriers de l’atelier du pater, les personnages de l’immeuble, la chasse aux rats que les enfants organisent parfois le dimanche pour tuer le temps, le commissariat temporaire qui s’installe dans l’immeuble pour déjouer les cambriolages, la passion de sa sœur Xuredia pour Michael Jackson et la raclée que lui administre un jour la Mamma parce qu’elle refuse de faire la cuisine, la bastonnade du maître que Fara  reçoit un jour à l’école – chose rare pour lui, le bon élève – au grand plaisir de ses camarades de classe, les coups de ceinture du père le jour où avec Sagar, ils ratent sa voiture à la sortie de l’école pour butiner quelques figues de Barbarie alentour. Fara prend les chemins de traverse pour raconter le jour où on oublie d’aller chercher Soukeyna à l’école, et où personne ne s’en rend compte, sauf Radio Kamerun qui les invite à venir la récupérer en son antenne de Douala dans le quartier Bonandjo, ou encore Sagar qu’on oublie en retour de week-end, rentrant du village paternel, et les menaces proférées par le père, qui vont avec.

4ème de couverture © DR

Fara raconte sa manière d’expérimenter avec son frère le Foyer du Marin, à la cité des ouvriers-cheminots, face à l’Immeuble Nal. Il découvre la table de ping-pong, la belle piscine, les livres et revues. Foyer en accès libre il s’y rend certains dimanches. L’enfant raconte les grandes vacances passées dans la bijouterie du père où il essaie de se rendre utile, la Maison de la Jeunesse où sa sœur avait participé à une fête de fin d’année avec l’école et que Fara fréquente avec la sienne pour les séances de cinéma. C’est là qu’il sent monter sa vocation et décide qu’il sera plus tard cinéaste, parlant de son rapport au septième art, depuis tout petit. Il raconte le premier mort qu’il a vu – un ouvrier électrocuté – et les questions qu’il se pose sur la mort après un enterrement imposé à l’école, et une petite sœur qu’il ne connaitra jamais, Fatou, morte sitôt née. Il narre les tournois de tennis auxquels il assiste.

Puis le jeune garçon met la focale sur le pater, nommé consul honoraire du Sénégal à Douala qui se lance, contraint et forcé dans la lecture de projets artistiques et culturels comme le projet La Case à Abdou de la belle Adama. Il entend depuis Douala le 31 décembre 1980 sur Radio Sénégal la démission du Président Senghor, et deux ans plus tard celle du président Kamerunais Ahmadou Ahidjo, pour raisons de santé, sitôt remplacé par Paul Biya. Il présente les guides spirituels du père : le Serigne Maam Gannaar « sans âge, petit et frêle comme un moineau » qui tous les ans débarque dans la famille pour sa retraite et à qui pendant un mois les garçons prêtent leur chambre en investissant le salon ; les marabouts soufis, voyageurs qui passent et à qui il offre les nuitées d’hôtel et fait des cadeaux.

Fara, petit d’homme, regarde l’homme qu’est son père et qui s’absente un temps, parti au Sénégal pendant trois mois, déléguant ses fonctions à un ouvrier-artisan de la boutique. À son retour il est accompagné d’une seconde épouse, Thioumbé, une cousine, presque aussi jeune que sa fille aînée, à qui les garçons sont sommés de céder leur chambre. Le ciel leur tombe sur la tête et le mariage traditionnel sénégalais est célébré, tout le monde en habit d’apparat, les femmes maquillées à outrance et parées de bijoux. En discret observateur, Fara regarde la mamma, d’apparence stoïque et impassible, qui dresse une cloison dans sa chambre – auparavant véritable sanctuaire dans laquelle les enfants n’entraient que rarement – pour inventer une nouvelle chambre des garçons ; et les deux épouses qui se relaient pour préparer à tour de rôle les repas.

La vie semble reprendre son cours même si Fara souffre de son nouvel espace où il ne peut plus lire le soir, ni rêver comme avant,  Le père en ses fonctions de consul réunit la Dahira le dimanche, pour rendre le droit coutumier. Dans l’étape suivante et ultime il congédie la mamma demandant à chaque enfant de décider s’il veut rentrer au Sénégal avec elle, et tous l’accompagnent la mère. Retour au Sénégal en décembre 1982 dans la maison du père de la Mamma où tout le monde partage une grande chambre et où l’oncle Faly joue de son entregent pour inscrire les enfants à l’école. Pour Fara le coup est violent, c’est la fin de l’insouciance, la fin de l’enfance. L’image de la mère s’efface totalement face au bon vouloir de l’homme régnant en maître absolu, sans parler de la moindre souffrance ou pensée de la femme, piégée dans son rôle-titre de reproductrice et qui devient une ombre s’effaçant au loin.

« Je suis définitivement sorti du paradis de l’immeuble Nal. J’ai dix ans mais mon enfance est finie, à avoir été trop mêlé à des choses d’adultes. L’enfance dure de sept ans à dix ans révolus. L’enfance dure trois ans. » La chute est rude et le chemin initiatique que dessine le récit, plutôt plein d’insouciance, de vie, et non dénué d’humour, ne nous y prépare pas. Innocent et incisif, le regard de l’enfant ne délivre rien des sentiments ni de l’émotion. Fara prend sa palette et pose les couleurs sur la feuille, par petites touches précises et minutieuses, participant d’une grande fresque qui dessine son Afrique.

Ousseynou Nar Gueye dédie Immeuble Nal, Douala – qu’il nomme roman – à sa famille, peut-être pour déguiser la part d’autobiographie, car sur la photo de couverture il semble que ce soit bien lui et sa petite soeur, lui, l’auteur, en ses sept ans.

Brigitte Rémer, le 2 août 2024

Immeuble Nal, Douala se trouve dans toutes les bonnes librairies de Dakar :  Aux 4 Vents, dans le quartier Plateau et Mermoz, rue Félix Faure et Avenue Cheikh Anta Diop, email : 4vents@librairie4vents.com – site : www.librairie4vents.com – centre commercial Sea Plaza, tél : +221 33 821 80 83 –  Plumes du Monde, email : contact@plumesdumonde.com – tél : +221 77 794 97 89). Et aussi dans la librairie numérique française youscribe.com – Les photos des 1ère et 4ème de couverture sont issues de la collection privée de l’auteur.

La dernière guerre ?  Palestine 7 octobre 2023 – 2 avril 2024

Texte d’Elias Sanbar, édité en avril 2024 par Tracts Gallimard n° 56.

Elias Sanbar, écrivain et ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, reprend les événements du 7 octobre 2023 qui font à nouveau basculer le monde et dont la source remonte à 1948 : « Je veux parler de la Nakba de 1948, quand ma mère me porta vers un exil que mes parents pensaient de courte durée. C’était un matin d’avril 1948. J’avais quatorze mois… »

Autant dire que l’auteur connaît l’exil et qu’il a su mener un parcours emblématique autour de la réflexion et de l’analyse liées au déchirement de ce Moyen-Orient où il n’a jamais pu vivre et où il défend depuis toujours la voix de la Palestine, son pays. « Si les Israéliens sont habités par la peur d’une disparition possible, les Palestiniens vivent quant à eux une disparition réelle, celle d’un déni d’existence définitif. »

Avant 1948 *

Elias Sanbar donne dès le départ sa lecture : « La naissance d’Israël n’était-elle pas la réponse adéquate au mal absolu que fut le nazisme ? Partant de cette réponse d’un droit de présence solitaire, exclusif sur la Palestine, il devint impensable pour la majorité écrasante des Israéliens d’accepter le fait que la naissance de leur État eût pu naître d’une injustice commise à l’égard d’un autre peuple… » Statut particulier lié aux souffrances ayant présidé à la naissance de l’État d’Israël, soutien à ce jeune État par de nombreuses nations, laxisme mondial quant aux terres dérobées. L’objectif israélien constate-t-il est de parachever la Nakba de 1948, comme le suggérait Ben Gourion – Premier ministre du pays de 1948 à 1954 puis de 1955 à 1963, l’un des fondateurs de l’État d’Israël – dans deux lettres adressées à son fils, Amos, en juillet et octobre 1937, lettres citées par Elias Sanbar : « Si je suis un adepte enthousiaste de la création d’un État Juif maintenant, même s’il faut pour cela accepter le partage de la terre, c’est parce que je suis convaincu qu’un État juif partiel n’est pas une fin mais un début… »

Et, de guerre en guerre, la situation s’est comme entérinée, selon le bon vouloir de ceux qui depuis 48 colonisent et de plus belle, au vu et au su de tous. Elias Sanbar met en lumière l’intention de Netanyahou et de son cabinet de guerre, au-delà de la contrattaque à Gaza, de viser et de vouloir récupérer Cisjordanie, Jérusalem-Est et réfugiés de 1948, en bref d’en finir avec tous les Palestiniens, d’où son mot d’ordre ressemblant à un ordre de mission : « Cette guerre est la dernière d’Israël, le dernière… » mot dont s’empare Elias Sanbar pour le transformer en question et en faire le titre de sa réflexion : La dernière guerre ?

1947 / Projet ONU *

 « Cette dernière guerre débute du côté israélien le 9 octobre, au lendemain d’un crime de guerre commis le 7 par le Hamas. » Personne n’imaginait « que des occupés fussent capables d’une telle prouesse technique et guerrière » à l’égard du pays le mieux protégé du monde, Israël, qui n’a rien vu venir et dont 250 otages ont été emmenés à Gaza.  « Un nouveau foyer de guerre s’est allumé au Proche-Orient après le massacre commis par le Hamas le 7 octobre 2023 suivi par les bombardements meurtriers d’Israël sur Gaza, territoire que l’auteur qualifie de prison à ciel ouvert. « Ces carnages, accompagnés de persécutions en Cisjordanie et de déclarations annexionnistes, ont réveillé la question palestinienne endormie » écrit Edgar Morin.

Elias Sanbar dénonce l’approximation d’un rapport de l’ONU au sujet de la violence sexuelle sur les otages israéliens, les hypothèses et fantasmes israéliens face à l’organisation des attaquants, le Hamas, les deux poids deux mesures des Occidentaux, la fausse naïveté de Netanyahou dans sa « déception de n’avoir pas été informé de l’opération » et l’embourbement qu’il recherche pour sauver sa peau. Vérité ou ruse ?

1967  – Guerre des Six Jours *

La réplique d’Israël conduit à des milliers de morts dont de nombreuses femmes et enfants, à l’anéantissement des structures de soin et des services de secours à tel point que le mot de génocide s’inscrit sur les tablettes des journalistes et que l’Afrique du Sud, s’inscrivant comme défenseur du droit, saisit la Cour internationale de Justice de La Haye le 29 décembre 2023. La Haye édite des mesures conservatoires donnant obligation à Israël d’assurer la sûreté et la sécurité des Palestiniens dans la bande de Gaza, mais n’appelle pas à un cessez-le-feu. La Cour est ensuite saisie par cinquante-deux États membres de l’ONU « pour avis consultatif sur la légalité de l’occupation en 1967 par Israël des territoires palestiniens. » La majorité des plaidoiries demande le retrait « immédiat, inconditionnel et unilatéral » d’Israël des territoires conquis en 1967. Israël ne répond à aucun ordre de la Cour internationale de Justice, l’ONU s’érode et sa crédibilité avec.

Elias Sanbar développe aussi le rôle de l’UNRWA, Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, une agence de l’ONU exclusivement dédiée aux réfugiés palestiniens à laquelle 6,5 millions de Palestiniens sont inscrits. Et l’auteur donne d’autres chiffres, notamment sur les habitants de Gaza dont 75% des 2,2 millions d’habitants ont statut de réfugiés palestiniens.

L’espoir de créer deux États s’est éloigné, voire effacé dans les hauts et les bas des tergiversations mondiales. On y croyait encore en 1991 lors de la Conférence internationale de paix de Madrid qui avait été précédée d’une session du Conseil national Palestinien, autrement dit du Parlement en exil, trois ans plus tôt, à Alger, en la présence de Yasser Arafat. Trente-trois ans après, aucune paix n’a vu le jour, et encore moins un État palestinien, note Elias Sanbar qui liste toute une série de questions, dont la question vitale : « Existe-t-il un moyen de tirer profit du désastre en marche pour trouver l’amorce d’une sortie par le haut de l’interminable conflit ? »

Situation aujourd’hui *

Malgré le sentiment d’impuissance qui domine, alors que « la guerre qui culmine aujourd’hui à Gaza est aussi une guerre contre la Palestine, toute la Palestine » l’auteur esquisse une série de possibles pour y réussir, sous réserve que « les puissances amies d’Israël quitte à cabrer dans son propre intérêt leur protégé, trouvent l’audace qui leur a tant manqué d’imposer une paix jusque-là réputée inatteignable. » Les puissances amies d’Israël, États-Unis en tête.

Elias Sanbar ferme son propos en ajoutant : « Sans mots, je me tiens devant la conclusion impossible de ce texte. » Il donne la parole à celui dont il fut l’ami et le traducteur, le poète Mahmoud Darwich, qui écrivait en 1992 dans Le Dernier discours de l’Homme rouge : « Laissez donc un sursis à la terre. Qu’elle dise la vérité. Quant à vous, quant à nous. Quant à nous quant à vous… Laissez donc, ô invités du lieu, quelques sièges libres pour les hôtes, qu’ils vous donnent lecture des conditions de la paix avec les défunts. »

Brigitte Rémer, le 1er août 2024

La dernière guerre ?  Palestine 7 octobre 2023 – 2 avril 2024 – Texte de Elias Sanbar, édité par Tracts Gallimard n° 56 – (3,90 euros).

*Les cartes ont été publiées le 11 décembre 2023 par L’Humanité. « Israël-Palestine : 4 cartes pour comprendre 75 ans de tragédie. »

Chroniques d’une ville qu’on croit connaître – Braveheart

Publication de deux pièces de l’auteur syrien Wael Kadour : Chroniques d’une ville qu’on croit connaître, traduit de l’arabe (Syrie) par Nabil Boutros et Braveheart traduit par Simon Dubois, aux éditions L’Espace d’un instant/maison d’Europe et d’Orient.

1ère de couverture

Auteur, dramaturge et metteur en scène, Wael Kadour a quitté la Syrie où il est né en 1981, au début de la Révolution de 2011. Diplômé de l’Institut Supérieur d’Art Dramatique de Damas en 2006, il part en résidence de dramaturgie au Royal Court Theatre de Londres l’année suivante et monte des projets dans plusieurs pays du Moyen-Orient, notamment en Syrie, Jordanie et au Liban. C’est en Jordanie où il reste quatre ans qu’il conçoit ses Chroniques d’une ville qu’on croit connaître et où il monte des pièces de Samuel Beckett, Edward Albee, Caryl Churchill, Saadallah Wannous, Mudar Al Haggi. Il s’installe en France en 2016. De là il part en résidence à Berlin en 2017, au Sundance Institute of Playwrights, puis au Lark Theatre Lab de New York en 2018. Il co-signe la mise en scène de sa pièce, Chroniques d’une ville qu’on croit connaître, avec Mohamad Al Rashi en 2019, créée à La Filature-scène nationale de Mulhouse, dans le cadre du festival Les Vagamondes et qu’il a ensuite présentée au Théâtre Jean Vilar de Vitry (cf. notre article du 20 avril 2019). Ensemble, ils avaient auparavant mis en scène une autre de ses pièces, Les petites chambres, créée à Beyrouth et Amman en 2014 et éditée en arabe et en français par Elyzad, dans une traduction de Wissam Arbache et Hala Omran.

4ème de couverture

En 2021, Wael Kadour reçoit le soutien de Ibsen Scope Fondation en Norvège pour écrire et produire la pièce Up-There, basée sur les témoignages d’anciennes détenues politiques ayant monté La Dame de la mer de Henrik Ibsen, à la prison pour femmes de Douma (Syrie) en 1991. En 2024, avec Mohamad Al Rashi et en partenariat avec l’association Perseïden, il amorce la mise en scène de son texte Bravehear, second texte de l’ouvrage édité par L’Espace d’un instant. Publiées dans plusieurs langues – en arabe, anglais, français, italien – ses pièces sont mises en scène par des metteurs en scène de différents pays – dont le Liban, l’Italie, l’Allemagne, l’Égypte où Hassan El-Geretly, directeur du théâtre El-Warsha, l’a présentée. Wael Kadour est membre de l’atelier des artistes en exil – fondé et dirigé par Judith Depaule – qui fait un magnifique travail d’accueil des artistes réfugiés, exilés, et de présentation de leurs expressions artistiques, dans tous les domaines.

Chroniques d’une ville qu’on croit connaître, pièce pour six personnages, publiée en arabe aux éditions Mamdouh Adwan, à Damas, en 2018 – traduite en français par Nabil Boutros, artiste scénographe et photographe qui vit entre deux langues, l’arabe égyptien et le français, langues qu’il aime à faire passer d’une rive à l’autre – s’appuie sur une histoire réelle, vécue à Damas : le suicide d’une jeune femme, Nour, une nuit de l’été 2011, au début de la révolution. La pièce interroge l’absence, dans un contexte politique en ébullition qui voudrait contredire le manque d’espoir, alors que le pays se met en marche vers plus de démocratie. L’auteur tente de retracer le parcours de la jeune femme et de chercher la source de son désarroi. Roula, qu’elle avait rencontrée et avec qui elle s’était liée, raconte, sa famille s’interroge. L’enquêteur la taraude avec perversité pour une enquête menteuse et truquée, sous pression et chantage. La pièce démonte le système politique, social, économique et religieux, qui règne depuis des décennies, décrit la guerre, pillant l’intimité et montrant la violence morale exercée quotidiennement, tant dans la sphère privée que publique : la verticalité homme/femme, les interdits, le contrôle, l’engagement pour son pays, l’activisme, la dénonciation, les amours défaites, les rapports de classe et les rapports de force dans la société.

Chroniques d’une ville… © Nabil Boutros *

Braveheart/Cœur vaillant, pièce traduite par Simon Dubois – chercheur à l’Institut Français du Proche-Orient, spécialisé dans la jeune production théâtrale syrienne – a remporté le Prix d’écriture dramatique dans la région arabe, attribué par l’Ensemble Theatre Foundation, en 2021. Elle devrait être créée prochainement dans une mise en scène de Wael Kadour et Mohamad Al Rashi. La pièce part, là aussi, d’un événement réel : un avocat syrien, Anwar al-Bunni, vivant à Coblence, en Allemagne, reconnaît un homme qui s’est avéré être un bourreau aux bottes du régime. Wael Kadour s’empare de l’histoire et met en face à face Aline et Mohammad, tous deux Syriens résidant dans une petite ville française inconnue, et interroge l’écriture en exil. Aline tente de mettre en forme des éléments d’écriture et se trouve confrontée à son passé, et au manque d’avenir. Elle est à la recherche de vérité et de justice, et tente de faire face aux réalités du non-retour, dans son pays volé par un despote et qui se désagrège. Aline comprend, petit à petit que l’homme dont elle est tombée amoureuse travaillait en fait dans le renseignement. La pièce nous place dans un entre-deux comme le fait justement remarquer Monica Ruocco – professeure de langue et littérature arabe moderne et contemporaine à l’université de Naples L’Orientale – qui en a écrit la préface, où « pour le dramaturge, Damas est désormais trop lointaine et la France, son nouveau lieu de résidence, n’est pas encore si familière. »

Chroniques d’une ville… © Nabil Boutros *

Les deux pièces de Wael Kadour publiées par L’Espace d’un instant ont été traduites avec le soutien de l’association Perseïden, de la Maison Antoine Vitez et de l’Office national de diffusion artistique et l’ouvrage a été édité avec l’aide du Centre national du livre, en février 2023. Elles nous mènent aux frontières de la réalité et de l’imaginaire et touchent à la mémoire individuelle et collective. À travers ses migrations et ses exils, l’auteur interroge la violence de la guerre et la radicalité, la fracture artistique, le déplacement, l’altérité.

Brigitte Rémer, le 23 juillet 2024

Chroniques d’une ville qu’on croit connaître, traduit de l’arabe (Syrie) par Nabil Boutros et Braveheart traduit par Simon Dubois, sont publiées aux éditions L’Espace d’un instant, un projet de la Maison d’Europe et d’Orient (Dominique Dolmieu) – site : www.parlatges.org – email : agence@parlatges.org – tél. : +33 (0)9 75 47 27 23 –

*Les photographies de Nabil Boutros ont été prises en 2019 à La Filature-scène nationale de Mulhouse, lors de la création en France de Chroniques d’une ville qu’on croit connaître, dans une mise en scène co-signée de Wael Kadour et Mohamad Al Rashi.

Les Aventures merveilleuses de l’inexistante Ayse

Texte de Zeynep Kaçar – traduit du turc par Erica Letailleur – Jeu Erica Letailleur – théâtre à domicile.

© La Réenchanterie

C’est un spectacle singulier et une initiative tout aussi singulière que celle qui mène nos pas dans une maison particulière où se joue cette pièce, de manière intime. On est en famille et avec une poignée d’amis et c’est une pièce turque, traduite par la comédienne qui l’interprète, Erica Letailleur, qui est proposée.

Au sous-sol, quelques chaises posées dans ce qui pourrait être un atelier, un lieu de répétition ou une bibliothèque, là se joue le spectacle. Ce pourrait être dans un salon plus ordinaire, un coin de cuisine ou de salle à manger. Cette proximité fait partie du voyage. L’aire de jeu est délimitée par un tapis. Pour décor une table, une tasse sur la table, un tabouret, un pupitre de musique sur lequel est posé le texte, et l’environnement naturel de la maison.

© La Réenchanterie

C’est une berceuse qui lance cette pièce abstraite, comme le signale l’avant-propos, le texte est écrit à la première personne. Une jeune femme, Ayşe, se raconte, partant de sa naissance pour le moins inhospitalière car née avec un « e », dans un pays où seul le masculin l’emporte. Et pourtant, « dans un monde moyen, dans un pays moyen, comme une enfant moyenne dans une famille moyenne, nous nous sommes habitués les uns aux autres… Même ma grande soeur était une soeur moyenne, elle me frappait et elle m’aimait à la fois. Et puis ma mère a eu un fils, lui il a été super… » Tandis qu’il s’identifiait à Superman, Ayşe écoutait les histoires du Petit Chaperon Rouge et faisait des cauchemars.

Le thème est lancé. Et la mère parle des contes à sa fille. L’auteure en décline plusieurs, entre Chaperon Rouge, Blanche Neige, Cendrillon, La Petite fille aux allumettes… Ayşe ne prend pas ces contes pour argent comptant et pose mille et une questions à sa mère, elle a envie de croquer la vie : Qu’est-ce qu’un nain, qu’est-ce qu’un cirque, qu’est-ce qu’une sorcière… pourquoi Blanche Neige marche-t-elle, cent ans c’est combien de temps, c’est quoi une fée ? En quelques mots le texte traverse les contes et une partie de l’enfance.

Ayşe a vite fait de comprendre que M. Ertan, le voisin du dessus, n’était pas si clair quand il la prenait sur ses genoux, « dans les bois, les loups attrapent les petites filles » et elle n’était plus sortie de chez elle. Puis un jour, à l’âge de six ans, il avait fallu aller à l’école, Ayşe voulait apprendre des chansons mais ce n’était jamais le moment de chanter, disait la maîtresse.

© La Réenchanterie

Pour tous, la vie semblait tracée, en ligne droite, avec pour consigne : devenir une bonne citoyenne pour la Patrie, se marier et fonder un foyer, travailler, prendre sa retraite… Tournez manège ! La litanie moralisatrice a déferlé dans chaque acte de la vie. Sans compter le défilé des cours à l’école, plus mensongers et destructeurs les uns que les autres : cours de connaissance de la vie, mortel ennui ; d’éducation physique, truffé de fausses vérités ; d’histoire, « Qu’est-ce que l’histoire ? demande l’institutrice – Le passé… répond Ayşe. Assieds-toi ma fille, zéro ! »

Et elle n’osa plus poser de questions et décida de se taire. Elle n’apprit plus de chansons. Elle ne chanta qu’à l’intérieur d’elle-même, voulant même secrètement devenir chanteuse, l’inconcevable pour sa famille. Elle réussit brillamment son examen d’entrée dans une université de bon niveau, dans une autre ville que la sienne. « Comme j’étais une fille on ne m’a pas autorisée à vivre dans une autre ville… » L’année suivante elle passe un nouvel examen d’entrée, cette fois dans une université de sa ville, de niveau beaucoup plus médiocre. Pour une femme cela suffit, l’idée étant d’attraper un métier pour être présentable à un potentiel mari, qui bien sûr apportera tout : argent, sécurité, voiture et tout le tralala. Tu fais deux enfants et te voilà tranquille lui disait-on.

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Les bons conseils de la mère, première castratrice, se poursuivent, et l’avalanche de mensonges avec : « Il y a les filles bonnes à épouser et les filles bonnes pour s’amuser » entend-elle. Pleine de ces strates d’un conditionnement à l’œuvre depuis des années et essayant de faire bien, Ayşe amène un garçon à la maison. Celui-là ou un autre, pour sa famille il n’y a pas grande différence, c’est le premier, l’unique, le seul, le vrai. Ayşe l’épouse. « Moi je croyais que ma punition était finie, qu’après ça, j’allais goûter le miel de la vie… » dit la jeune femme avec naïveté. C’était compter sans la nuit de noces et les violences quotidiennes.

« Mon père m’a étouffée, de la maison à l’école de l’école à la maison, je n’ai pas vu le monde encore. » Pourtant, du père au mari l’avenir est tracé. Pas d’échappatoire, la captivité se poursuit. Premier bébé, une fille, qui porte le même prénom qu’elle, Ayşe, elle y tenait, comme un double d’elle-même espérant pour elle des lendemains plus heureux. Les bons conseils familiaux se poursuivent sur le thème : comment faire pour garder son mari, comment rester coquette. Second bébé, un garçon, que sa mère élève jusqu‘à ce que sa belle-mère la désavoue et s’empare de l’éducation du garçon. Ayşe cette fois claque la porte et reprend sa vie professionnelle. Mais le constat est amer, vingt-cinq ans ont passé et la vie avec. Elle a obtempéré à toutes les injonctions familiales. Le mari la quitte pour une jeunette, la mère tombe malade et Ayşe fait son devoir et s’en occupe, gardant sa même invisibilité dans la vie sociale. A sa mort, cinq ans plus tard, elle songe seulement à prendre le temps de siroter un thé sur le balcon, ce qu’elle se promettait de faire depuis si longtemps et reprend son destin en mains. Et l’actrice, déguste sa tasse de thé. Les derniers mots de la pièce tombent avec autant de cruauté que l’histoire elle-même : « Ayşe sans chanson n’avait jamais existé. »

© La Réenchanterie

C’est un conte bien cruel que Les Aventures merveilleuses de l’inexistante Ayse. Erica Letailleur livre avec intensité, retenue et précision les étapes d’un parcours bien connu de certaines femmes, en Turquie comme ailleurs : la hiérarchie masculin-féminin, le non-désir et le non-choix, les agressions, la déstructuration et le conditionnement à la maison, à l’école, comme dans la société, la succession des générations et la transmission à l’identique jusqu’à l’asphyxie et la sclérose, le dessin d’un monde uniforme et sans lumière, sans espoir, la perte de soi, la perte de sens.

Erica Letailleur a vécu en Turquie et appris la langue, elle y a porté des projets européens et enseigné au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique d’Ankara. De retour en France elle a créé La Réenchanterie qui travaille entre Orient et Occident et qui réunit des artistes de tous horizons. La vision de l’art qu’elle partage passe par l’éthique et l’humain, elle construit des univers poétiques basés sur la rencontre, le temps et l’espace, la recherche du vivant artistique. Les créations pluridisciplinaires et la formation théâtrale sont les axes de son travail, s’adressant à des professionnels comme à des amateurs.

« Le désenchantement est plus à craindre que le désespoir. Le désenchantement est un rétrécissement de l’esprit, une maladie des artères de l’intelligence qui peu à peu s’obstruent, ne laissent plus passer la lumière » écrivait le poète Christian Bobin qu’elle prend pour phare. Par son travail et ses recherches, par le spectacle qu’elle propose, Erica Letailleur invite au ré-enchantement.

Brigitte Rémer, le 20 juillet 2024

Contact – La Réenchanterie, compagnie d’arts vivants, Antibes – site : www.larenchanterie.com – email : contact @lareenchanterie.com.

Présences arabes – Art moderne et décolonisation Paris 1908-1988

Mahmoud Mokhtar “Arous el-Nil” (1)

Commissariat d’exposition Odile Burluraux, conservatrice au Musée d’Art Moderne de Paris, Morad Montazami et Madeleine de Colnet, Zamân Books & Curating – au Musée d’Art Moderne de Paris. Jusqu’au 25 août 2024.

C’est une exposition très documentée sur le développement de l’art moderne arabe et du rôle de plaque tournante qu’a joué Paris dans le processus, comme lieu de formation, de rencontres et de croisements des artistes. L’exposition définit dans son avant-propos la pluralité du monde arabe, incluant, au-delà de la péninsule arabique et du Golfe Persique, les populations d’Afrique, de l’ouest asiatique et de la Méditerranée ayant pour source les civilisations égyptienne, phénicienne, sumérienne et amazigh. Elle montre en quatre sections plus de deux cents oeuvres réalisées par cent-trente artistes évoquant le Paris colonial et anticolonial.

“L’Abou Naddara”, de Yaqub Sannu (2)

La première section, intitulée Nahda : Entre renaissance culturelle arabe et influence occidentale, 1908-1937, évoque le passage à Paris de grands artistes venus se former ou y exposer dès le début du XXème siècle. Ainsi Gibran Khalil Gibran, poète, essayiste, artiste et activiste libanais, auteur du roman Esprits rebelles, y arrive en 1908, l’exposition présente le Portrait de Charlotte Teller qu’il a réalisé cette année-là. Figure majeure de la renaissance artistique en Égypte, le sculpteur égyptien Mahmoud Mokhtar intègre le département de sculpture de l’École des Beaux-Arts de Paris en 1912 et fréquente l’atelier d’Antoine Bourdelle. Il expose régulièrement au Salon des artistes français et y présente en 1920 la maquette de sa sculpture La Nahda/Renaissance (ou Réveil) de l’Égypte, qui sera réalisée en granit rose d’Assouan et sera reconnue au Caire comme monument public. Mahmoud Mokhtar expose également en 1930 à la Galerie Bernheim-Jeune, avenue Matignon à Paris, c’est là que l’État français lui achète Arous el-Nil/La Fiancée du Nil, qu’il a réalisé un an auparavant : une sculpture en pierre représentant une jeune femme nue agenouillée mi-déesse mi-pharaone, d’où émane grâce et douceur. Au début du XXème, musées et écoles d’art se construisent dans certains pays à la manière de l’école des Beaux-Arts de Paris, c’est le cas au Caire, en Algérie et au Maroc.

1913 est une date importante qui marque le premier Congrès Arabe réuni à Paris autour d’intellectuels et de diplomates égyptiens, syriens et libanais pour contrer l’emprise de l’Empire Ottoman. La reconnaissance de l’unicité culturelle de la langue arabe est une des revendications. Ces concepts sont repris lors de la Conférence de la Paix, qui se tient à Paris en 1919. Mahmoud Mokhtar et Saad Zaghloul, leader nationaliste égyptien du parti Wafd s’y rencontrent. Ce dernier y prononce un discours indépendantiste. Les surréalistes et les communistes français prennent position contre la guerre coloniale dans le Rif marocain. Plusieurs personnalités françaises affichent leur anticolonialisme avec ardeur, comme la chorégraphe Valentine de Saint-Point et le dessinateur-caricaturiste, Henri-Gustave Jossot, militants de la liberté. Dans la série des documents présentés se trouve le Journal arabe satirique illustré de nombreuses caricatures, L’Abou Naddara / Union et Progrès dont le rédacteur est Yacoub Sanou (n°3, juillet 1910) ; Oum al-Qura/ La Mère des cités livre de Abderrahman Al-Kawâkibî), qui montre sous forme de récit fictif les visions réformistes de l’auteur (Le Caire 1902) ou encore Le Réveil de la nation arabe de Negib Azoury, (publié à Paris en 1905).

Mahmoud Saïd, “La Femme aux boucles d’or” (3)

Dans ces mêmes années-là, venu de l’aristocratie alexandrine, Mahmoud Saïd mène une double carrière de juriste et de peintre, avant de se consacrer exclusivement à la peinture qu’il apprend au contact d’artistes européens. En 1919, il effectue un voyage en Europe, en Italie d’abord, avant de s’installer à Paris et d’y suivre des cours à l’Académie de la Grande Chaumière. Considéré comme le « peintre du peuple égyptien » pour ses scènes de la vie quotidienne, il réalise aussi des paysages et de nombreux nus féminins –  nus qu’il a étudiés à l’Académie Julian de Paris en 1920. L’exposition montre un Nu au divan vert qu’il réalise plus tard, en 1943. Avec Georges H. Sabbagh, peintre notamment de la famille, Mahmoud Saïd marque le passage de l’Orientalisme – l’Orient rêvé par l’Occident – à l’Orient authentiquement nostalgique. Se trouvent aussi dans cette section de l’exposition les enluminures des frères Racim, Puissance et libération de Omar Racim (1917) et Illustration d’un poème de l’émir Abdel Kader, de Mohammed Racim (1920). Aux murs, les affiches de l’exposition coloniale internationale de 1931 qui se déroule dans le musée des Colonies, au Bois de Vincennes – aujourd’hui Musée national de l’histoire de l’immigration – illustrent le colonialisme ambiant. L’exposition y montre les indigènes de façon souvent dégradante entrainant des mouvements de contestation, notamment de la part des militants de la Ligue anti-impérialiste et de la commission coloniale du Parti communiste, qui dénoncent la colonisation. Des tracts circulent : Ne visitez pas l’Exposition Coloniale. Une contre-exposition s’organise.

La seconde section de ces Présences arabes s’intitule Adieu à l’orientalisme : les avant-gardes contre-attaquent. À l’épreuve des premières indépendances (Liban, Syrie, Égypte, Irak) 1937-1956. Au cours de cette période de montée des nationalismes européens et de la Seconde Guerre mondiale, les artistes des pays arabes s’opposent de manière ferme aux références occidentales imposées. Après avoir peint les panneaux du Pavillon des États du Levant lors de l’Exposition de 1931, le Libanais Philippe Mourani réalise La Proclamation du Grand Liban en 1940 à partir d’une photographie. Et c’est l’artiste égyptien Mohamed Naghi qui, en 1937 conçoit le Pavillon égyptien pour l’Exposition internationale des arts et techniques appliquées à la vie moderne, belle vitrine de l’art qui se tient au Palais de Tokyo. Grande figure de l’art moderne égyptien Mohamed Naghi devient directeur de l’École des Beaux-Arts au Caire, en 1937, puis directeur du Musée d’art moderne du Caire, en 1939. L’exposition présente son tableau Les marchands de peau en Abyssinie, ainsi que La Femme aux boucles d’or, réalisé en 1933 par Mahmoud Saïd.

Baya, “Femme en robe orange et cheval bleu” (4)

Les voies de l’expérimentation poétique se précisent et les avant-gardes progressent, ainsi le groupe surréaliste égyptien Art et Liberté* – fondé au Caire en 1914 par Fouad Kamel, où s’exprime le surréalisme égyptien autour de l’écrivain, poète et pamphlétaire Georges Henein, de Kamel El-Telmissary, artiste et cinéaste, de Ramsès Younan, peintre et écrivain – expose à la Galerie Maeght en 1947, ainsi que l’artiste autodidacte kabyle, Fatma Haddad-Mahieddine dite Baya, devenue une véritable icône à Paris. Antoine Malliarakis dit Mayo, né à Port-Saïd en Égypte, peintre, décorateur et costumier, étudie aussi aux Beaux-Arts de Paris et à l’Académie de la Grande Chaumière. Effat Naghi, pionnière de l’art contemporain en Égypte, sœur de l’artiste Mohamed Naghi, et qui a étudié dans l’Atelier d’André Lhote utilise l’archéologie égyptienne comme sujet. Présences arabes présente Le Haut-Barrage, qu’elle a peint et gravé sur bois en 1966. Pour la Tunisie, sont entre autres présentés La mariée tunisienne d’Ammar Farhat (1950) sous la double identité de combattante et de princesse kabyle, et Mouvements couleurs de Georges Koskas (1950). L’école nationale supérieure des beaux-arts de Paris devient un lieu d’accueil pour les artistes venus d’ailleurs, à partir de 1892. Les femmes n’y seront cependant admises qu’à partir de 1898. Deux artistes irakiens obtiennent une bourse de leur gouvernement pour venir à Paris, Faik Hassan en 1935 et Jewad Selim en 1938, qui seront ensuite très influents dans le domaine de l’art moderne de leur pays.

Mur d’affiches (5)

La troisième section de l’exposition porte le titre de Décolonisations : L’art moderne entre local et global. À l’épreuve des deuxièmes indépendances (Tunisie, Maroc, Algérie), 1956-1967. Elle évoque l’art moderne arabe, nord-africain particulièrement, dans sa démarche de mondialisation. Après l’indépendance du Maroc et de la Tunisie en 1956, les tensions montent en Algérie et certains artistes français soutiennent le peuple algérien. L’art moderne devient un outil diplomatique des intérêts de la France dans le monde décolonisé, les artistes arabes commencent à apparaître dans les musées français et la Biennale internationale des jeunes artistes français accueille les pavillons libanais, marocain, tunisien. Un tableau fait date dans l’histoire de l’antiracisme de l’époque, Toutes les larmes sont salées ou Contre le préjugé raciste (1952) de Francis Harburger. On voit dans cette section des œuvres de l’artiste libanais Shafic Abboud surdoué de la couleur ; de l’artiste marocain Ahmed Cherkaoui travaillant sur le signe ; du peintre, photographe et réalisateur André Elbaz qui utilise la technique du collage – l’exposition présente Mur de Paris II (1964). On y trouve aussi La Marelle des métamorphoses, d’Edgar Naccache, de Tunisie, (1965), Composition, de Jilali Gharbaoui, du Maroc (1964), Les Yeux de la nuit de Madiha Umar, de Syrie (1961), Au-delà du silence de Ramsès Younan (tableau réalisé dans les années 1960). La Tunisienne Safia Farhat peint une huile sur toile pleine de vie, L’Enfant aux héliotropes (1963).

Francis Harburger, “Toutes les larmes sont salées” (6)

À partir de 1962, plusieurs artistes se regroupent à Casablanca pour innover dans le domaine pédagogique et créent une avant-garde post-coloniale : ainsi Farid Belkahia, Mohamed Chabâa, Bert Flint, Toni Maraini, Mohamed Melehi. Ils organisent en 1969 une exposition-manifeste, Présence plastique, sur la place Jemaa el-Fna de Marrakech pour sortir la peinture du cadre élitiste et colonial des Salons. Les actes de solidarité avec l’Algérie indépendante se mettent en place et prennent différentes formes comme manifestes, témoignages, expositions. Une Déclaration des intellectuels sur le droit à l’insoumission est signée par de nombreux artistes français. L’artiste algérien Choukri Mesli fait partie des figures rénovatrices de l’art de son pays après l’Indépendance : appelé en 1958 pour son service militaire obligatoire, il est intégré au service cartographique et s’enfuit au Maroc pour en échapper, non sans avoir subtilisé quelques cartes au dos desquelles il réalisera la série Les Camps, dessins à la craie et à la gouache. Autre artiste qui a marqué l’époque, le poète, critique d’art et commissaire d’exposition Jean Sénac, qui s’était lié d’amitié avec Albert Camus. Poèmes, son premier recueil, est publié chez Gallimard dans la collection « Espoir », en 1954, préfacé par René Char. De nombreux documents de cette époque sont exposés.

Etel Adnan, “Roi inca” (7)

Dans la quatrième section de l’exposition, L’Art en lutte : De la cause Palestinienne à l’Apocalypse arabe, 1967-1988, le projecteur est mis sur les questions politiques et les luttes anti-impérialistes internationales, notamment sur la problématique israélo-palestinienne. Des murs d’affiches en témoignent. « Ils ont tout détruit. Le soleil s’est obscurci. Même les oiseaux se sont enfuis. Mais un jour ils reviendront et le soleil rebrillera » écrit le poète palestinien Mahmoud Darwich. L’Union générale des étudiants de Palestine présente sur affiche une peinture de Slimane Mansur sur laquelle un homme porte son pays sur le dos. Il est écrit : « Palestine notre Terre. Jérusalem capitale éternelle. » L’évocation de la guerre des Six Jours en juin 1967, est aussi à la source d’un certain nombre d’œuvres comme Les enfants de la guerre de l’artiste égyptienne Gazbia Sirry (1967), Palestine, de l’artiste algérienne Djamila Bent  Mohamed (1974). Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris propose un cycle de trois expositions dédié aux nations du Bassin Méditerranéen et du Golfe Persique dont l’Irak, la Syrie et le Qatar. Le Salon de la jeune peinture à Paris, expose l’artiste d’origine gréco-syrienne, Etel Adnan, qui fait paraitre en 1980 son grand texte poétique, l’Apocalypse arabe, une chronique de la guerre du Liban. Du célèbre sculpteur égyptien Adam Henein, sont présentées deux œuvres datant de 1974 : un grès intitulé Île aux oiseaux et un bronze, Sheikh El Balad*.

Hala Alabdalla, “Je suis celle qui porte les fleurs vers sa tombe” (8)

La dernière partie de l’exposition, tout aussi remarquable que les trois précédentes, met en exergue de nombreux artistes de tous les pays du Maghreb et du Moyen-Orient L’exposition se termine par le sujet de l’immigration arabe en France, traité par les musées parisiens dans les années 1980, et par l’œuvre de la réalisatrice syrienne Hala Alabdalla, vivant en France depuis 1981. Avec Mon exil, ton exil, notre exil, elle présente une installation multimédia inédite, en deux actes. Le premier montre une série de portraits-vidéo Récits sur toile, qu’elle a conçue et réalisée en 2021 pour l’association « La Rue » en donnant la parole à dix personnalités syriennes contraintes de recommencer leur vie à Paris. Chaque témoignage est mis en perspective à partir d’un tableau ou d’un dessin qui les a accompagnés et qui habite leur mémoire. L’ensemble construit une narration. Le deuxième acte de cet espace consacré à Hala Alabdalla consiste au re-montage de son film phare, Je suis celle qui porte les fleurs vers sa tombe, une fresque biographique et polyphonique sur l’exil, tournée en 2006 en noir et blanc, et primée à la Mostra de Venise.

Fateh Moudarres “Les Réfugiés” (9)

Les commissaires d’exposition, Odile Burluraux, conservatrice au Musée d’Art Moderne de Paris, Morad Montazami et Madeleine de Colnet, Zamân Books & Curating ont accompli un magnifique travail sur des chemins peu empruntés en Europe, ceux de la diversité des modernités arabes, au XXème siècle. La mise en place d’un véritable projet esthétique, en rupture avec l’art académique, et en écho avec les avant-gardes occidentales en est la ligne directrice. Avec Présences arabesArt moderne et décolonisation Paris 1908-1988 ils ont mêlé le politique à l’artistique en un tissage serré montrant ainsi une autre histoire de l’art moderne, à partir d’une multiplicité de documents et d’archives, de peintures et sculptures, de photographies, dessins et affiches dans un regard historique érudit et singulier.

Brigitte Rémer, le 18 juillet 2024

Du 5 avril au 25 août 2024 au Musée d’Art Moderne de Paris – du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h30 (fermeture exceptionnelle le jeudi 26 juillet) – 11 avenue du Président Wilson 75116 Paris – tél. :  01 53 67 40 00 – site : www.mam.paris.fr

Mayo, “Sans parole” (10)

Artistes présentés dans l’exposition : Shafic Abboud, Abou Naddara, Hamed Abdalla, Youssef Abdelké, Amal Abdenour, Boubaker Adjali, Etel Adnan, Maliheh Afnan, Mohamed Aksouh, Hala Alabdalla, Farid Aouad, Fatma Arargi, Mohamed Ataalah, Jean-Michel Atlan, Amine El-Bacha, Simone Baltaxé, Michel Basbous, Ala Bashir, Fatma Haddad-Mahieddine (dite Baya), Souhila Belbahar, Farid Belkahia, Nejib Belkhodja, Fouad Bellamine, Mahjoub Ben Bella, Aly Ben Salem, Abdallah Benanteur, Djamila Bent Mohamed, Samta Benhyahia, Maurice Bismouth, Étienne Bouchaud, Pierre Boucherle, Kamal Boullata, Huguette Caland, Nasser Chaura, Ahmed Cherkaoui, Saloua Raouda Choucair, Chaouki Choukini, collectif CIinémétèque, Inji Efflatoun, André Elbaz, Fouad Elkoury, Errò, Ammar Farhat, Safia Farhat, Djamel Farès, Moustapha Farrouk, Dias Ferhat, André Fougeron, Émile Gaudissard, Abdel Hadi El-Gazzar, Jilali Gharbaoui, Gibran Khalil Gibran, Abdelaziz Gorgi, Abdelkader Guermaz, Abraham Hadad, Marie Hadad, Khadim Haider, Ahmed Hajeri, Jamil Hamoudi, Francis Harburger, Faik Hassan, Mona Hatoum, Adam Henein, Georges Henein, Mohamed Issiakhem, Marwan Kassab Bachi (dit Marwan), Mahjoub Al-Jaber (dit Jaber), Abdul Kader el-Janabi, Henri Gustave Jossot, Fouad Kamel, Fêla Kéfi-Leroux, Mohammed Khadda, Rachid Khimoune, Rachid Koraïchi, Georges Koskas, Mohamed Kouaci, Claude Lazar, Ahmed Louardiri, Nja Mahdaoui, Jean de Maisonseul, Azouaou Mammeri, Maria Manton, Denis Martinez, Antoine Malliarakis dit Mayo, Hassan Massoudy, Hatem El-Mekki, Mohamed Melahi, Rabah Mallal, Choukri Mesli,  Mireille Miailhe, Mahmoud Mokhtar, Fateh Moudarres, Philippe Mourani, Mehdi Moutashar, Laila Muraywid, Nazir Nabaa, Edgar Naccache, Effat Naghi, Mohammed Bey Naghi, Marguerite Nakhla, Rafa Nasiri, Ahmad Nawach, Amy Nimir, Leila Nseir, Mohammed Racim, Omar Racim, Samir Rafi, Aref El-Rayess, Jocelyne Saab, Georges Hanna Sabbagh, Valentine de Saint-Point, Shakir Hassan Al-Saïd, Mahmoud Saïd, Nadia Saikali, Samir Salameh, Mona Saudi, Jewad Selim, Jean Sénac, Juliana Seraphim, Ibrahim Shahda, Gazbia Sirry, Chaïbia Tallal, Gouider Triki, Fahrelnissa Zeid, Bibi Zogbé – Les œuvres sont issues de grandes collections internationales : Mathaf, Doha, (Qatar); Barjeel Art Foundation, Sharjah, (Émirats Arabes Unis) ; Ibrahimi Collection, Amman, (Jordanie) et de collections privées et publiques françaises (MNAM, CNAP, Fonds d’art contemporain- Paris collections, Musée d’Art Moderne de Paris, Institut du monde arabe, Musée du Quai Branly-Jacques Chirac…) – Le catalogue a été publié aux éditions Paris Musées, ouvrage relié, 223 pages, textes en Français (40 euros).

Cf. nos articles : *Art et LibertéRupture, Guerre et Surréalisme en Egypte1938/1948,  du 28 janvier 2017 – *Adam Henein, sculpteur : de la matière brute à l’épure, la gravité lyrique de son œuvre, du 16 juin 2020 –  *Ramsès YounanLa Part du sable, du 30 juillet 2022.

Légendes des visuels (1) Mahmoud Mokhtar, Arous el-Nil, La Fiancée du Nil, vers 1929. Pierre, 149 x 60 x 37 cm Dépôt du Centre Pompidou, Paris, Musée national d’Art Moderne/ Centre de création industrielle, à La Piscine-Musée d’Art et d’Industrie, André Diligent à Roubaix en 2018 – (2) Créé en 1904, L’Abou Naddara, journal symbole de la Nahda, renaissance culturelle, littéraire et politique arabe – parmi d’autres journaux fondés par des intellectuels d’Égypte exilés, à la fin du XIXème siècle. Yaqub Sannu en est le rédacteur – (3) The Woman with Golden Locks (La Femme aux boucles d’or), 1933, huile sur toile, 81,3 x 60 cm, Mathaf, Arab Museum of Modern Art, Doha Qatar – (4) Baya, Femme en robe orange et cheval bleu, vers 1947, Gouache, crayon graphite et encre sur papier marouflé sur carton, 74,7 x 91,6 cm, LaM, Lille Métropole musée d’Art moderne, d’Art contemporain et d’Art brut, Villeneuve d’Asq – (5) Mur d’affiches – (6) Francis Harburger, Toutes les larmes sont salées, dit aussi Contre le préjudice racial, 1952, huile sur toile, 145 x 97 cm, musée national de l’Histoire de l’immigration/établissement public du Palais de la Porte Dorée – (7) Etel Adnan, Roi inca, 1965, huile sur toile, 52,3 x 57,5 cm, Centre Pompidou, Paris, musée national d’Art moderne / Centre de création industrielle – (8) Hala Alabdalla, Je suis celle qui porte les fleurs vers sa tombe, 2006, noir et blanc, film de 105’, collection de l’artiste – (9) Fateh Moudarres, Les Réfugiés, 1986, huile sur toile, 120 x 180 cm, Musée de l’Institut du Monde Arabe, Paris, achat à l’artiste en 1986, inv. AC86-36 – (10) Mayo, Sans parole, 1946, huile sur toile, 55 x 46 cm, collection J.G. Malliarakis, Paris.